Mode d’influence des politiques sur les journalistes

Dans un système démocratique, ce sont les élus qui détiennent le pouvoir que leur a confié le peuple. Ce sont ces mêmes élus qui doivent être en contact avec les journalistes pour exprimer leurs visions et justifier leurs choix.

 

Le premier point qu’il est important de noter est que la couverture d’un domaine d’activité implique la fréquentation assidue des acteurs. Dès lors s’installe facilement une certaine myopie du journaliste vis-à-vis des informations transmises pars les acteurs, voire une connivence. Certains auteurs comme le journaliste Albert du Roy soulignent aussi le fait que les journalistes et politiques français sont majoritairement issus des mêmes milieux, des mêmes écoles, partagent la même culture et fréquentent les mêmes endroits. Certains même deviennent politiques à la suite de leur carrière journalistique. L’attrait de certains journalistes pour la classe politique est donc important, ils sont donc très sensibles à une certaine influence qui pourrait s’exercer sur eux.

 

Une des méthodes utilisées pour favoriser la rencontre entre politiques et journalistes est l’invitation à déjeuner. Cette méthode est très utilisée dans les deux sens, les cabinets ministériels invitent les journalistes à venir dîner avec leurs membres et les grands journaux ont aussi des salons réservés pour recevoir les hommes politiques. Cependant de telles invitations peuvent très facilement porter atteinte à l’objectivité des hôtes reçus. Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde avait trouvé une parade pour ses journalistes qu’il encourageait à répondre favorablement à ses invitation « à la condition seulement de cracher dans les plats ». Ce même journaliste faisait figure d’exception lorsqu’il refusait d’assister aux conférences de presse du générale de Gaulle, écoutait la conférence à la radio, et répondait le lendemain matin avec un billet signé Sirius.

D’un autre côté, Franz-Olivier Giesbert, journaliste et PDG du magazine Le Point déclarait « Moi, je baise avec le pouvoir ». Il cherchait en disant cela à exprimer le fait que la principale source d’information du journaliste politique est les politiques eux-même. Il appartient donc au journaliste de savoir être suffisamment proche d’eux pour soutirer l’information qu’ils veulent tout en essayant de rester suffisamment neutre.

 

Les modes d’influence du pouvoir sur les journalistes ont, en revanche, évolué depuis le milieu du XXème siècle. A la fin de la seconde guerre mondiale, les médias notamment la télévision et la radio se sont vu de plus en plus contrôlés. Les chaines de diffusion massive grâce aux ondes sont en majoritairement public. Elles sont sous l’égide de RTF deviendra ensuite l’ORTF.

En 1958, la création par le général de Gaulle du ministère de l’information avait pour mission la réforme de l’organisation de la radiotélévision d’Etat. Par conséquent, en 1960 Alain Peyrefitte, alors ministre de l’information pouvait, depuis son ministère convoquer les différents responsables de ces médias pour passer ses consignes. La création de l’ORTF, en 1964, bien qu’ayant encore le monopole du service public donne plus de liberté à ce service et par conséquent à l’information. Récemment l’état a repris une partie de son pouvoir sur la presse audiovisuel pendant les années Sarkozy. En effet, en 2009 lors de la réforme de l’audiovisuel public, le président a fait voter une loi l’autorisant à nommer les différents présidents des chaines publiques. Cette loi très controversé a depuis été rectifiée en 2013 avec la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public. Les responsables des chaines télévisées étant dorénavant nommés par le CSA.

Le contact et la distance, Alexis Lévrier

Alexis Lévrier : Le contact et la distance

 

Alexis Lévrier est maître de conférences en littérature française du XVIIIe siècle à l’université de Reims. Ses recherches portent sur la presse et sur les relations entre journalistes et littérature.

Dans son livre Le contact et la distance, reprenant une très célèbre formule d’Hubert Beuve-Méry « Le journalisme, c’est le contact et la distance. », il part de l’endogamie française entre journaliste et politique souvent critiqué à l’étranger pour en déduire une analyse des médias français.

