Critiques des modalités de transformation de la langue

De nombreuses critiques de l’écriture inclusive ne concernent pas le concept d’une écriture non sexiste mais s’attaquent simplement à la forme que prennent les différents outils de cette écriture. Le point médian a particulièrement cristallisé le débat, mais chacun des outils a été source de vives réactions.
 
 
 
 
 
 

Complexification de la langue

C’est un argument qui revient dans toutes les critiques qui ont été faites au sujet de l’écriture inclusive. La langue française étant déjà reconnue comme étant une langue complexe, le rajout de nouvelles règles serait selon ceux qui s’y opposent néfaste d’une part pour l’apprentissage de la langue à l’école et d’autre part pour son intelligibilité dans son utilisation quotidienne. C’est notamment le point de vue de l’Académie Française, qui affirme dans sa déclaration :
« Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. » 
L’académicienne Dominique Bona précise
« L’apprentissage de la lecture est de plus en plus difficile or cette écriture complique la lecture, le déchiffrage de la phrase. Ce n’est pas une bonne idée d’ajouter des difficultés. »
Le Ministère de l’Education Nationale incarné par Jean-Michel Blanquer est aussi de cet avis et décrit ces pratiques comme porteuses d’ « une complexité qui n’est pas nécessaire »
Ces déclarations ont été effectuées après le scandale généré par l’utilisation de l’écriture inclusive dans un manuel scolaire, inscrivant le rôle de l’école au coeur du débat.
Pour faciliter l’apprentissages des règles de l’écriture inclusive, un guide a été publié par le Haut Conseil à l’Egalité des Femmes et des Hommes en juillet 2016
 
 
 
 
 
 

Oralité

De nombreuses interrogations sont posées sur la manière de transcrire à l’oral l’écriture inclusive. L’auteure Catherine Millet dit à propos des inclusions dans les mots :
« J’ai essayé d’en prononcer certains. C’est infernal! La dictée devient impossible. Ce n’est pas un langage oral, or l’oralité vient avant l’écriture. » 
Dans le Figaro, l’éditorialiste Marie-Estelle Pech décrit le point médian comme « illisible » et ajoute : « Cette écriture militante n’a pas grand sens à l’oral. » 
L’Académie Française abonde aussi dans ce sens puisque sa déclaration mentionne « les obstacles pratiques […] de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. »
Pourtant le Guide pour une Communication Publique sans Stéréotypes précise les règles à appliquer pour prononcer les formules contenant le point médian. Il suffit simplement de les remplacer par des double-flexions.
 
 
 
 
 
 

Esthétique

On reproche à ces pratiques de déformer la langue et de porter atteinte à son esthétisme. Tout d’abord, l’introduction de nouveaux mots tels que « autrice » ou « docteure » a suscité de vives réactions. Ensuite, la lourdeur des tournures de phrase contenant des doubles-flexions, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, sont dénoncées. Néanmoins, c’est surtout le point-médian qui a cristallisé le débat sur le coup porté à l’esthétisme de la langue.
Le guide du HCE répond à ces critiques en avançant que : « Le fait de systématiser l’usage du féminin est d’abord une question d’habitude. Ce n’est pas une question d’esthétique, car aucun mot n’est beau ou laid en soi. »
 
 
 
 
 
 

Richesse

Pour certains l’écriture inclusive tendrait à appauvrir la langue. C’est une des raisons pour lesquelles le philosophe et chroniqueur Raphaël Enthoven décrit cette réécriture de la langue comme néfaste. Il établit un parallèle avec la novlangue d’Orwell dans 1984, dénonçant une purgation du langage qui appauvrirait la réflexion en même temps que le vocabulaire. Une des propositions de l’écriture inclusive critiquée de ce point de vue là est notamment l’utilisation privilégiée du langage épicène qui ne contient qu’un nombre relativement restreint de mots.
D’autres jugent qu’au contraire, l’écriture inclusive est un moyen d’enrichir la langue. La féminisation des noms de métiers permet un enrichissement lexical, et certains écrivains comme Jean-Jacques Malo utilise certains termes neutres inventés pour rendre l’écriture moins sexiste, comme « toustes » qui est la contraction de « tous et toutes », qui sont autant de mots nouveaux. De plus ils rappellent également que ce type d’écriture n’a rien d’obligatoire, et relève seulement de préconisations. Ce qui ferait la richesse de la langue, ce serait notamment sa capacité à évoluer avec la société. 
 
