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Un risque de contagion dans la zone euro et l’UE ?

Un risque de contagion est souvent évoqué dans les débats portant sur une potentielle sortie de la zone euro de la Grèce, qui serait dû à l’affaiblissement ou à la fragilité économique de certains pays méditerranéens tels que le Portugal, l’Espagne. C’est ainsi que Kathrin Muehlbronner, responsable de l’analyse crédit chez Moody’s, une entreprise spécialisée dans la gestion des risques, dit : « Même si l’impact financier immédiat était limité, la sortie d’un Etat membre d’une union explicitement destinée à être indivisible, soulèverait inévitablement des questions sur les pressions susceptibles d’amener d’autres pays à prendre le même chemin ». Ainsi selon elle, une sortie de la zone euro de la Grèce pourrait entrainer une défiance des investisseurs auprès des pays méditerranéens précédemment évoqués, alors que ces pays sont particulièrement tributaires de leurs obligations.[1] Le risque de contagion serait dès lors exacerbé par une sortie de la Grèce et risquerait de provoquer un défaut.[2] L’agence Moody’s estime en effet que le rapport de la dette sur le PIB risque d’augmenter à la fois pour la Grèce et les pays européens fragiles économiquement : Italie, France, Espagne.

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Illustration de l’effet domino dans le cadre d’une sortie de la Grèce de la zone euro
Source : © Marcel Krol, Concept d’une crise financière européenne, produit avec des tuiles de dominos, Images Stock

D’un autre coté, on peut voir que certaines analyses montrent qu’une sortie de la zone euro aurait peu d’effets, voire même serait bénéfique à long terme pour l’économie grecque. C’est ainsi que l’agence de notation Standard’s and Poor’s avait estimé en février 2015 dans un rapport, qu’un Grexit n’aurait que des conséquences directes pour les autres pays en terme de notation. Elle « ne pense pas qu’un « Grexit » aurait par lui-même des implications significatives en termes de ratings »[3]. L’analyste Moritz Crämer, chez Standard’s and Poor’s confirme cette idée en soutenant que les liens entre la Grèce et les marchés financiers sont trop faibles pour induire une réelle contagion au sein de la zone euro.

D’après Nicolas Goetzmann, responsable du pôle Economie chez Atlantico, plusieurs scénarios seraient envisageables pour lesquels la Grèce serait le point de départ de la fin de l’euro :

–       Une sortie maîtrisée économiquement : le gouvernement, avec pour soutien le résultat du référendum, refuse les conditions imposées par les créanciers et provoque sa propre sortie. On n’aurait alors pas de contagion, mais l’image de l’union se dégraderait selon lui : elle serait perçue comme « une zone de compétition économique dont les mauvais élèves sont renvoyés. Le fait par exemple que la Grèce soit le berceau de la civilisation européenne n’ait aucune importance pour un tel ensemble en dit long sur  son ambition. » D’autres partis eurosceptiques verraient alors le jour.

–       Une sortie non maîtrisée : la sortie de la Grèce donnerait l’image d’une zone euro divisée auprès des marchés financiers. Les arbitres internationaux en prendraient note selon lui, et les pays du Sud se retrouveraient menacés : les banques des pays périphériques se retrouveraient en difficultés et ceux-ci devraient se soumettre à des politiques d’austérité comparables à celles qu’a connues la Grèce. Il y aurait dès lors contagion. « Ce risque de contagion est en réalité maximal ; ne pas vouloir le prendre en compte relève d’une arrogance maladive de la part des dirigeants ».

–       La réussite de la Grèce en dehors de la zone euro : ce serait le cas si le gouvernement grec rempli son rôle c’est-à-dire assure l’application des règles fiscales, met en place des réformes structurelles et une lutte anticorruption et s’il trouve de nouveaux soutiens comme la Russie. Si la situation de la Grèce commençait à s’améliorer deux ans après sa sortie (baisse du chômage…) d’autres pays de la zone euro pourraient se poser la même question et envisager leur sortie.[4] Jérôme Creel confirme cette idée en affirmant qu’une reprise économique de la Grèce grâce à une plus grande autonomie monétaire conduirait les pays, dont la situation est plus proche de la Grèce que celle des pays tels que l’Allemagne, à reconsidérer leur position au sein de la zone euro. En effet, étant donné qu’aucun précédent (en Europe) n’a été établi, une réussite de la Grèce sans l’euro montrerait aux pays européens la possibilité d’une sortie.*

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Allégorie du délitement de la zone euro par la sortie de la Grèce
Source : Luiz Vazquez, Gulf News

Les débats autour d’un Grexit et d’un Brexit dans les média, auraient par ailleurs fortement alimenté d’autres mouvements d’« exit » notamment en France avec le Front National, mais aussi plus récemment au Pays-Bas et en République Tchèque. En effet mercredi 6 avril, le peuple néerlandais était appelé à se prononcer sur l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine. Arjan van Dixxhorn, président du comité à l’origine de cette intiative a annoncé : « L’Ukraine nous est égal (….). Un référendum sur la sortie de l’UE n’a pas été possible jusqu’à présent, c’est pourquoi nous utilisons toutes les options dont nous disposons pour mettre sous pression les relations futures entre les Pays-Bas et l’UE. » Ce serait ainsi une volonté de quitter l’UE qui aurait motivé ce referendum. Et le « NON » a remporté le referendum à 61,1% des voix.[5] Le Premier Ministre tchèque Bohouslav Sobotka aurait de même annoncé : « Si la Grande-Bretagne quitte l’UE, un débat sur le retrait de la République tchèque sera à attendre dans quelques années ».

