Neurosciences et Éducation
Une science dure pour l'Éducation?

Une science dure pour l'Éducation ?


 En 2016, le classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) qui compare les performances des systèmes éducatifs de trente-quatre pays de l’OCDE ainsi que dans de nombreux pays partenaires auprès de jeunes de quinze ans plaçait la France 26e en mathématiques et sciences, et 19e en lecture. Ces piètres résultats étaient déjà vivement critiqué par le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Vincent Peillon, les jugeant “inacceptables”. Quelques mois plus tôt sortait le livre de Céline Alvarez, les lois naturelles de l’enfant, best-seller où l’auteure relate son expérience mené de 2011 à 2014 dans une école maternelle de Gennevilliers placée en « zone d'éducation prioritaire » et qui aurait abouti à un développement spectaculaire des capacités cognitives des enfants. Basé sur les principes de neurosciences, ce livre est comme un symbole de cette science en pleine essor, de plus en plus médiatisé et encensé par bon nombre de chercheurs, enseignants et même entrepreneurs, qui voit dans cette discipline un tremplin à des théories éducatives innovantes réformant le système d’enseignement. Étudiant le système nerveux, tant du point de vue de sa structure que de son fonctionnement, depuis l'échelle moléculaire jusqu'au niveau des organes comme le cerveau, cette science est apparue à la fin des années 1960 avec les travaux de Hubel et Wiesel (prix nobel de physiologie et médecine en 1981) pour désigner la branche des sciences biologiques qui s'intéresse à l'étude du système nerveux. Cinquante ans plus tard, les nombreux travaux de neurosciences ont permi de faire des découvertes phénoménales sur la plasticité cérébrale, l’apprentissage ou la mémoire. Ces recherches tentent à présent de s’appliquer de plus en plus dans le milieu éducatif, pour former une nouvelle branche appelé neuroéducation. Pourtant, nombreux sont les chercheurs à critiquer cette engouement pour les neurosciences, et pose la question de l’applicabilité des théories neuroscientifiques aux salles de classe. De l’argument d’autorité au conflit entre neurosciences et sciences de l’éducation, « La neuroéducation soulève plus d’interrogations qu’elle ne propose de solutions concrètes » comme le souligne Marie Gaussel, membre de l’Institut Français de l’Éducation et que nous avons pu interviewer. La place des neurosciences dans l’éducation est donc l’objet d’une vive controverse qu’il convient de développer tout au long de ce site internet.


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Qu'est ce qu'une preuve scientifique ?


 Dans les salles de classes ou dans les laboratoires de recherches, de nombreuses expériences sont menées. A l’issues de celles-ci, des résultats sont données, démontrées empiriquement. Mais ces expériences sont-elles suffisantes pour amener à une preuve inéluctable ? Revenons dans un premier temps sur la définition d’une vérité scientifique selon les différents types de sciences.

 On dénombre habituellement deux types de vérité scientifique (Popper, 1989) : la vérité par constructions logique, d'abord. Partant d’axiomes ou de postulats initiaux, les scientifiques établissent des propriétés et théorèmes provenant uniquement de raisonnements logiques ou mathématiques, qui ne peuvent donc pas être contredit par d’autres théories, puisque fondamentalement vraie. Existe également la vérité issue de l’expérience, qui concerne simplement les résultats bruts des différentes expériences menées scientifiquement. C'est précisément ce type de vérité qui nous intéresse en neurosciences. C'est également le type de vérité le plus sujet à controverse. Prenons l'exemple de la méditation de pleine conscience, nouvelle technique en vogue depuis quelques années pour s'apaiser et se recentrer sur soi-même. Nombreux sont ceux qui ont adopté cette nouvelle technique, du PDG à l'enseignant, rencontrant un succès immédiat avec des résultats très rapides; on dénombre en 2014 plus de 700 études "scientifiques" sur le sujet (Sultan-R'bibo & Rescan, 2014) Pourtant, "Les études en neurosciences montrent des images fascinantes des transformations du cerveau qu'entraîne la méditation. Spectaculaires outils de marketing pour militer en faveur de cette pratique, elles ne prouveraient cependant pas grand-chose. C'est ce que révèle une autre méta-analyse, publiée en avril 2015 dans la prestigieuse revue scientifique Nature Reviews Neuroscience, qui dénonce le manque d'études rigoureuses." (Borde, 2015). Les études scientifiques menées sur ce sujet auraient donc été validées trop vite, et n'auraient pas suivi les différentes étapes de validation scientifique de rigueur. « Si on veut considérer cette approche comme un outil qui améliore la santé et le bien-être, et pas seulement comme une philosophie de vie, il faut accepter les règles du jeu scientifique », d'après Timothy Caulfield, professeur à l'École de santé publique de l'Université de l'Alberta.  En neurosciences, il y a d’un côté les neurobiologistes qui cherchent à rendre intelligibles les interactions des neurones, les cellules qui composent notre cerveau, et leurs milliards de connexions électriques, et d’un autre côté les psychologues cognitifs s'attachent à bâtir des modèles descriptifs et explicatifs sur les processus par lesquels nous recevons et traitons les informations, formons et organisons nos représentations, décodons le langage, raisonnons, prenons des décisions ou résolvons nos problèmes (Reverdy et Gaussel, 2016). Ces deux sous-domaines scientifiques travaillent sur le développement des neurosciences de façon totalement différente : quand les neurobiologistes “mettent la main dans le cerveau” à étudier biologiquement les mécanismes du cerveau, les psychologues cognitifs s’appuie sur l’expérience pour tenter d’approfondir notre connaissance sur des thèmes comme le langage, la mémoire, l’apprentissage. Les résultats scientifiques proposés par ces deux branches scientifiques sont donc différentes par bien des aspects, et la véracité de ceux-ci est déterminé par des critères différents. Ainsi, quand un article s’intitule “La preuve par la neurobiologie que nous sommes tous créatifs. Oui, oui, tout le monde.” (Lorenzo, 2017), il convient d’émettre des réserves et de discerner ce qui a réellement été prouvé; la majorité des articles scientifiques en neurobiologie usent du conditionnel pour présenter leurs résultats et leurs interprétations (Toscani, 2015).


