L’animal par rapport à l’Homme

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La place de l’animal par rapport à l’homme pose un problème en soi  : doit-il être considéré – par exemple juridiquement parlant – en tant qu’objet ou en tant que personne à part entière ? Quelle doit être sa place sociale et économique au sein de la société ? Doit-on prendre acte de l’analogie scientifique entre l’homme et les espèces « animales » que tend à confirmer l’avancée des connaissances en éthologie ?

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Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il est utile de regarder comment l’animal est considéré juridiquement aujourd’hui pour avoir une idée du regard que l’homme porte actuellement sur celui-ci.

En France, dans le Code Civil, l’animal est rangé dans la catégorie des biens, avec désormais la mention « être vivant doué de sensibilité » (Code Civil, 2015). Il n’est donc pas considéré comme une personne, et en ce sens ne bénéficie pas de certains droits « humainement » fondamentaux tel que le droit de disposer de lui-même, le droit à la liberté ou bien le droit à une véritable reconnaissance juridique.

Son statut juridique actuel n’a donc rien à voir avec celui de l’Homme. L’animal est considéré comme fondamentalement différent – inférieur en fait -, poursuivant ainsi un instinct historique dictant le fait que la considération que nous portons à notre propre espèce doit être sans commune mesure avec celle que nous portons aux autres espèces.

Peu d’attention est de plus portée à l’individu animal même – même si depuis récemment, avec l’amendement Glavany, il est permis de relativiser : son existence en tant qu’être social, son intériorité, sa capacité à ressentir des émotions ainsi que la douleur, sont des choses qui sont peu ou prou considérées dans le Code Civil. Finalement, l’animal est surtout considéré en tant que ce qu’il peut apporter pour la société, et très peu en tant qu’individu à part entière.

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La théorie du dualisme radical mise à mal

Considérer l’Homme comme une espèce radicalement différente, « privilégiée » tant au niveau de facultés objectives comme la raison ou la possession d’une conscience qu’au niveau de considérations plus morales surtout introduites par les canons religieux, est une position de plus en plus remise en cause par les avancées scientifiques en éthologie.

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Ainsi, la plupart des facultés dont l’homme se pensait doté exclusivement, comme la faculté à élaborer un raisonnement en plusieurs étapes, à faire usage de sa raison, à être conscient de sa propre existence ou bien son caractère « d’animal social », se retrouvent en fait – dans une moindre mesure – chez d’autres espèces animales. Il a par exemple été démontré que le corbeau pouvait élaborer des raisonnements d’une complexité insoupçonnée. De quoi éventuellement démonter le raisonnement justifiant une différence de traitement des espèces par une différence fondamentale de nature.

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Un esclave moderne

L’exploitation de l’animal, par exemple pour sa force physique ou son corps lui-même, est un des éléments clés sur lesquels l’homme a compté pour sa survie et son propre développement depuis le Néolithique (14000 à 7000 avant J.C.). Aujourd’hui encore, les espèces animales contribuent massivement à la bonne marche du système alimentaire moderne ainsi qu’au modèle de fonctionnement de bon nombre de régions agricoles dans le monde.

Ce qui amène certains – les défenseurs des animaux – à avancer l’idée que les animaux ont été et sont toujours des esclaves mis contre leur gré au service de l’humanité. Nous les avons arrachés à leur milieu naturel, domestiqués, et intégrés de force à notre modèle économique et social. L’ordre politique, qui doit régir la vie du collectif, ne prend paradoxalement pas en compte leurs intérêts : il est ontologiquement le droit du peuple humain, par le peuple humain, pour le peuple humain.

Il serait donc de notre devoir de faire cesser un tel état de fait. Les philosophes Kymlicka et Donaldson font l’analogie avec l’abolition de l’esclavage. Il n’est pas question de renvoyer des animaux domestiqués à un milieu naturel qui ne leur correspond plus ; il est plutôt de notre devoir d’assurer une place au sein de notre société aux espèces d’animaux que nous avons rendus volontairement dépendantes de nous. Ils proposent pour cela de passer par l’octroi d’une citoyenneté aux animaux.

