La race, une réalité génétique ?

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Les études génétiques et la comparaison avec des espèces animales, des arguments en faveur de la faible pertinence des races biologiques au sein de l’espèce humaine

Après des siècles de racisme scientifique, les études génétiques réalisées au début des années 2000 prouvent l’inexistence des races biologiques au sein de l’espèce humaine. Comme l’indique Evelyne Heyer [1], les premiers travaux montrent que l’ADN de chaque être humain possède 3 milliards de paires de nucléotides, qui permettent de coder 25 000 gènes. Les études génétiques du début du 21ème siècle révèlent que la diversité génétique à l’intérieur de notre espèce est de 1 pour mille entre deux êtres humains, ce qui correspond à trois millions de différences génétiques. Notre espèce possède donc une faible diversité génétique comparativement à nos plus proches cousins, tel le chimpanzé pour qui ce chiffre s’élève à 1%.

De plus, la génétique des populations montre que 5% de la variabilité génétique est due à des différences entre les populations humaines. Cela signifie que l’on retrouve, au sein d’une population humaine 95% de la diversité génétique de notre espèce. La comparaison avec les primates met en exergue que cette variabilité génétique entre les populations est faible : elle s’élève à 25 % pour les chimpanzés, 30 % pour les orangs-outans, et 31 % pour les gorilles.

Puzzle ADN [a]

Ces premiers résultats conduisent les généticiens à récuser l’existence de races biologiques humaines. La variabilité génétique au sein des primates est plus importante que celle au sein des hommes, c’est pourquoi il existe des sous-espèces au sein des différentes espèces de primates. Cette grande variabilité génétique chez les primates s’explique par l’isolation géographique que des populations de primates ont subies, et ce pendant plusieurs dizaines de milliers d’années. En revanche, l’histoire de notre espèce est quant à elle marquée par des échanges réguliers entre les différentes populations au cours des migrations, d’où une plus faible variabilité génétique.

Avec la méthode STRUCTURE, le débat est relancé

Dans la suite des années 2000, une nouvelle méthode d’analyse des données génétiques, appelée STRUCTURE, apparait. Il s’agit d’une méthode d’analyse par cluster qui consiste à grouper les individus en fonction de leurs similarités génétiques. Cette catégorisation est faite par un algorithme, à qui l’on indique le nombre de groupes souhaité, de sorte qu’il y ait le plus de différences génétiques possibles entre deux groupes distincts. Cette méthode fait grand bruit dans la sphère publique en raison des résultats obtenus lorsque le nombre de groupes est fixé à 5. En effet, on obtient alors les groupes suivants : Afrique, Eurasie, Asie de l’Est, Océanie, Amérique. Ces résultats sont sortis de leur contexte et repris par des membres de l’extrême droite en France et dans le monde pour justifier l’existence de races biologiques. Le débat sur l’existence des races biologiques est ravivé. Pourtant, comme le rappelle Evelyne Heyer, la méthode STRUCTURE est une méthode statistique d’analyse des données : appliquée au groupe eurasien par exemple, elle permet de recréer des groupes au sein de l’Eurasie. Elle ne vient donc en aucun infirmer les conclusions adoptées par l’ensemble de la communauté des généticiens sur l’inexistence des races biologiques : elle permet simplement d’affiner les connaissances sur les migrations et les mélanges humains.

L’APC : preuve que la notion de race est imprécise

Le généticien Bertrand Jordan [2] souligne que l’analyse génétique permet même de retomber sur quelque chose d’évident, qui va au-delà du concept de race. Il prend l’exemple de l’APC, ou analyse en composants principaux, qui permet de réduire un nuage de données complexes (mettant en jeu une multiplicité de variables corrélées) en les projetant sur un plan à deux dimensions indépendantes, permettant d’extraire des caractéristiques communes.

En savoir plus sur l’APC

On observe dans la plupart des cas que les Espagnols et les Portugais se retrouvent d’un côté, les Français d’un autre, les Italiens encore d’un autre, etc… On retrouve même la carte de l’Europe en réglant bien les échelles. Ainsi, si l’analyse génétique permet de définir des groupes à partir d’un certain nombre de marqueurs, ces groupes ont des limites floues. Le terme de race est donc biologiquement imprécis, on peut mettre le curseur où l’on veut.