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Le business des neurosciences


 Comme toute nouveauté, les neurosciences attirent énormément l’attention des scientifiques, des parents et des professeurs, mais aussi les investissements. On voit alors fleurir des start-ups ayant par exemple comme objectif de promouvoir les neurosciences ou alors d’apprendre aux enseignants de nouveaux modes d’éducation. C'est par exemple le cas de NeuroSup, Pimetrics, etc...

 Certains y voient alors un détournement négatif des objectifs des neurosciences. “Spectaculaires outils de marketing pour militer en faveur de cette pratique, elles ne prouveraient cependant pas grand-chose.” lit-on à propos d’imageries cérébrales censées prouver l’activité de telle ou telle partie du cerveau selon des stimulations particulières. Les propos de Valérie Borde soulignent tout de même une utilité de cet outil marketing : susciter l’intérêt autour des neurosciences et favoriser l’émergence de soutiens. En effet, les neurosciences étant une discipline nouvelle, les chercheurs sont contraints de publier leurs résultats rapidement afin d’asseoir l’autorité des neurosciences et de pouvoir continuer leurs recherches. (Borde, 2015)

 D’autres sont toutefois bien plus sceptiques et critiques vis à vis de certains profiteurs qui tireraient parti de l’élan des neurosciences pour s’autoproclamer spécialistes. Dans un article publié dans le journal Marianne du 31 octobre 2016, on peut lire de vives critiques contre Idriss Aberkane traité "d'imposteur" des neurosciences. Ce dernier s’est en effet très vite positionné en faveur des neurosciences dans les débats sur l’école. Très médiatisé, il est l’auteur de nombreux textes sur la question de l’apport des neurosciences dans l’éducation. L’auteur de l’article dénonce en particulier des discours presque idéologiques du personnage. Certains de ses détracteurs, venant de toutes parts, vont jusqu’à remettre en cause sa formation et son aptitude à apporter des informations pertinentes au débat.

 Cependant, la large majorité des neuroscientifiques s’accordent à dire que ces subventions leur sont utiles quelle que soit l’utilisation qui est faite des neurosciences. Pourquoi ? Tout simplement car elles attirent l’attention sur cette discipline et donc leur donne accès à plus de notoriété et plus de moyens.


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La surmédiatisation


 “Bon nombre de professeurs adhèrent à des neuromythes, parce qu'ils sont faciles et sensationnels” peut-on lire dans un article de Pascale Toscani rédigé en 2016. Et c’est peut-être ce qui qualifie le plus le “phénomène des neurosciences” en ce sens que ces dernières se retrouvent de plus en plus, à la fois dans les articles scientifiques, mais également dans les articles de presse. Cette surmédiatisation est liée et est même parfois une conséquence de leur qualité d’argument d’autorité.

Idriss Aberkane donne une conférence TEDx. Source : flickr.com

 Roland Goigoux, psychologue, explique dans des propos recueillis par Luc Cédelle en 2016 le problème de la surmédiatisation dans le cas très particulier de Céline Alvarez. Il critique le travail de cette dernière car il estime que ce dernier n’a été réalisé que pour sa finalité, et que l’utilisation des neurosciences n’a pour seul but que de convaincre, voire persuader ses lecteurs de la richesse du nouveau mode éducatif proposé. La sur-médiatisation de cette dernière l’embête d’autant plus car il estime que cela détourne les lecteurs des véritables problèmes liés à l’expérimentation des neurosciences à l’école.

 Lié également au problème des neuromythes, la surmédiatisation répand très rapidement des résultats neuroscientifiques plus ou moins vérifiés, ce qui peut fortement perturber le schéma éducatif par le biais notamment des professeurs.(Pascale Toscani, 2016)


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Normalisation et déterminisme


 Derrière l’engouement croissant pour les neurosciences et leur application dans l’éducation, se cache la question éthique d’un certain déterminisme physiologique lié à notre cerveau. Tous les enfants seraient-ils prédestinés en fonction de leurs capacités propres liés à la formation génétique de leur cerveau ? C’est en tout cas un sujet sur lequel nous met en garde le chercheur Grégoire Molinatti lors d’un entretien avec notre équipe le 19 mai 2017. Prévoir une méthode universelle basé uniquement sur les neurosciences et applicable quelle que soit la classe, l’environnement et l’enseignant de l’élève, c’est accepter le fait que l’enfant ne dépend de ces derniers paramètres pour apprendre et comprendre les différentes matières enseignés. L’essor des neurosciences peut ainsi avoir tendance à dévier vers une certaine forme d’eugénisme, lorsque les différentes techniques et méthodes de cette discipline promettent d’améliorer les capacités de mémorisation et d’apprentissage de l’enfant de manière fulgurante. Les enfants seraient tous issus d’un même format, avec un cerveau différent mais pleinement compréhensible et donc parfaitement améliorable.

Bibliothèque de cerveaux modélisés. Source : flickr.com

 On parle parfois de neuro amélioration (Aberkane, 2015); Raja Parasuraman, professeur de psychologie à l'université George-Mason, en Virginie (Etats-Unis), a étudié différentes façons d'ouvrir ou de renforcer directement de nouveaux canaux « anormaux » pour réduire le temps d'apprentissage d'une connaissance et lui donner plus de résistance à l'érosion. Travaillant sur les pilotes de chasse, il découvre un moyen d'augmenter l'attention, la mémorisation et la vitesse d'apprentissage d'une tâche par stimulation transcrânienne à courant direct. Cette neuro-technologie est dite stupéfiante et, selon son emploi, éminemment bénéfique ou très dangereuse. Ces stimulations sont le commencement d’une forme d’humain augmenté, un transhumanisme controversé puisque très risqué et prédéterminé.