 

I Le couple homme politique/femme journaliste un modèle français unique au monde :

En 2012 Valérie Trierweiler, compagne du nouveau président de la république, se qualifie de « première journaliste ». Signant ainsi la ligne de fracture opposant journalistes français à leurs semblables anglo-saxons. Ce modèle de couple, alors installé à la tête de l’état, est très présent dans le paysage politique français de tout bord. On peut citer à titre d’exemple les couples Borloo/Schoenberg ou Kouchner/Ockrent.

Ce type de couple, typiquement français, est très largement décrié outre-Manche. En témoigne un article du Financial Times qui titre de manière imagé « French Media : In bed with power » décrivant la presse comme un organe de l’état français. Cependant cette profonde aversion du milieu journalistique anglo-saxon pour leurs collègues politiques conduit parfois à des dérives excessives. Le scandale de News of the world est révélateur de ces dérives. Ce journal pourtant présent dans la presse anglaise depuis 168 ans n’aura pas résisté à la révélation des écoutes illégales et piratage de répondeur qu’il pratiquait sur respectivement des personnalités politique et des victimes de crimes ou d’attentat.

Pourtant, il semble exister un juste milieu dans d’autres pays étranger. En Allemagne, Doris Köpf épouse de Gerhard Schröder renonce à sa carte de presse lorsque celui-ci devient chancelier fédéral en 1998. En France, les couples Strauss Kahn/Sinclair ou Juppé/Legrand-Bodin, où l’épouse journaliste a temporairement arrêté sa carrière journalistique font figure d’exception.

Nous sommes alors en droit de se demander si de tels couples sont le résultat d’une tradition française ou simplement le fait d’une nouvelle génération de journalistes.

Il est important de noter qu’avant les années 1960 de tels couples étaient très rare dans le paysage politique français. Bien avant, sous le règne de Louis XIV, époque où la presse française était largement inféodée au monarque absolu, Anne Marguerite Petit Dunoyer tenait tête au pouvoir dans la Quintessence des nouvelles. Dans son lardon elle critiquait ouvertement les décisions du pouvoir depuis les Pays-Bas.

De tels couples peuvent porter atteinte à la qualité de l’information portée par les médias. L’affaire DSK est révélatrice des dérives vers lesquelles peut entrainer cette endogamie. Jean Quatremer journaliste chez Libération écrivait quelques mois avant l’affaire : « Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement : Un travers connu des médias mais dont personne ne parle (on est en France). Or le FMI est une institution internationale où les mœurs sont anglo-saxonnes. Un geste déplacé, une allusion trop précise et c’est la curée médiatique. ». A la suite de cet article il reçoit une multitude de critiques de la part de ses semblables journalistes. Il nuance alors ses propos peu de temps après dans un article qu’il intitule « DSK une tempête dans un verre d’eau ». Il regrettera cette nuance après le scandale DSK et dira : « Personne ne m’a soutenu, personne. Pourtant, je n’ai fait qu’écrire ce que tout le monde pensait et que personne ne voulait raconter. » .

La profondeur du lien unissant journalistes et politiques serait pourtant bien plus importante. L’endogamie dépeinte ici n’en serait qu’une manifestation visible.

 

II L’origine de liens unissant journalistes et politiques.

Franz-Olivier Gisbert nous dit  de manière figurée : « Moi, je baise avec le pouvoir ». Nous avons ici l’exemple d’un journaliste qui bien que pas marié avec un politique entretien des liens très proche avec le pouvoir pour parvenir à ses fins journalistiques. Mais alors qu’elle devrait être la distance entre politiques et journalistes ?

