Entretien avec P. Zarka et F. Mottez

18 Avril 2017 – Observatoire de Meudon

Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Philippe Zarka et Fabrice Mottez à l’observatoire de Meudon. Ce compte-rendu résume les points principaux que nous avons retenu de cet entretien.

Objet d’étude principal des deux chercheurs

Philippe Zarka, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA), étudie les planètes et les exo-planètes par le biais de la radioastronomie. Fabrice Mottez, directeur de recherche au laboratoire univers et théories (LUTH), est lui plus théoricien et spécialisé dans la simulation. Il a beaucoup travaillé sur les pulsars. C’est lui qui les a amenés à travailler ensemble sur le sujet et a lancé l’idée de leur théorie.

Rapide historique des FRBs

Le sujet est apparu en 2007 avec Duncan Lorimer qui a découvert un signal étonnant alors qu’il cherchait des pulsars dans les archives de Parkes puis a dormi pendant quatre ans. En 2011, le sujet a véritablement explosé. Il n’y avait à l’époque qu’une poignée d’articles sur le sujet, depuis, on est arrivé à plus de 150.

Pourquoi s’intéresser à ce sujet ?

C’est un sujet très excitant car il s’agit d’un phénomène nouveau dont la signature est très claire : quand on repère un FRB, « ça crève les yeux ». Le phénomène est vraisemblablement extrêmement énergétique.

Deux classes de mécanismes sont proposées pour expliquer le phénomène :

  • Soit on considère que l’objet à l’origine des FRB est proche. Dans ce cas, l’énergie très importante est compréhensible mais la forme du signal est plus difficilement interprétable.
  • Soit on considère qu’il s’agit d’un objet très lointain (à cause de la forme du signal). La forme est alors due à la propagation à travers l’espace durant plusieurs milliards d’années, mais la source doit avoir une énergie extrêmement forte.

Les FRBs peuvent être rangés dans une catégorie plus large : les phénomènes transitoires rapides. Une partie des gens qui travaillent sur les FRBs vient de ceux qui étudient les pulsars. Ils utilisent les mêmes méthodes de détection et peuvent analyser correctement les données.

Comment fonctionne cette méthode de détection ?

Le télescope fixe une zone très réduite du ciel (“un pixel du ciel”), et reçoit de manière non prévisible un signal radio provenant de cette zone. Puisque la vitesse de groupe de l’onde émise dépend de la fréquence (vg(f)), le temps pour recevoir le signal dépend lui aussi de la fréquence. On trace donc à peu près la fréquence du signal reçu en fonction du temps qu’il met pour nous parvenir, et on obtient une décroissance caractéristique (en 1/f2 environ).
 Le décalage temporel dépend de la densité du milieu traversé Ne (Au voisinage du soleil : Ne = 0,03 cm-3). Celle-ci décroît fortement quand on sort de la galaxie. Un autre facteur qui intervient est la mesure de dispersion (DM pour Dispersion Measure en anglais, exprimée en parsecs par cm3). Pour des phénomènes traversants toute la galaxie on aurait au maximum une DM de 300 pc.cm-3, alors que la décroissance observé en analysant les FRBs indique une DM de l’ordre du millier de pc.cm-3. C’est cela qui a permis de déduire que le phénomène est extragalactique.

Le fait qu’on ait observé jusqu’à présent peu de FRB est-il dû à la rareté du phénomène ou bien aux techniques d’observations ?


Cela est dû aux observations. On estime en effet que des centaines de FRB sont émis chaque jour. Le faible nombre de signaux observés jusqu’à présent vient de l’observation qui se fait dans une direction très ciblée. Il faudrait en effet 800 000 faisceaux pour balayer la carte du ciel… Si on voulait détecter beaucoup de FRBs, il serait nécessaire d’avoir des réseaux de beaucoup de télescopes, sur de grandes plages de fréquences.

Gamme de détection de Parkes : 1 à 3 GHz
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Plus basses fréquences observées pour les FRB aujourd’hui : 0,7 GH.

Pouvez vous résumer où en sont les scientifiques sur la localisation des FRB ?

Premier article (E. Keane) : localisation d’un FRB grâce à une rémanence du signal (afterglow).
 Ceci a été contredit par E. Berger et G. Williams, car la rémanence n’était en fait pas liée au signal du FRB.

Deuxième article : paru en 2017, grâce au FRB qui se répète (une trentaine d’occurrences à ce jour) on a pu regarder d’où venait le signal et le localiser dans une galaxie. On est tout de même loin d’avoir compris l’origine du signal.

Que pensez-vous des hypothèses faisant intervenir des extraterrestres ?

C’est une idée très fréquente dès qu’on ne comprend pas un phénomène malgré plusieurs années de recherche. Ce fut le cas avec les Sursauts Gammas Rapides, ou en pleine Guerre Froide avec les pulsars (1967) par exemple.
 Dans le cas des FRBs, c’est impossible en raison de la régularité des signaux reçus qui seraient très difficiles technologiquement à produire, et surtout l’énergie que cela implique si les extraterrestres en question sont loin. Les « petits bonshommes verts » reviennent en fait très souvent comme une explication générale, mais on ne pense pas à chercher si, en admettant leur existence, cela est cohérent avec les phénomènes. Parfois, on observe une décroissance en 1/f4 due aux turbulences dans le plasma traversé. Cela montre que les FRB ne pourraient pas être dus à une source radio humaine et a permis d’exclure cette hypothèse longtemps envisagée.

Autre hypothèse : on a imaginé à un moment que ces signaux pourraient être dus à des essais nucléaires en Australie. A l’époque on n’observait en effet des FRB qu’à Parkes. La détection d’un signal par le télescope d’Arecibo a contredit cette idée.

En 2007 : le premier FRB observé est aussi le plus fort. Duncan Lorimer pense que c’est un signal humain et il laisse un peu tomber le sujet. Puis, à partir de 2011, on en observe beaucoup, et la controverse commence.

Des signaux étranges observés à un moment étaient en fait liés à l’ouverture de la porte du micro-ondes de la cantine de l’observatoire avant d’appuyer sur le bouton d’arrêt. Leur origine a été découverte par Emily Petroff. Ils étaient baptisés « perytons » (ce qui suggérait d’ailleurs que les signaux était d’origine terrestre). Cela prouve que les chercheurs remettent en question ce qu’ils observent, et sont souvent très lucides sur la validité de leurs hypothèses et observations.

Les FRB peuvent aussi être utilisés pour mesurer la densité particulaire/matière dans l’espace ?


En effet. Pour cela pas besoin de savoir d’où ils viennent. C’est l’autre raison qui les rend intéressants. La mesure de la densité particulaire est aujourd’hui assez approximative. Un des FRBs qui se répète a été observé longtemps et on a repéré dans cette direction une petite galaxie. On a ensuite mesuré son décalage vers le rouge pour trouver sa distance et cette observation a confirmé la densité d’électrons qu’on avait choisie pour faire le calcul au début.

Au début, les signaux n’étaient jamais détectés en direct mais on a voulu le faire en mettant en place à Parkes un système qui analyse les données en direct.

Retour sur les différents modèles proposés

A l’origine, on proposait des modèles avec des étoiles à neutrons qui s’effondreraient en trous noirs. Ces modèles sont dits cataclysmiques.
L’autre catégorie est donc constituée par les modèles non cataclysmiques. Tous (sauf celui de P. Zarka et F. Mottez) font intervenir des sources plus proches. Exemple : matière expulsée par une étoile à neutrons (Supernova) qui conduirait à une densité d’électrons plus forte et ainsi à l’émission des FRB. Mais ce modèle ne marche pas très bien et nécessite en plus d’être proche. Actuellement, il existe un autre modèle par analogie : les pulses géants, liés aux pulsars.

Qu’est ce qu’un pulsar ?

Un pulsar est une étoile à neutrons qui a explosé et un peu de matière s’est effondrée pour former un astre de la masse du Soleil d’environ 20km de diamètre, qui tourne très vite (environ un tour par seconde). Autour de cet objet, le champ magnétique est très fort (108 T). De part et d’autre du pulsar, se trouve un champ d’accélération de particules, qui correspond à la source d’émissions radios, et très loin un vent solaire. Un pulse correspond à la détection d’un signal lorsque l’on passe dans un de ces faisceaux. 
On obtient donc en les observant un diagramme temps-fréquence avec de nombreux motifs.
Certains pulsars émettent de temps en temps des émissions un million de fois plus puissantes : les pulses géants. Ex : le pulsar du crabe. 
Des chercheurs ont donc pensé qu’il pourrait en exister d’encore plus puissants (1000 fois plus), les « super giant pulses » qui seraient en fait les FRBs. 
Il s’agit d’une théorie solide, mais elle reste néanmoins à approfondir.

Que pensez-vous de la vulgarisation scientifique ?

Le sujet des FRBs se prête assez bien à la vulgarisation. Nous avons lut de bons rapports en ce moment avec les journalistes scientifiques qui sont en général des personnes assez compétentes, qui ont réellement envie de comprendre, et ont de bonnes méthodes. Ex : Pour la science, La Recherche, Le Monde, Le Figaro… Sur internet en revanche, c’est beaucoup plus variable car il n’y a aucun tri. Il existe par exemple des blogs d’assez mauvaise qualité.

Question sur la coopération

Lorsqu’un instrument tel qu’un grand télescope est construit par un pays, les scientifiques peuvent y accéder, au mérite. De manière générale, cela est gratuit.
Il faut absolument faire confiance aux autres scientifiques car les idées doivent être partagées pour justifier l’utilisation du télescope.

Aujourd’hui cependant, certains télescopes ne sont ouverts qu’aux pays participants mais d’un autre côté cela est compréhensible car il faut bien récompenser les pays qui investissent.

Proposition d’une théorie

Le grand jeu des chercheurs est de détruire les théories des autres. S’ils n’y arrivent pas c’est qu’elle est bonne… On évalue ainsi les faiblesses et points forts de chacune et c’est ainsi qu’avance la recherche.
 Fabrice Mottez conclut donc en disant que : « le pire, c’est le mépris, quand personne ne s’intéresse à votre théorie ».

Evaluation du travail des scientifiques

Elle fonctionne beaucoup avec les citations et les références qui sont souvent assez orientées. Par exemple, les américains citent beaucoup les américains. Le problème est qu’on a tendance à vouloir évaluer la science sans vraiment la connaître, en utilisant des chiffres comme le nombre de citations.