 Pour autant, les récents travaux effectués sur la plasticité cérébrale menés par certains cherhceurs leur permettent de déterminer que l’environnement joue pour beaucoup dans le développement de l’enfant. À leurs yeux, ceci invalide toute forme de théorie trop déterministe. Pascale Toriani, détentrice d’un doctorat en psychologie cognitive, a travaillé sur les plus qu’apportent les neurosciences à la pédagogie. En laboratoire, grâce à l'IRM, avec quatre neurologues, elle travaille, avec des chercheurs et des enseignants de la maternelle à l'enseignement supérieur, sur le cerveau. " C'est un outil extraordinaire sur lequel on a appris plus de choses ces vingt dernières années que depuis le début de l'humanité, précise-t-elle. On observe entre autres que les émotions sculptent le tissu neural, que rien ne se joue avant 6 ans, qu'il se modifie en fonction de l'expérience vécue, des événements de l'environnement.” La plasticité cérébrale et donc, aux yeux de certains chercheurs l'environnement de l'enfant, est un élément déterminant dans l’évolution et dans les différents apprentissages de l’enfant.


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Les sciences sociales et humaines contre les sciences dures et de la vie


 Une des complexités du sujet que représentent les neurosciences dans l’éducation vient de la multiplicité des angles d’approches et de la diversité des études qui sont menées sur un même problème. Pour autant, les média grand public semblent résumer la communauté scientifique à la discipline des "neurosciences". De très nombreuses disciplines ont pourtant leur mot à dire dans cette controverse. On trouvera parmi elles les sciences de l'éducation, plutôt classées parmi les sciences humaines et sociales dans les universités. Parmi les travaux "neuroscientifiques" dans le domaine d'une science dure, ou d'une science de la vie, deux domaines de recherche existent : les neurobiologistes, et les psychologues cognitifs. Les premiers sont des biologistes, travaillant une science dure, de laboratoire, basée sur les mesures et un travail sur l’organe même qu’est le cerveau pour tenter de comprendre le fonctionnement du réseau neuronal. Les psychologues cognitifs travaillent une science de la vie, la branche de la psychologie qui cherche à déterminer la relation entre la psychologie d’un sujet et le fonctionnement de son cerveau. Une grosse partie de leur travail consiste à localiser les zones cérébrales correspondant aux diverses activités du cerveau.

 De par leurs objectifs, leurs méthodes, et leurs protocoles, ces deux types de sciences diffèrent radicalement. (Gaussel et Reverdy, entretien 2017). Les conclusions que les deux types de chercheurs tirent de leurs travaux de recherche sont donc logiquement différentes par leur nature. La progression de la science dure qu’est la neurobiologie est considérée plus certaine, mais plus lente, et moins "spectaculaire" pour un public profane. Selon les deux membres de l'Institut Français de l'Éducation que nous avons interviewées, les psychologues cognitifs, menant un travail avec un plus fort degré d’incertitude, sont parfois trop rapides et livrent des conclusions approximatives, étant en quête permanente de résultats. Ces pratiques peuvent mener à la création de ce qui est appelé un neuromythe, c’est à dire des chiffres ou des résultats “chocs”, qui semblent être des avancées majeures, alors que ces résultats sont encore discutables. D’autre part, les travaux des neurobiologistes arrivent beaucoup plus lentement, et sont beaucoup plus difficiles à adapter en réelles méthodes pédagogiques.

 Pour autant, les neuropsychologues, comme George G. Hruby, du British journal of Educational Psychology, semblent défendre les mêmes aspirations à la précision et à la rigueur scientifique. Comme Monsieur Hruby le défend dans son article publié en 2012, les recherches en neurospychologie ont un réel rôle à tenir, et vont même devenir un domaine de recherche éducationelle à part entière. En parallèle, elle ne sera pas considérée comme légitime tant que les objectifs de résultats et de possibilités d'amélioration concrètes ne sont pas atteints. Ce qui explique le besoin permanent de résultats. 3 défis se posent alors : ne pas travestir l'intégrité scientifique malgré le besoin de résultats, garder une éthique scientifique, et l'obtention de suffisamment de résultats pour une réelle analyse de grands nombres de données.


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Les neurosciences perçues comme un argument d'autorité


 En réponse aux publications de personnalités très médiatisées comme Idriss Aberkane ou Céline Alvarez, certains chercheurs dénoncent le crédit bien trop important qui est accordé à tout article estampillé comme “neuroscientifique”.

 C’est le cas par exemple de Roland Goigoux, professeur de l’enseignement de la lecture à l'université Blaise-Pascal-Clermont-II, qui a dirigé l'étude «Lire-Ecrire-CP», issue de l'observation de 131 classes par 60 chercheurs pendant un an. Il critique de façon assez virulente les nouveautés prétendument apportées par Céline Alvarez. Celle-ci avait mené une expérience de 3 ans consistant à appliquer de nouvelles méthodes à une classe de maternelle, et certains la voyaient déjà révolutionner l’éducation avec ses techniques dites “basées sur des résultats neuroscientifiques”. D'autres, nottament des chercheurs, parlent cependant d’un mysticisme, une forme de culte de ce terme “neuroscientifique”. Or, il ne faut pas oublier, comme le précise Roland Goigoux, que l’emploi des neurosciences dans l’éducation relève de sciences humaines, de sciences dures, mais que l'éducation en elle-même nécessite aussi une volonté de l’enfant et de “l’amour et la bienveillance” autour de lui".

 La neuroscience étant une discipline contenant le mot “science” dans son nom, elle bénéficie selon dans les média d’un crédit accru auprès du grand public. Pour autant, comme nous le rappelait en entretien Grégoire Molinatti, agrégé en neurosciences et en biologie de l’ENS Lyon, la neuroscience est une discipline très récente, car créée dans les années 70. Leur double promesse est la suivante : comprendre le fonctionnement cérébral d’une part, et trouver des applications à la compréhension du cerveau d’autre part. Pour autant, certains chercheurs sont déclamés par leurs pairs, car ceux-ci ont l'impression que la rigueur et la retenue seraient trop effacées dans leurs recherches, dans le seul but d'être publiés en surfant sur la vague médiatique des neurosciences.

 En plus des parts considérables dont elles bénéficient dans le budget de la recherche, elles acquièrent une approbation grandissante dans l’opinion publique. C'est en tout cas l'avis des journaux papiers et télévisés. Il suffit de voir le nombre d’articles et de reportages diffusés dans les médias grand public, ainsi que sur les réseaux sociaux, pour comprendre que les “études neuroscientifiques” sont mentionnées partout. D’une part, certains articles sont, pour les chercheurs, des vulgarisations beaucoup trop poussées des conclusions de recherches. D’autre part, plusieurs personnes se disant spécialistes des neurosciences publient et se font entendre, alors même que leurs résultats sont encore très controversés (Kammerer, 2015).


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Un sujet politique


 Les débats sur la place qu’il faudrait accorder aux neurosciences dans l’éducation font également intervenir des décisions à grande échelle et des gens situés à des postes à hautes responsabilités. La politique est donc omniprésente dans les coulisses de cette controverse, et les divergences d'idéologies sont très marquées.

 On le voyait de façon beaucoup dans les débats précédant l'élection présidentielle. Quand certains journalistes faisaient d’Emmanuel Macron le candidat des neurosciences, d’autres mettent l’accent sur le clivage politique droite/gauche (Emmanuel Berretta, 2017). En effet, Maryline Baumard, journaliste du Monde, explique en quoi les différentes orientations politiques des gouvernements qui se succèdent empêche une avancée de l’éducation. En effet, selon elle, la “droite” serait plus en faveur d’une plus grande place des neurosciences dans l’éducation. La gauche y serait plus hostile. Cependant, de gauche comme de droite, les partis politiques ne valident pas les positions de leurs opposants, ce qui gèle le débat. “La création imminente d'un énième conseil dédié à l'évaluation du système éducatif permettra-t-elle d'instiller un peu de raison scientifique dans les politiques publiques d'éducation ? S'il ne devait avoir qu'une seule priorité, ce devrait être celle-ci.” souligne-t-elle par cette critique vive du débat stérile ayant lieu pour elle aujourd’hui. Ces propos corroboraient ce que Monsieur Molinatti nous disait en entretien : l'idéologie classique de la droite est davantage favorable à une place accrue des neurosciences dans les salles de classe, quand la gauche a habituellement plutôt tendance à s’y opposer".

Najat Vallaud-Belkacem, candidate en faveur des Serious Games. Source : flickr.com

 Patricia Cloutier (2015) s’exprime sur cette question de pouvoir. “On trouve souvent, malheureusement, que les décisions prises ne sont pas basées sur la recherche, elles sont prises tout simplement parce que ça fait le bonheur des gens, donc des électeurs”. Elle explique que suivant les opinions des personnes suffisamment influentes, les directives au sein des choix pédagogiques peuvent changer, provoquant un manque de légitimité et d’unité dans l’Éducation Nationale aujourd’hui. Faute de choix précis réalisés par celle-ci, les décisions sur les méthodes neuroscientifiques dans les salles de classe s’effectuent à deux échelles. C’est pourquoi il incombe à chaque directeur d'établissement scolaire d’autoriser ou non une session d’expérimentation des neurosciences dans ses locaux. Parfois, on remarquera tout de même que certains élus promeuvent à une échelle locale l'emploi des neurosciences. Ce fut par exemple le cas de Najat Vallaud-Belkacem qui faisait la promotion de "serious games" comme Elan dans sa campagne pour les élections législatives.

 Nous n’appuierons ici que peu la question de l’argent dans cette controverse car celle-ci sera plus développée dans la section “Le Business des Neurosciences”. Cependant il est important de garder à l’esprit que les investissements notamment de l’Éducation Nationale dans les neurosciences sont un des facteurs déterminants dans le débat actuel, pour les chercheurs comme pour les enseignants.


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Chocs culturels


 Proposer un mode éducatif neuf n’est pas nouveau. L'école Montessori avait déjà commencé à explorer de nouvelles pistes d’éducation à dominantes sensorielles et kinesthésiques. Les neurosciences peuvent apporter des preuves scientifiques aux changements éducatifs qu’elle propose. Le changement étonne, c’est ainsi qu’une enseignante, en expliquant ses expérimentations dans sa classe s’exclame “Ca paraît loufoque, mais ça fonctionne !” (Source AFP, 2015).

 Plus que de l’étonnement, le changement rencontre parfois de vives oppositions. Cela explique la lenteur et parfois la réticence de l’Education nationale à inclure dans ses réformes les découvertes des neurosciences. Parce que certaines brusquent les moeurs, les enseignants préfèrent garder un mode éducatif qu’ils connaissent et qui fonctionne - malgré les défauts qu’on peut lui donner - plutôt que de se risquer dans des expérimentations. C’est la prévention avant toute chose. Le cas très controversé de Céline Alvarez (voir l’étude de cas) montre le choc entre deux stratégies différentes dans la modification du système éducatif. Céline Alvarez souhaitait par exemple plus d’expérimentations à l’école afin d’améliorer au plus vite l’éducation actuelle (Le Monde, 2016).

 L’Education nationale est critiquée pour son manque d’implication dans les changements préconisés par les neurosciences : « Notre système éducatif est trop figé, déplore Laurence de Gaspary. Nous sommes aujourd'hui l'un des rares pays à ne pas reconnaître le lien entre le corps et l'esprit. Dans les pays anglo-saxons, il n'y a plus de doutes sur les bienfaits de la méditation mais, en France, Descartes a fait des ravages. » (Chloé Belleret, 2015). Néanmoins, Laurence de Gaspary souligne les différentes positions des pays face aux travaux des neuroscience.

La réforme des collèges en 2016 montre une volonté nouvelle de l’Education nationale d’inclure les résultats des neurosciences dans l’éducation. Pourtant dans son article en 2015, Thomas Cavaillé-Fol, journaliste chez Science et Vie doutait de la mise en place de l’enseignement pluridisciplinaire proposé par Najat Vallaud-Belkacem dans sa réforme.

 Certains chocs culturels peuvent être encore plus vifs. Comment ne pas citer le cas de l’Algérie, où deux entités s’opposent : d'une part des familles plutôt aisées qui souhaitent conserver l’apprentissage du français à l’école car cela permet une réussite dans les études supérieures, et d’autre part les familles qui souhaitent la préservation du patrimoine algérien en conservant la langue maternelle à l’école (Ahmed Tessa, 2015). Dans cet exemple précis, une forte dimension historique te culturelle est à prendre en compte


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Définir l'intélligence


 Une difficulté majeure, inhérente à de nombreux problèmes scientifiques d’ailleurs, est la question de définition des phénomènes observés. Dans le cas des neurosciences, c’est la notion d’intelligence qui est sujette à de multiples interprétations. C’est ainsi que certains pourront différencier mémoire et intelligence par exemple tandis que d’autres en parleront de manière presque indifférenciée. Certains articles parlent alors “d’intelligences multiples” pour ne pas créer de clivage entre les différentes facettes de notre cerveau. L’erreur étant en effet de classer les cerveaux entre eux suivants leur capacité à répondre à certains tests particuliers (Source AFP, 2015). Gervais Sidois, cité dans un article de l’Est Republicain publié en 2014, en conclut que « La question n'est plus de savoir si les enfants et les jeunes sont intelligents, mais plutôt de comprendre comment ils le sont ».

 L’accent est mis également sur les notions abstraites d’imagination et de créativité. “Depuis une quinzaine d'années, les publications en neurosciences s'intéressant au mécanisme de la créativité et à ses manifestations dans le cerveau se multiplient. Celles-ci souffrent cependant du manque d'harmonie dans la définition de la créativité et dans les méthodes pour provoquer et évaluer le processus créatif.” (Anne Debroise, 2015)

 L’article explique en particulier que les stimulations du cerveaux, censées mesurer la créativité (selon la définition de celui qui réalise ces derniers) diffèrent du tout au tout d’un scientifique à un autre.

 Définir l’intelligence peut mener à des interprétations diverses d’une même question d’ordre éducatif. C’est le cas de la controverse la réforme éducative en Algérie (voir l’étude de cas). Cette dernière pouvant améliorer les capacités de calcul mais diminuer les capacités linguistiques et de mémorisation des enfants (Abdou Elimam, 2015)


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Bio-éthique


 L’essor des neurosciences pose de nombreuses questions éthiques et morales. D’abord, un premier point de controverse se pose sur la définition correcte de ce qu’est l’intelligence, et en conséquence le champ d’action des neurosciences. L’apprentissage en est-elle une forme, tout comme la mémorisation ? Ou bien l’intelligence n’est que la somme des données que nous avons accumulé depuis la naissance et l’utilisation que nous en faisons ? Ensuite, les découvertes sur le cerveau humain et les modifications que l’on peut maintenant y apporter ne sont-elles pas une forme d’eugénisme, une amélioration génétique de l’être humain pour obtenir le meilleur de ce dernier. Certaines dérives des neurosciences seraient à craindre dans ce sens (Molinatti, 2017).

 Un autre débat s'article autour de la place de l’enfant dans toutes ces nouveautés. En ce sens, plusieurs points sont à aborder, comme l’expérimentation que l’on fait subir aux élèves afin de comprendre davantage le fonctionnement du cerveau de ces derniers. Les expériences en salles de classe peuvent-elles être considérées comme acceptables ? Qu'en est-il pour les batteries d’IRM sur de jeunes enfant, alors que cet examen ne reproduit en rien son environnement naturel. D'autant plus que ces deux méthodes mènent à des résultats qui peinent à être perçus comme preuve suffisante de l’impact de telle ou telle méthode neuroscientifique sur le cerveau de l'enfant ? L’apprentissage ne vient-il pas avant tout de la volonté implicite de l’enfant d’apprendre ? Les neurosciences ne serait alors qu’un moyen limité de développer quelques capacités mnémoniques chez l’élève, sans changer son envie ou son intérêt pour tel ou tel discipline.

 Enfin, les méthodes uniques appliquées dans les salles de classe et basées sur les neurosciences, indépendamment de l’environnement général des élèves au sein d’une salle de classe, des enseignements et des cultures de chacun posent la question d’une certaine normativité des différents individus, où chacun peut s’adapter pleinement à une unique technique. Au delà de cette normativité, comprendre le cerveau jusqu’à un certain point ne pré-détermine pas chacun en fonction de sa physiologie cérébrale, et que l’évolution de l’enfant ne serait dû qu’à la plasticité cérébrale.


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Expériences sur les enfants : que peut on les faire subir ?