Alexis Lévrier nous donne un élément de réponse : « Pour empêcher la porosité des deux mondes, il faudrait que les journalistes politiques acceptent de ne plus côtoyer d’aussi près les dirigeants politiques. Ils resteraient ainsi à distance des liens de connivence et des engagements interpersonnels, mais au risque de se priver d’information de première main. ». Hubert Beuve Mery créateur du journal Le Monde en 1944 disait à ses journalistes qu’ils pouvaient se faire inviter à dîner chez les politiques « à condition bien sûr de cracher dans les plats ». De même qu’il préférait ne pas assister aux conférences de presse théâtralisées de de Gaulle, les écoutants au moyen de son poste radio, pour ensuite répondre le lendemain sous le pseudonyme de Sirius à l’image de cette étoile lointaine contemplant avec plus de hauteur les évènements. Un tel affront de ce journaliste provoquait l’ire du général.

Plus récemment le concept d’« embded Journalist », les journalistes embarqués commence à apparaître. Sarkozy avec sa manière de se comporter vis-à-vis des journalistes en est un exemple frappant. « Il abolit toute forme de distance et transforme ses interlocuteurs en autant de comparse » nous livre Alexis Lévrier et appui son discours de la photo de Sarkozy à la veille de son élection où il est à cheval suivi par une horde de journalistes entassé dans une remorque.

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Les sources de l’étranger critiquent aussi les lieux de formation de nos journalistes français. Médiapart a révélé des documents issus de la diplomatie américaine qui critiquaient le mode de formation français ou le monde parisien se fréquente trop et trop tôt. Cependant cette vision est à nuancer car si elle s’applique parfaitement à science-po, les écoles de communication et de journalisme n’appartiennent, elle, pas à cette endogamie.

Ce lien très fort unissant journaliste et politiques est aussi pour Alexis Lévrier, le poids d’un héritage.

Dès son origine, la presse française a été inféodée au roi. En 1631, deux premiers journaux français sont édités. Seule la Gazette subsistera de par sa fidélité à Louis XIII. Nous avons en France une presse qui dès son origine s’est vue contrôlée par le pouvoir. Si les anglo-saxons ont une presse prenant plus de liberté, c’est qu’elle tire son autonomie d’un régime parlementaire établie dès 1688.

Selon Alexis Lévrier : «  il serait faux de prétendre que la révolution de 1789 aurait permis de rompre avec le contrôle mis en place sous Louis XIII et Louis XIV. Si l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme commence en définissant la liberté d’expression comme « L’un des droits les plus précieux de l’homme. ». Il se termine par une restriction qui en limite singulièrement la portée  « Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ». »

Il résulte de cet héritage que les français sont accoutumés à une presse qui vient d’en haut et subordonnée au pouvoir.

 

III L’avenir d’une exception

La France fait donc figure d’exception parmi le paysage journalistique européen et mondial. Elle tire cette différence de son passé mais aussi d’un mode de fonctionnement qui lui est propre. Dès lors on peut se demander quel est l’avenir d’une telle exception.

Le lien qui existe entre journalistes et pouvoir en France se manifeste par une certaine pudeur, peut-être trop présente, de ces derniers vis-à-vis des dirigeant comme on a pu le voir au travers de l’affaire DSK-Quatremer. Pour Alexis Lévrier : « il est absurde de parler de connivence à chaque fois qu’un journaliste cache l’information qu’il dispose. » Cependant, il ajoute « ne pas céder au culte de la transparence est une chose mais présenter comme une vérité les mensonges d’un dirigeant en est une autre infiniment moins excusable. ».

                Daniel Schneiderman estime qu’une évolution vers une éthique de la transparence serait importante : « Pour eviter les soupçons de connivence il serait souhaitable que les journalistest politiques expliquent systématiquement à leur lecteur la manière dont ils ont obtenu les infos. » « Je ne serais pas choqué que sous chaque article le journaliste indique s’il a mangé avec un politique, s’il a eu rendez-vous avec lui, s’ils ont eu un ou plusieurs entretiens téléphonique, etc : cela supprimerait toute ambiguïté. »

On peut noter que le mode de communication des journalistes est en train d’évoluer avec l’avènement des réseaux sociaux. Twitter, très différent des médias traditionnels offre plus de liberté aux journalistes et se rapproche de fait de ce qu’avait été la presse clandestine.