Les différents pays de la zone euro dont les conditions économiques sont les plus médiocres seraient par ailleurs soumis, par l’intermédiaire de la troïka ou d’Institutions européennes, à de nombreuses contraintes liées à l’austérité, ce que souligne Virginie de Romanet du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, an analysant le cas du Portugal : « Le Portugal où les conditions de vie de la population étaient déjà les moins bonnes de la zone Euro a été – à l’instar de la Grèce – lourdement affecté par les mesures de la Troïka. Le taux de chômage officiel a atteint 14% en 2011… »[6]

Jean-Yves Archer évoque de même le cas de L’Italie, qui est en récession depuis plusieurs années, avec une croissance négative depuis 2012. Il souligne ainsi que : « Dans ce contexte, il est fort possible qu’une tension sur les taux grecs amènerait les marchés à revisiter la solidité des économies du Sud de l’eurozone et à accélérer le risque de fractionnement de la zone en emportant l’Italie dans ce fracas monétaire. »[7]

Cependant, d’autres économistes pensent qu’un Grexit n’induirait pas une contagion auprès des autres Etats membres de la zone euro, mais au contraire renforcerait cette dernière, car la Grèce serait un cas à part dans l’Histoire de l’UE. Selon Jean Quatremer, journaliste à Libération, la Grèce aurait été incapable d’imposer ses réformes, alors que les pays fragiles économiquement, menacés de sortie de la zone euro en cas de Grexit, tels que l’Irlande, l’Italie, le Portugal ont déjà connu des difficultés économiques en 2010 et ont pu bénéficié de plans d’aides européens, ce qui leur a permis d’avoir de nouveau accès aux marchés européens. La solidarité semble selon lui particulièrement ancrée dans la zone euro, sauf pour la Grèce. Un Grexit amènerait donc selon lui les autres pays membres à se rallier et à s’aider mutuellement, ce qui permettrait de fonder une union économique et monétaire solide.[8]

Néanmoins le Grexit semblerait être, dans une certaine mesure, un prétexte pour justifier un certain malaise de certains Etats membres vis-à-vis de la monnaie unique. C’est ce que souligne Pascal Riché, journaliste à l’Obs, en affirmant que « la crise grecque est le symptôme d’un mal plus profond : l’incapacité de la zone euro à conduire une politique économique efficace. »[9]

Le Grexit aurait en effet mis en exergue selon certains économistes une inadéquation entre les différentes économies de la zone euro qui ne pourrait dès lors fonctionner correctement sur le long terme. Selon l’économiste Milton Friedman, l’euro a été dès sa création voué à l’échec, il explique dans une interview à Australia radio le 17 juillet 1998 : «Malheureusement, le Marché Commun n’a pas les caractéristiques qui sont exigées pour constituer une zone de monnaie commune […] Vous avez des pays avec des gens qui parlent tous des langues différentes. Il y a très peu de mobilité des gens d’un point du Marché commun à un autre. »[10]

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Illustration de la peur des gouvernements meneurs de l’UE face à de potentielles sorties de la zone euro d’autres pays membres, alimentant les mouvements eurosceptiques
Source :  KAK, L’Europe face à une Angleterre tentée de partir, l’Opinion

Ces arguments, ont été repris dans les argumentaires de nombreux partis eurosceptiques tels que UKIP au Royaume-Uni ou le Front National. La position du FN sur l’euro : « La monnaie unique est devenue le symbole d’une politique européenne fédéraliste d’un jusqu’au-boutisme absurde d’élites financières prêtes à sacrifier le peuple sur l’autel de leurs intérêts. La monnaie doit être remise à sa place, en redevenant un instrument économique au service de la croissance et de l’emploi. »

 

[1] Un “Grexit” aurait “de graves conséquences” pour la zone euro. Reuters France. 17/03/2015
[2] QUATREMER Jean. Grexit : quel effet sur la zone euro ? Libération. 29 juin 2015
[3] « Un Grexit » aurait un faible risque de contagion. Le Matin. 19/02/2015
[4] GOETZMANN Nicolas. ARCHER Jean-Yves. DANIEL Jean-Marc. Explosion de l’euro, le jour d’après : ce qui se passerait si la monnaie unique disparaissait brutalement (et avec le dossier grec, ça n’est pas que de la science fiction…). Atlantico. 9/02/2015
[5] REY-SAHIN, Sevin. “Grexit”, “Brexit”, “Nederxit”… Pourquoi l’Europe a-t-elle peur des référendums ? L’Obs. 07/04/2016
[6] DE ROMANET, Virginie. Portugal : Les conséquences dramatiques de l’austérité imposée par la Troïka, site du Comité d’abolition pour les dettes illégitimes (CADTM). 14/03/2012
[7] GOETZMANN Nicolas. ARCHER Jean-Yves. DANIEL Jean-Marc. Explosion de l’euro, le jour d’après : ce qui se passerait si la monnaie unique disparaissait brutalement (et avec le dossier grec, ça n’est pas que de la science fiction…). Atlantico. 9/02/2015
[8] QUATREMER, Jean. DE FILLIPPIS, Vittorio. Grèce : l’avenir en rose ou noir. Libération. 29/06/2015
[9] RICHE, Pascal. L’Europe, véritable enjeu du débat sur la Grèce. L’Obs. 30/01/2015
[10] BARRE, Alain. La monnaie unique en Europe est-elle viable ? 11/07/2015