 Dans le cadre de recherches menées dans des laboratoires ou dans des salles de classes, les enfants sont souvent au coeur de diverses manipulations et expérimentations. On peut citer dans un premier temps la cas de Steve Masson, directeur du Laboratoire de recherche en neuroéducation à l’Université de Montréal, qui, dans le cadre de son projet de recherche doctoral, intitulé Mécanismes cérébraux sous-tendant les processus de changements conceptuels en physique, utilise les équipements d'imagerie par résonance magnétique (IRM) de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Il a recruté une trentaine d'étudiants en physique qui ont accepté d'être placés dans la machine, le temps de répondre à quelques questions, pour mettre en lumière les rouages de leur «cerveau scientifique». Son objectif : identifier quelles régions cérébrales sont sollicitées et lesquelles sont mises en veilleuse lorsque vient le temps de résoudre certains types de problèmes (Université du Québec à Montréal, 2009). Cette expérimentation soulève de nombreuses questions, nottament morales, dans la communauté scientifique : comment préparer psychologiquement et physiquement les enfants à l’immobilité, au stress lié à l’environnement confiné, aux bruits, à l’inconfort de l’antenne et à la longueur de la session? À partir de quel âge et jusqu’à quel âge est-il nécessaire et acceptable de préparer les enfants et les adolescents? Quel type de préparation est-il le plus bénéfique? (Lanöe et al., 2012). Pour y répondre, l’équipe de Céline Lanoë a réalisé une méta-analyse de 155 études réalisées de 1995 à 2011 incluant 4210 enfants sains de 4 à 17 an (Colloque : Méthodologie de recherche en neuroéducation et retombées éducatives, 2012).

Un enfant passe une IRM. Source : flickr.com

 Dans les salles de classes, les expériences menées concernent principalement de nouvelles méthodes d’éducation sur des périodes plus ou moins longues. Le cas de Céline Alvarez apparaît alors clairement : pendant trois ans à partir de 2011, cette linguiste de formation, auteure et conférencière, a mené une expérience dans une classe de maternelle de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), avant de démissionner de l'éducation nationale au motif qu'elle n'était plus assez soutenue. Sa pédagogie s'appuie principalement sur les neurosciences, retenues comme justification de sa démarche. Elle a donc justifié ainsi sa démarche expériementale menée sur des classes de maternalle. Elle martèle une interprétation simplifiée des neurosciences et qualifiée par certains de quasi mystique en avançant que «l'enfant naît câblé pour apprendre et pour aimer» . Cette expérience a été mené dans un cadre exceptionnel, puisque l’effectif de ses classes était en moyenne d’une quinzaine d’élèves lorsque la moyenne nationale est autour de vingt-cinq. Ces expériences sont donc sans lien avec la réalité du monde enseignant actuel, et «Beaucoup de choses présentées comme nouvelles par Céline Alvarez ne le sont pas » aux yeux de nombreux chercheurs comme Roland Goigoux, qui s’exprimait dans Le Monde en 2016. Cela valait-il donc le coup d'expérimenter sur ces enfants ? Pour ses détracteurs, la question reste entière.

 Prenons enfin le cas des serious games, méthode d'application des neurosciences se voulant plus douce et plus intuitive. Ces jeux sont conçus pour être à la fois agréable à jouer, mais également des outils pédagogiques. Pour autant, certaines personnes, enseignants, chercheurs comme parents d'élèves, généralement assez hostile à la présence croissante des nouvelles technologies dans les salles de classes, voient les serious games d'un mauvais oeil. Pazrmi les derniers jeux employés dans les salles de classe, on compte celui baptisé Elan, qui est le fruit d’un partenariat entre l’équipe de Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, et Manzalab, société parisienne éditrice de serious games. L’idée est que l’enfant reçoit deux informations en simultané : un son élémentaire – le phonème – et la séquence de caractères qui lui est associée – le graphème. À force de répétition, cette combinaison lui permet d’associer les syllabes puis les mots qu’il entend tous les jours à des caractères écrits. Les tests du jeu Elan ont déjà commencé, dans l’académie de Poitiers, auprès d’environ 1 000 élèves de CP. Un tiers des élèves jouent à Elan, un tiers à L’attrape-nombres, logiciel d’entraînement aux mathématiques mis au point en 2011 par Stanislas Dehaene, et les classes du dernier tiers serviront de groupe témoin en ne jouant à aucun des deux logiciels. (Cariou, 2016). Les résultats de cette phase d’expérimentation sont attendus dans les mois à venir.


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La volonté de l'enfant


 Un aspect qui paraît négligé pour plusieurs chercheurs est tout simplement celui de la volonté de l'enfant à apprendre ou non. Ce problème de prise en compte de la volonté de l’enfant vient des multiples modèles de sujet que l’on peut choisir. Considère-t’on un enfant comme un sujet cognitif, un sujet psychologique ou un sujet social ? De la réponse que choisira un chercheur à cette question dépendront beaucoup des conclusions qui seront dressées.  Grégoire Molinatti, agrégé de biologie et détenteur d’un master en neurosciences de l’ENS Lyon, nous confiait son avis sur l’idée même d’une intrusion trop conséquente des neurosciences dans les salles de classes. L’engouement et le renouveau que l’on peut voir dans les neurosciences alors que la France cherche à réformer son système éducatif serait en réalité une “biologisation des problèmes sociaux”. Car entre tous ces facteurs, toutes ces méthodes neuroscientifiques, l’environnement de l’enfant, favorable ou non à l'apprentissage, au cours de son éducation n’est pas assez pris en compte.

 Son environnement recouvre un grand nombre d’éléments, aussi bien à l’école qu’à la maison. Les aspects humains de l’apprentissage sont, nous dit-il, trop délaissés dans cette analyse. Pascale Toriani, docteur en psychologie cognitive à l'Université d'Angers, a traité de l'apport des neurosciences à la pédagogie. Selon elle, on observe entre autres que les émotions sculptent le tissu neural, qu'il se modifie en fonction de l'expérience vécue, des événements de l'environnement. La plasticité cérébrale, à la base de l’apprentissage, s'exprime par la capacité du cerveau de créer, défaire ou réorganiser les réseaux de neurones et les connexions de ces neurones. Et celle-ci est profondément dépendante de l’environnement de l’enfant.