Mediapart et Arrêt sur image deux sites d’information se voulant libérer de toutes contraintes ont pu s’exprimer sur internet. Cependant ils ont du faire le choix d’un accès payant.

Conclusion

Alexis Lévrier : « La France se targue depuis 1789 d’être le pays des libertés d’expression et revendique avec force un héritage forgé en 1789. Mais cette prétention est peut être l’un des mythes fondateurs auxquels la presse française s’agrippe encore aujourd’hui malgré l’évidence. […] Quelques décennies après la révolution, Tocqueville avait déjà nuancé la portée de cette rupture. Il montre dans L’ancien régime et la révolution que les français n’ont manifestés ce goût pour les libertés politiques que durant une période éphémère, à l’approche de la révolution.

  • Le contact et la distance, Alexis Lévrier, 20 octobre 2016, ISBN: 978-2-36383-209-2

La connivence permet-elle une meilleure connaissance du politique ?

Ce thème fait encore débat parmi les journalistes. Regardons par exemple ce que dit Daniel Schneidermann à ce sujet dans l’Obs, le 27 février 2017.

Daniel Schneidermann est un journaliste français, spécialiste de la critique des médias, puisque son émission, Arrêt sur Images, avait déjà comme principe de critiquer la télévision à la télévision. Il poursuit cette émission sur internet après la fin de la diffusion de celle-ci en 2007. A l’occasion d’une conférence sur le nouveau livre du politiste Alexis Lévrier : « Le contact et la distance », à laquelle plusieurs journalistes connus participent, le thème de la connivence refait évidemment surface: Quelles sont les barrières qui s’opposent à pleine liberté d’investigation des journalistes ? Les positions au sein du monde journalistique semblent diverger. L’auteur prend un exemple personnel : Lui-même avait été au courant de l’existence de la seconde famille de Mitterrand sept ans avant la divulgation de ce scoop dans la presse. Mais à l’époque, ce qui révélait de la vie privée ne semblait avoir aucun intérêt.

Raphaëlle Bacqué et Philippe Ridet, deux journalistes du Monde prétendent quant à eux que les barrières sont désormais abolies, renversées, et que toutes les informations peuvent être révélées. Cela semble donc augmenter l’intérêt pour un journaliste d’être connivent avec les hommes politiques. En effet, il semble donc tout à l’avantage du journaliste de traîner dans l’entourage proche de l’homme politique pour acquérir le maximum d’informations. C’est notamment le cas de Franz-Olivier Giesbert qui revendique complètement: « Moi, je couche avec le pouvoir ». En effet, ils prétendent que cela leur permet de mieux cerner le personnage, de mieux comprendre ses idées, et d’avoir des informations susceptible de plaire aux lecteurs plus vite et de meilleure qualité, surtout quand elles sont « croustillantes ».

Pourtant, il existe encore un exemple troublant : le manque d’intérêt pour les missions de la compagne de Benoît Hamon chez LVMH, malgré le refus du candidat socialiste de participer à l’émission : Ambition intime, notamment parce qu’il était gêné par le poste occupé par sa femme. Seul Challenges, un journal pro-macron, révèle qu’elle occupe un poste important qui pourrait même l’amener à s’opposer à la mairie de Paris, à propos du futur grand magasin LVMH à la Samaritaine. La question se pose de savoir si elle était aussi responsable de délocalisations du groupe LVMH, surtout quand on sait que LVMH est la cible du désormais césarisé documentaire « Merci Patron ! ».

Raphaëlle Bacqué et Philippe Ridet ne semblent pas au courant de cet article de Challenges.

En conclusion, il semble que les barrières ne se soient pas si abolies que cela. Elles sont même rentrées dans une forme de tabou. D’après Daniel Schneidermann, on ne révélait pas la seconde famille de Mitterrand car cela n’avait aucun intérêt politique. En revanche, on cache le rôle de la femme d’Hamon, car cela pourrait l’embarrasser,  au nom d’un principe qui paraît ringard, celui d’après lequel un couple possède une unité d’idées, de mœurs, de pratiques.

Sources: