Quelle législation idéale pour les animaux ?

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Les débats au sujet de la modification du Code Civil sur le statut des animaux ont remis au goût du jour les questions de législation pour les animaux. Celle-ci a dernièrement évolué, satisfaisant certains acteurs du débat, en décevant d’autres. Mais cela a permis à tous de donner leur avis et d’éclaircir les différents points de vue sur la question. Ces points de vue sont très différents selon le type d’acteur qui les émet, notamment par les arguments avancés.

Si les acteurs politiques restent en général mesurés sur les possibilités de changement – par conviction ou par réalisme -, les associations de défense des animaux, les philosophes sont en général plus enclins à envisager des solutions juridiques ambitieuses.

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Des droits possibles

Avant de donner des droits aux animaux, il faut se poser la question de la légitimité de ces derniers à avoir des droits. Cette question a été posée par le philosophe Joël Feinberg, qui y répond positivement, mais uniquement pour les animaux en tant qu’individus, pas en tant qu’espèce. En effet, ces derniers peuvent être directement bénéficiaires de ces droits, même s’ils ne peuvent pas les réclamer eux-mêmes, car ils ont un intérêt personnel à avoir ces droits.

D’autres pensent que certains animaux peuvent recevoir des droits, car ils ont des primate-1019101_1280capacités que certains humains ont. Par exemple, les grands singes ont des capacités égales voire supérieures à celles d’enfants en bas âge ou de déficients mentaux, qui eux ont des droits. Il serait donc logique qu’ils puissent également bénéficier de droits.

Enfin, des thèses « pathocentristes » sont avancées, par Elisabeth de Fontenay par exemple. Ces dernières pensent que tous les êtres qui peuvent souffrir peuvent (et doivent) bénéficier de droits pour les protéger, ce qui signifie donc que la plupart des animaux – à partir du moment où leur système nerveux est d’une certaine complexité – pourraient légitimement se voir donner des droits.

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Des droits liés à la capacité à ressentir la souffrance

Cet argument de la souffrance est celui qui revient le plus souvent, et est le principal argument avancé par les nombreuses associations de défense des animaux. Selon elles, les animaux doivent être reconnus comme des êtres sensibles (ce qui est maintenant le cas dans le code civil), au même titre que les humains, et doivent donc être protégés par la législation de la souffrance. La meilleure législation serait donc celle qui empêche au plus la souffrance de tous les animaux. Cependant, ces associations ne sont pas toujours claires sur les modalités de cette législation. Certaines ne parlent que des animaux domestiques, certaines tous les animaux, d’autres ne ciblent pas vraiment de type d’animaux mais plutôt des pratiques, comme la chasse par exemple. Elles ne sont même pas toutes d’accord sur le degré de législation à avoir. Certaines sont assez satisfaites de la situation actuelle, d’autres la trouvent encore beaucoup trop insuffisante et demandent une législation beaucoup plus forte.

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Une législation idéale difficile à mettre en place, et nécessairement complexe

Même si on voit que la plupart des acteurs s’accordent sur le fait que la législation doit subvenir au problème de la souffrance, les divergences sont nombreuses quant aux modalités de cette législation. Il semble en effet très compliqué de trouver une législation parfaite, qui mette tout le monde d’accord. Certaines personnes, comme le juriste Jean Marc Neumann par exemple, ont réfléchi à la manière dont on pourrait modeler cette législation. Il apparait difficile de donner exactement les mêmes droits à tous les animaux. En effet, les différences entre eux sont souvent très grandes. On peut par exemple condamner quelqu’un pour violences envers un cheval, mais il serait absurde de poursuivre une personne parce qu’elle aurait écrasé une fourmi, sous peine de nous rendre le quotidien invivable.

c_54a0858fba4b0Ce qui dégage au passage une question plus large : est-il possible d’assurer les mêmes droits à toutes les espèces tout en préservant un sas de liberté pour chacune ? Faut-il renoncer à des phénomènes naturels comme la prédation ou l’instinct de chasse sous prétexte que chacun peut bénéficier des mêmes droits ? La réponse apportée par les juridictions actuelles est clairement négative, car tendant à privilégier l’espèce humain au détriment des autres espèces qui se voient attribuer des droits inférieurs, plus ou moins élevés.

Une législation idéale se ferait donc au cas par cas, en distinguant chaque espèce animale. Mais ceci est bien trop fastidieux et inapplicable dans les faits. On pourrait cependant proposer de distinguer certains groupes d’animaux, voire certaines espèces, on se rapprocherait alors d’une législation idéale.

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Penser à la politique

Les partis politiques proposent, en plus d’arguments assez proches des autres acteurs, des arguments de type politico-économique. Si certains sont en accord avec les motivations des associations, ils peuvent souvent être réticents à une législation trop forte. C’est le cas de l’opposition politique, représentée principalement par le parti Les Républicains. Ceux-ci craignent que des droits trop forts pour les animaux soient néfastes pour certains domaines économiques, comme l’agriculture ou la chasse. Certains éleveurs pourraient par exemple se retrouver enlisés dans des procès sans fin, ce qui pourrait menacer leur activité. Il faut donc faire attention à ne pas déstabiliser les activités économiques du pays. La législation optimale serait alors celle qui protège les animaux au maximum, sans menacer les activités humaines.

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Aller plus loin

Ce n’est cependant pas l’avis de tous. Certains vont même plus loin, en envisageant des avancées beaucoup plus significatives, comme l’octroi d’une citoyenneté à ces derniers. Cette citoyenneté comporterait alors des droits similaires aux humains, comme le droit au respect ou à la santé, et des droits spécifiques de souveraineté sur le territoire dominé. Cependant, cette citoyenneté doit être adaptée selon les animaux, ce qui rejoint certaines des thèses précédentes.

Dégager une législation « idéale » est donc extrêmement compliqué. Jusqu’où aller ? Cependant, certaines convergences se dégagent. Les droits des animaux doivent servir à limiter leur souffrance. Mais il semble impossible d’ériger un droit général : il faudra différencier les différents animaux, au moins un minimum. Enfin, les effets d’une telle législation sont difficiles à anticiper. Mesurer l’impact social et économique de telles mesures relève de l’impossible, tant ces dernières impliqueront des changements à toutes les échelles.

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Références

De Fontenay Elisabeth , Pourquoi les animaux n’auraient-ils pas droit à un droit des animaux ?, Le Débat, n°109, p. 138-155. Editions Gallimard. Disponible sur : http://www.cairn.info/revue-le-debat-2000-2-page-138.htm

Feinberg Joel, Les droits des animaux et des générations à venir (1974), Philosophie 2008/2 (n° 97), p. 64-90.

Kymlicka Will, Donalson Sue, Etendre la citoyenneté aux animaux, trad. Marc Lenormand, Tracés. Revue de Sciences humaines, Hors-série 2015, ENS Editions. Disponible sur : revues.org (consulté le 23/03/2016)

Entretien avec Jean-Marc Neumann, juriste travaillant sur le droit des animaux, réalisé le 10/03/2016

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