 
 
 
 
 

Stabilité

Certains critiquent le fait que l’écriture inclusive ait été créée sous l’impulsion d’un groupe de personnes et ne soit pas le produit d’une évolution répandue dans la langue courante. Une société dans laquelle chaque collectif de personnes choisirait de créer sa propre manière d’écrire et de parler déstabiliserait complètement la dynamique d’évolution de la langue.
Les académiciens pensent qu’il ne faut pas modifier la langue trop brutalement au risque de ne plus se faire comprendre et de la rendre illisible. Selon Dominique Bona, académicienne, «il ne faut pas bouleverser le langage courant». L’écriture inclusive forcerait un changement qui romprait avec l’évolution continue de la langue.Les correcteurs du Monde ont par ailleurs publié un article à ce sujet où ils déclarent : « Certains et certaines d’entre nous pensent que féminiser « artificiellement » et de façon volontariste la langue ne changera pas les moeurs ». Un changement introduit de cette manière ne pourrait durer selon ces individus. 
 
 
 
 
 
 

Concision

L’utilisation de certaines types d’écritures et de graphies, notamment la double flexion et le point médian sont des mots et des signes supplémentaires qui viennent s’insérer dans la langue. Que ce soit à l’écrit ou à l’oral, ces ajouts ont tendances à rallonger le propos.
Pour certains, la langue à naturellement tendance à être « économe » et donc à s’orienter vers les formes les plus courtes. L’écriture inclusive viendrait donc alourdir la langue. Ainsi Jean Pruvost, directeur éditorial des éditions Honoré Champion juge que l’écriture inclusive n’est pas naturelle puisque rallongeant l’écriture. Il explique aussi que cette perte de concision pourrait également entraîner des pertes économiques, car si la longueur du texte augmente, le nombre de pages d’un livre aussi, et il en va de même pour le coût d’impression. De même le Figaro dans un article cite une secrétaire de rédaction qui trouve le rallongement problématique, car la place est limitée dans un journal papier.
Au contraire, pour Pierre Jourde, écrivain et enseignant, le point médian est justement un apport en vue d’avoir une langue plus courte, car il permet de synthétiser des formules peu pratiques comme «les Français et les Françaises» en « Les Français·e·s » qui est plus court. Cette graphie est aussi considérée comme assez légère, il n’est pas beaucoup plus long d’écrire «étudiant·es» que «étudiants». 
 
 
 
 
 
 

Patrimoine

L’écriture inclusive introduit des changements qui viennent bouleverser la langue. Or la langue est considérée universellement comme un patrimoine et certains tiennent à ce qu’il reste intact. l’Académie Française, dont un des rôles majeurs est de protéger la langue française, interroge dans sa déclaration :
« Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? »
L’Académie exprime ainsi sa crainte de voir des générations grandir sans être familiarisées avec des piliers de la culture française à cause d’un décalage d’un langage qui rompt avec la tradition.
Selon l’académicienne Dominique Bona l’écriture inclusive viendrait bouleverser « tout le bagage ancien de la langue qui s’est formé sur plusieurs siècles ». Malgré des règles et exceptions qui peuvent aujourd’hui sembler dépourvues de logique, l’écrivaine tient à ce que ces « trésors » restent intacts car selon elle les supprimer reviendrait à « s’en prendre aux tours crénelées d’un vieux château car elles n’ont plus de sens ni d’efficacité ».
Soulignons néanmoins que l’accord de proximité était une règle acceptée avant que le grammairien Vaugelas la remplace par la règle actuelle sous prétexte de la supériorité du genre masculin sur le genre féminin. Cela souligne le caractère non immuable de la langue.