 Monsieur Molinatti va plus loin encore dans ce propos, et nous ajoute un facteur déterminant, une sorte de dénominateur commun : la désir de l’enfant.Oublier ce facteur serait une profonde erreur sur deux plans. Tout d’abord, on omet que l’enfant est libre de choisir s’il se concentre et s’adonne à une tâche. Dans le cas où il ne serait pas désireux d’apprendre, les méthodes seraient elles toujours aussi efficaces ? D’autant plus que les résultats des diverses expériences menées par les chercheurs sont à analyser à la lumière de ce facteur. D’autre part, si la volonté n’est pas importante, et qu’on peut se permettre de travailler en la négligeant, on concède un point de vue extrêmement pessimiste sur les capacités humaines. Cela signifierai qu’un enfant en difficulté ne peut astreindre son cerveau à apprendre avec une méthode donnée si ce n’est pas son “type de mémoire et d’intelligence”.


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Du laboratoire à la salle de classe


 Lorsque les neurosciences permettent des découvertes ayant des applications dans l’éducation des générations futures, on cherche alors à les mettre en place dans nos classes. Mais ce passage du laboratoire à la salle de classe n’est pas aussi aisé qu’il n’y paraît. Plusieurs épreuves restent à franchir pour parvenir à faire bénéficier de nos découvertes à nos enfants.

 Le plus évident de ces défis est celui de créer des méthodes concrètes à partir des découvertes. En quoi le fait de savoir que le cerveau est plastique va-t’il aider un enfant à apprendre à lire ? Ces méthodes seront-elles universelles, et donc efficaces pour tous les enfants de la même manière ? Autant de questions auxquelles les chercheurs comme les enseignants tentent de répondre. Ces deux types d’acteurs vont même parfois se confronter sur le sujet, car possédant des points de vue très différents sur un même problème.

 Au sein même des chercheurs, différents domaines de compétences vont donner leurs avis sur ces même questions. On trouve des neurobiologistes qui travaillent une science sous sa forme la plus dure. D’autre part, les neuropsychologues ou psychologues cognitifs travaillent sur les sujets de mémoires, apprentissage ou langage à travers des méthodes empirques sociales. Ces deux domaines de compétences ont donc des approches méthodologiques différentes, et effectuent donc des travaux très divers, et pas toujours en accord les uns avec les autres. Ceci ramène sur le devant de la scène la question même de définir une preuve scientifique. Sur quels travaux issus de cette neuroscience extrêmement récente peut-on s’appuyer de façon sûre pour instruire la jeunesse ?

 Enfin, il est également mentionné par plusieurs éducateurs et parents l’éthique des expériences sur des enfants. Dans quelle mesure a-t’on le droit de faire subir des tests en laboratoire, en IRM, ou même des méthodes-test à un enfant, ou à une classe. Le laboratoire est-il vraiment un environnement adapté à un enfant ? Il est en tout cas certain que ces deux environnements sont naturellement différents.


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Application des théories à la salle de classe


 Comme un fossé entre deux mondes, le laboratoire de recherche en neurosciences et la salle de classe sont deux endroits totalement opposés qu’il semble parfois bien difficile de rapprocher. Ainsi, Marie Gaussel et Catherine Reverdy, membres de l’Institut Français de l’Education, remarquèrent qu’il n’existe pas ou peu de méthodes neuroscientifiques applicables dans les salles de classe. Il semble en effet impossible qu’une méthode neuroscientifique soit valable partout, quelle que soit les salles de classe et leur enseignant (Santerre-Baillargeon, 2014) : “Ainsi, on apprend en laboratoire que la répétition est excellente pour la mémoire. Sauf que, en classe, un prof qui répète constamment la même information obtient l'effet inverse: il démotive ses élèves qui se désintéressent de ses propos“.

À gauche, une IRM obtenue en laboratoire. À droite, une salle de classe. Source : flickr.com

 Les neurosciences établissent des résultats en laboratoire, souvent fondées sur l'imagerie cérébrale, et montrent par exemple que tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d'aires cérébrales, qui met en liaison l'analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique (Dehaene, 2013). Selon ce psychologue cognitif, 20% des élèves n’apprennent pas à lire, et face à ces résultats il préconise l’individualisation de l’apprentissage, la méthode globale laissant toujours ce même pourcentage d’élève en marge de l’enseignement dans les salles de classe. D’autres styles d’apprentissage, comme l’engagement actif des élèves et l’éducation bienveillante ont été mis en avant par plusieurs recherches neuroscientifiques (Alvarez, 2014). Seulement, ces conseils sont souvent difficiles à appliquer, pour plusieurs raisons. D’abord, certains professeurs s'expriment et disent rester sceptiques par rapport à ces nouveaux enseignements, et préfèrer les bonnes vieilles méthodes générales basées sur le dualisme maître/connaisseur contre élève/profane. Ce sont les cours magistraux, l’apprentissage par coeur, la discipline stricte.

 Ensuite, les effectifs par classe ne se prêtent pas à ce type d’enseignement. Les expériences menées par Céline Alvarez entre 2011 et 2014 se réalisaient dans des classes de maternelle d’une quinzaine d’élèves, là ou la moyenne nationale est de vingt-cinq par classe. Les expérimentations de Dehaene avec ses serious games (l’attrape-nombre pour les mathématiques et Elan pour la lecture) joués par les élèves d’une même classe simultanément nécessitent au préalable des nouvelles formations aux professeurs pour pouvoir gérer ces différentes technologies.

