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La dette grecque est-elle soutenable ?

La soutenabilité de la dette au cœur des débats entre la Grèce et l’Eurogroupe

Les créanciers ont entraîné le gouvernement grec dans une négociation de longue haleine pour répondre aux obligations de réformes auxquelles la Grèce s’est engagée. Athènes de son côté réitère à toute occasion que le pays a besoin d’un accord rapide qui renforce l’économie et qui conduise au retour à la croissance. La dette hellène culmine à environ 300 milliards d’euros et établit là un record en la matière au sein de l’Union Européenne. En 2012, les créanciers de la Grèce s’étaient engagés à rediscuter de la dette grecque en profondeur dès que le pays aurait un budget en excédent primaire (c’est-à-dire que ses recettes seraient supérieures à ses dépenses, frais financiers mis à part). La Grèce a passé ce cap là en janvier 2014, mais aucune discussion n’a eu lieu.

Le premier ministre Grec Alexis Tsipras a longuement évoqué ce sujet en affirmant, avec le soutien de Yanis Varoufakis, son ministre des finances jusqu’en juillet 2015, que la dette grecque, qui s’élevait alors à 177% du PIB, n’était pas soutenable et devait être restructurée. Ce point a été une source de crispation essentielle dans les négociations entre le gouvernement Tsipras et la Troïka des créanciers de la Grèce. L’Allemagne en particulier a été très ferme sur la question de la restructuration de la dette en affirmant la dette publique grecque, déjà restructurée en 2012 (elle a été ramenée de 175,1 % à 157,2 % du PIB), serait soutenable pour peu qu’Athènes prennent les mesures adaptées…

Alexis Tsipras, accompagné de son Ministre des Finances Yanis Varoufakis
Alexis Tsipras, accompagné de son Ministre des Finances Yanis Varoufakis. Source: Griechenlands Ministerpräsident Tsipras und sein Finanzminister Varoufakis setzen auf weniger strenge Fesseln der Euro-Gruppe. Sie können auf ein Einlenken Europas hoffen, Die Welt, 22/02/2015

L’apogée de la crise a fini par être dépassée dans l’accord final pour un troisième plan d’aide qui a été passé par Tsipras, malgré la victoire du « Ochi » (Non) au référendum. Ce troisième plan d’aide à la Grèce, d’un montant de 86 milliards d’euros maximum date de 2015 et a  augmenté à nouveau la dette grecque.

Partisans du "Non" (Ochi) au réferendum de juillet 2015
Partisans du “Non” (Ochi) au réferendum de juillet 2015. Source: Η εικόνα της συγκέντρωσης του ΟΧΙ στο Σύνταγμα με τα μάτια ενός drone!

Pourtant, plusieurs questions demeurent. Quels sont les critères permettant de définir la soutenabilité d’une dette publique ? La dette grecque nécessite-t-elle véritablement d’être restructurée ?

Comment définir la soutenabilité d’une dette ?

La soutenabilité d’une dette exprime la capacité d’un pays à faire face à ses emprunts et ainsi payer ses intérêts pour rembourser une partie de sa dette. Mais peut-on définir des critères de soutenabilité d’une dette ? Selon Agnès Bénassy-Quéré, professeur à l’Ecole d’Economie de Paris : «Il n’y a pas de critère absolu pour juger de la soutenabilité car cela dépend de la capacité du gouvernement à lever de nouveaux impôts ou à abaisser ses dépenses, donc du contexte socio-politique qui varie d’un pays à l’autre. Cela dépend aussi des perspectives de croissance que l’on ne connaît pas. » Selon elle, la soutenabilité d’une dette se définit à partir des critères suivants :

  • le ratio de la dette par rapport au PIB ne doit pas diverger sur les dix années à venir.
  • Le ratio des intérêts et remboursements sur le PIB ne doit pas être trop important au fil des années.
  • Le temps d’apparition de la dette ne doit pas être trop court, car le pays serait alors exposé à une crise de liquidité.
  • Evaluer les marges de manœuvre fiscales.

Selon d’autres économistes, tels que Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, la dette publique est une notion très délicate. Il estime qu’elle devient soutenable quand les marchés financiers estiment que le gouvernement est en mesure de contrôler son évolution et qu’il a de faibles chances de faire défaut.

Jean-Marc Daniel, quant à lui, estime que le seul critère devant être retenu pour évaluer la soutenabilité de la dette d’un pays est son aptitude à rembourser ses intérêts. Il estime qu’une dette est soutenable dès lors que les recettes sont supérieures à la charge de la dette. Selon lui : «En réalité tout dépend si l’on parle de soutenabilité vis-à-vis des marchés (en ce qui concerne la Grèce, sa dette n’est pas soutenable), ou de la capacité du pays à faire des arbitrages pour ses dépenses. Dans ce cas, la dette de la Grèce est soutenable. Elle doit simplement faire des choix».[1]

Comment tenir la soutenabilité de la dette grecque ? Doit-on restructurer la dette grecque ?