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Une citoyenneté pour les animaux domestiques?

L’animal domestiqué pourrait donc se voir octroyer une citoyenneté à part entière, devenir partie intégrante d’une cité jusque-là implicitement réservée à l’homme. Selon Kymlicka et Donaldson, il s’agit de « redéfinir les contours de la théorie politique en intégrant les communautés animale et les animaux dans les réflexions sur l’Etat, le droit international et la citoyenneté, et en formulant le tout sous la forme d’un manifeste en faveur d’une refonte des relations hommes-animaux » (2015).

Ce changement est d’autant plus rendu possible qu’une relation de confiance et de coopération est déjà possible entre homme et animaux domestiques – ce serait en effet plus compliqué s’il s’agissait d’animaux sauvages naturellement hostiles à l’homme.

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Reconnaitre l’animal comme notre égal, une menace de facto pour les filières agricoles

Poules enfermées

D’autres ne partagent évidemment pas de point de vue. Il est par exemple dans l’intérêt des filières agricoles d’entretenir l’état de fait actuel, car revenir sur l’infériorité présupposée des animaux par rapport à l’homme reviendrait à remettre en cause l’existence de la filière même. Si l’animal obtient un jour une reconnaissance juridique et morale similaire à celle d’un être humain, alors l’exploitation animale peut être qualifiée tout à tour de séquestration, de meurtre, voire de génocide. Entrainant alors pléthore de procès et procédures judiciaires dans lesquelles le secteur entier s’enliserait.

Il est à partir de là évident que la volonté politique ne peut être qu’extrêmement ténue envers un quelconque rehaussement significatif de la considération apportée aux animaux, à partir du moment où celle-ci pourrait menacer un pan entier de l’économie du pays. Faut-il risquer – bouleverser à minima et détruire dans le pire des cas – la pérennité de tout un système économique pour le bien d’espèces n’ayant à priori rien à voir avec nous ?

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Qu’en retenir ?

La manière dont est considéré l’animal aujourd’hui en France reflète donc un certain regard historique qui a toujours tendu à privilégier l’intérêt de l’espèce humaine, et presque inexorablement au détriment des autres espèces.

Pour certains, c’est ainsi une véritable forme d’esclavage qui est pratiquée envers les animaux, situation dont il faut sortir en octroyant des droits ainsi qu’une reconnaissance sociojuridique aux animaux – un instrument peut être l’octroi d’une citoyenneté.

Pour autant, un tel point de vue est loin de faire l’unanimité. Car accorder plus de droits et de liberté aux autres espèces animales semble se conditionner inéluctablement à une réduction de nos prérogatives et de notre liberté, tant notre mode de vie actuel se base sur l’exploitation animale. Reconsidérer le rapport de l’homme à l’animal, c’est finalement reconsidérer la société que l’humanité a bâtie, et plus généralement sa manière même d’être au monde.

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Références

Kymlicka Will, Donalson Sue, Etendre la citoyenneté aux animaux, trad. Marc Lenormand, Tracés. Revue de Sciences humaines, Hors-série 2015, ENS Editions. Disponible sur : revues.org (consulté le 23/03/2016)

INRA, Elevage de raison, in INRA Science & Impact, 2014. Disponible sur : http://www.inra.fr/Grand-public/Economie-et-societe/Toutes-les-actualites/Histoire-de-l-elevage-la-domestication-des-animaux-et-des-plantes (consulté le 25/05/2016)

Dayon R, Statut des animaux : le Sénat dit non. Sciences et Avenir, 26/01/2015. Disponible sur : http://www.sciencesetavenir.fr/animaux/20150126.OBS0819/statut-des-animaux-le-senat-dit-non.html (consulté le 13/02/2016)

Goudet Jean-Luc, Les corbeaux peuvent raisonner comme un enfant, Futura Nature, 27/07/2014. Disponible sur : http://www.futura-sciences.com/magazines/nature/infos/actu/d/zoologie-corbeaux-peuvent-raisonner-comme-enfant-54610/

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