 Enfin, les recherches menées par différentes branches des neurosciences se contredisent entre elles sur les préconisations données en salle de classe. Prenons le cas de l’éducation nationale algérienne, où un groupe de spécialistes en neurosciences a récemment recommandé de ne pas apprendre plusieurs langues en même temps dès le plus jeune âge (ici l’arabe dialectal, littéral et le français), sachant qu’une seule de celles-ci est langue maternelle (Tessa, 2015). Ceci va à l’encontre d’autres recherches scientifiques prônant l’apprentissage de plusieurs langues pour développer la plasticité cérébrale de l’enfant. Dans une étude canadienne (Journal of Experimental Child Psychology, 2016), l’équipe de Diane Poulin-Dubois du département de psychologie de l’université Concordia a évalué des enfants bilingues et monolingues de 2 ans. Les élèves devaient par exemple placer des petits blocs dans un petit panier et de gros blocs dans un gros panier. Puis on inversait les consignes. Les enfants bilingues ont obtenu de meilleurs résultats. Cette flexibilité cognitive leur permettrait de passer vite d’une tâche à l’autre et s’expliquerait par l’habitude d’alterner les langues. (Hendricks, 2017)


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Educateurs et chercheurs


 Derrière ce titre se cache l’une des plus grosses entraves aux progrès et à l’implémentation des neurosciences dans l’éducation. Les discordes entre ces deux piliers du milieu éducatif sont à analyser en deux points. Entre les spécialistes en sciences humaines et sociales, et les chercheurs en sciences dures et en sciences de la vie, la collaboration nous est décrite comme souvent compliquée. D’une part, le manque de travail en commun, le manque de dialogue entre enseignants et chercheurs quand il s’agit de mener les expériences et les recherches. D’autre part, la confrontation qui peut exister entre ces deux acteurs au coeur de la controverse.

 Considérons tout d’abord ce premier point. Un paradoxe est ici à relever : Ange Ansour, traductrice puis professeure des écoles, considère que les neurosciences sont très attractives pour les enseignants. De plus, l’implication d’acteurs comme Céline Alvarez, (auteure du célèbre et controversé “La Loi Naturelle de l’Enfant”), elle même professeure des écoles de formation, montre cet attrait en pratique. Pour autant, l’intérêt des enseignants pour les neurosciences aboutit rarement, en tout cas aux yeux des chercheurs, à des collaborations de recherches réelles . Les deux parties s’en défendent : chacun a son métier, qui lui prend déjà tout son temps, et aucun ne peut réellement se permettre de concilier les deux occupations à temps plein.

 Le second aspect est plus virulent, puisqu’il s’agit d’opposition réelle entre les chercheurs et les professeurs. Certains enseignants vont exprimer leur mécontentement face à ces nouvelles méthodes et nouvelles technologies qu’elles amènent dans les salles de classe. Comme l’exprime M. Monzée, directeur-fondateur de l'Institut du développement de l'enfant et de la famille, les enseignants comprennent bien qu’ils n'arriveront jamais à être aussi stimulants que des applications qui font tomber de l'or ou jouer de la musique quand l'enfant a une bonne réponse. Sont alors mis face à face les méthodes-tests incitées par les neurosciences, et l’expérience de l’Éducation Nationale et ses méthodes.

 Toute implémentation de nouvelles méthodes, issues des neurosciences ou non, implique une formation des enseignants pour leur apprendre à enseigner, à nouveau. Au delà du coût que cela représente, Ange Ansour le disait dans son entrevue avec Le Monde en Mai 2016, cela inquiète les enseignants de voir dans le futur une neuroscience souveraine. Ceci mettrait au second plan toute l’interaction humaine et l’expérience que seuls les enseignants, directement au contact des enfants, sont à même de ressentir et d’appliquer.


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Neuromythes


 Les sciences, physiques, sociales ou biologiques, recherchent souvent à être accessible au grand public. Les chercheurs expliquent que c'est grâce à cet intérêt général que leurs disciplines prennent de l'élan. Les neurosciences n’échappent pas à cette règle. Ainsi, le besoin de certains neuroscientifiques de se faire entendre mène à ce qu’on appelle des neuromythes (Millot P., 2014 ). Ces neuromythes sont des phrases ou statistiques “chocs”, le plus souvent très répandus auprès du grand public. Ils nourrissent l’imaginaire collectif, au travers de films ou de romans, comme le célèbre film de Luc Besson : Lucy. On trouve, parmi les plus répandus :

  • “Nous n’utilisons que 10% de notre cerveau.”
  • “Nous utilisons selon nos gestes, soit notre cerveau droit, soit notre cerveau gauche”
  • “Il existe des types d’intelligence et de mémoire : auditive, visuelle, kinésthésique, ...”

Une illustration d'un neuromythe. Source : flickr.com

Or, il s’agit bien souvent de contre-vérités, ou tout du moins de conclusions trop hâtives, aux yeux de beaucoup de gens, enseignants comme neuroscientifiques. Malheureusement, ces phrases-chocs marquent les esprits et il est alors compliqué pour d’autres chercheurs de les réfuter et de leur faire perdre de l’ampleur (Dekker S., Lee N. C., Howard-Jones P., & Jolles J., 2012). Ces conclusions sont parfois dues à des neuropsychologues, qui travaillent sur une science humaine (Gaussel et Reverdy, entretien 2017), demandant donc des analyses sur des populations étendues, qui se précipitent parfois vers des conclusions encore trop discutables. Les plus critiques de ces méthodes vont jusqu’à les qualifier de désinformation. C’est le cas de David Daniel, docteur en psychologie éducative qui a écrit “If you see “brain-based”, run!” (“Si vous voyez “fondé sur des études neuroscientifiques”, fuyez!”). Il dénonce cette tendance des médias et des sociétés à retenir les résultats "chocs" d’études non-sérieuses plutôt que de se baser sur des résultats scientifiquement solides. Malgré le manque de preuves, ces mythes atteignent parfois les salles de classe. Des méthodes pédagogiques vont même se baser sur ces non-faits, ce qui représente un réel danger aux yeux de Normand Baillargeon, comme il le confiait en avril 2014 au magazine scientifique Québec Science.


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