Au cours des entretiens que nous avons réalisés, nous avons eu des réponses contradictoires face à cette question. Jean-Marc Daniel[2] nous a affirmé que la crise grecque était finie, et que la dette grecque était parfaitement soutenable pour les années à venir, tandis que Jean-Yves Archer affirmait que sur les prochaines années, la Grèce rencontrera d’autres difficultés pour payer ses échéances, ce qui ramènera la situation à ce qu’elle était en 2015.

Selon J. Creel[3], il y a différentes façons de tenir la soutenabilité d’une dette. Il y a une vision statique et dynamique. La dette d’aujourd’hui, c’est la dette d’hier plus le déficit d’aujourd’hui. On peut créer de l’inflation (on dilue la valeur de la dette), on baisse les taux d’intérêts ou surplus budgétaires. La vision un peu plus ambitieuse, c’est que la dette d’aujourd’hui et les successions de tous les surplus budgétaires futures doivent converger vers zéro. Selon lui, imaginer cela à un moment de son histoire future permet de dire que la dette d’aujourd’hui est soutenable.

Marietta Karamanli
Marietta Karamanli. Source: Ouest-France, 12/08/2014.

Selon Marietta Karamanli[4], présidente du groupe d’amitié France-Grèce, siégeant à l’Assemblé Nationale au sein du groupe Socialiste, pour restructurer, il faudrait porter à zéro le taux des prêts, allonger leur durée ou carrément les effacer. Ce n’est pas forcément très pertinent de reporter à long terme certaines échéances, il est préférable dans certains cas d’annuler totalement la créance. Du côté du FMI, il ne faut pas attendre d’effacement de dette, selon elle. Il est créancier prioritaire en cas de défaut d’un pays, et prêteur en dernier ressort ; depuis sa création, il n’a jamais effacé de dette. La BCE, elle détient 27 milliards d’euros de bons du trésor grecs. Pour qu’elle annule cela, il faudrait qu’elle dégrade son bilan, c’est difficile à imaginer. Ce n’est donc pas vraiment du côté des institutions qu’un défaut partiel devrait être négocié mais probablement du côté des membres de la zone euro, principaux créanciers de la Grèce.  La suite c’est une perspective de reprise de la croissance par des investissements en Grèce dans un climat de stabilité et de confiance conforté. Dans le mémorandum en cours, il existe sauf erreur de ma part, un engagement de la Grèce selon lequel, courant mars,  le pays devrait avoir rédigé son propre plan national pour la croissance.

La question cruciale de cette dette insoutenable n’est donc toujours pas abordée au fond, selon elle. On en est au troisième plan d’aide internationale et la Grèce a toujours besoin de l’argent de l’Europe et du FMI pour rembourser ce qu’elle doit à l’Europe et au FMI. Une aide qui n’est donc réinjectée ni dans le budget de l’Etat, ni  dans l’économie. Une étude publiée dans la presse allemande met en évidence que 95 % de l’aide versée à la Grèce serait retournée aux banques et aux créanciers du pays. Selon elle, la perspective d’une croissance par des investissements européens en Grèce est donc encore et toujours d’actualité. Plutôt que d’isoler dette et investissement on pourrait coupler les deux.

Lagarde, Juncker et Rehn lors d'une réunion de l'Eurogroupe
Lagarde, Juncker et Rehn lors d’une réunion de l’Eurogroupe. Source: L’Eurogroupe aidera la Grèce si des efforts sont effectués, Warren, (pas de date)

Une alternative à la gestion de la dette grecque serait, selon Marietta Karamanli, que les prêteurs deviennent des investisseurs, ce qui leur permettrait d’échapper à un effacement partiel de leur dette. Autrement dit une solution possible serait proche de celle choisie dans le cas où une entreprise ne peut pas honorer ses créanciers en transformant la totalité de la dette en certificats d’investissement, assortis d’une forme de clause de retour à meilleure fortune. L’Etat grec pourrait placer ses surplus budgétaires dans son économie au lieu de les consacrer au remboursement de sa dette. 15 à 20 milliards d’euros pourraient ainsi être injectés dans l’économie hellénique. Destinés à redynamiser l’économie grecque, ces investissements « ciblés » seraient pilotés par des organismes bilatéraux franco-grec, germano-grec et consorts, qui auraient pour mission d’investir ces fonds dans des entreprises privées, des coopératives ou des infrastructures nouvelles ou déjà existantes.

 

[1] THEOBALD, Marie. Comment juge-t-on la soutenabilité d’une dette publique?, 21/08/2015
[2] Interview de Jean-Marc Daniel réalisée par Oussamah Jaber
[3] Interview de Jerôme Creel réalisée par Seirignes Sarr et Florian Veaux
[4] Interview de Marietta Karamanli réalisée par Robin Delveaux