Des études sur les diversités génétiques

L’absence de races biologiques humaines n’a pas empêché les généticiens de se pencher sur les diversités génétiques [3]. Elles permettent d’une part de retracer l’histoire des groupes humains, d’autre part d’étudier le lien entre la génétique, les maladies et les comportements humains. Ainsi, en complément au Human Genome Project (qui aboutit à la reconstitution du premier génome humain en 2003), Lucas- Cavalli Sforza fonde le Human Genome Diversity Project, dont l’objectif est de créer une banque de données génétiques intégrant toute la diversité génétique humaine. Son ambition est reprise par de nombreux projets dans la suite des années 2000, comme le HapMap Project, le 1001 Genome Project, ainsi que le Geographic Project. Les bases de données constituées sont une utilisées par les chercheurs dans les objectifs susmentionnés.


L’article de David Reich : la dénonciation d’une orthodoxie à propos de la notion de race, parfois instrumentée et dont la pertinence est discutée

  • Propos de David Reich

Le 28 mars 2018, le généticien David Reich publie un article dans le New York Times intitulé « How Genetics is changing our understanding of race » [4] qui revigore une nouvelle fois le débat moderne sur les races biologiques humaines. David Reich est un expert mondial de l’ADN ancestral, qu’il étudie afin de mettre à jour les trajectoires migratoires et l’évolution de nos ancêtres. Dans son article, il énonce que la race est le « produit d’une construction sociale », et qu’en termes génétiques, les populations humaines sont extrêmement similaires. Il annonce avoir une « grande sympathie pour les inquiétudes selon lesquelles les découvertes en génétique pourraient être mal utilisées pour justifier le racisme ». Mais il rejette la vision selon laquelle « les différences génétiques moyennes entre les humains groupés selon les termes raciaux traditionnels sont si triviales pour les traits biologiques significatifs qu’elles peuvent être ignorées ». Il reproche à la communauté scientifique d’avoir fait de cette vision sa nouvelle orthodoxie, laissant la voie libre communautés racistes de déployer leurs théories pseudo-scientifiques sans craindre les contre-arguments de généticiens non préparés. Il est donc urgent d’engager une discussion objective et scientifique sur ces différences génétiques.

De plus, la génétique moderne démontre selon lui l’existence de différences génétiques impactant les fréquences d’occurrence d’une maladie ainsi que le comportement et l’intelligence des individus au sein d’une population. Comme tous les traits influencés par la génétique varient en fonction des populations, le comportement et l’intelligence doivent varier aussi. Mais, selon lui, peu importe ce que la génétique démontre il est important de se confronter aux résultats sans préjugés et avec la confiance que l’espèce humaine est assez mature pour cela. Certes, la science a toujours été utilisée pour justifier les pires atrocités, notamment l’esclavage et l’eugénisme, mais l’étude des différences génétiques a été socialement positive jusqu’à présent car elle a fourni des arguments pour réfuter plutôt que confirmer l’existence des races biologiques.

  • Une instrumentalisation pour inciter à une haine raciste

Mais l’article de David Reich ravive très vite le débat médiatique sur l’existence des races biologiques. Parmi eux les réactionnaires se trouve Charles Murray, un sociologue américain, notamment célèbre pour son livre The Bell Curve publié en 1994. Dans ce livre, il affirme au moyen de graphiques et d’équations, que le QI est héréditaire, non modifiable, corrélé aux races et aux comportements sociaux, et que les politiques sociales devraient prendre ces corrélations en compte. Pour lui, les personnes de faible QI se trouvent plus souvent dans les groupes non-Blancs que Blancs, et ont plus d’enfant que les personnes de QI plus grand. Ses propos font déferler la critique de l’époque, pour qui la race n’a déjà plus aucun fondement biologique. Pourtant, ses propos sont utilisés comme outil de haine raciste, pour soutenir des projets de suppression des programmes d’aide aux pauvres et au Américains « non Blancs ».


Couverture du livre The Bell Curve: Intelligence and Class Structure in American Life [b]

Récemment, C. Murray a cité l’article de David Reich comme démenti à toutes les critiques qu’on lui a asséné à l’époque. Sa prise de parole publique a déclenché une nouvelle vague de critiques violentes dans la presse et le monde scientifique. Ainsi, les psychologues Eric Turkheimer, Kathryn Paige Harden et Richard E. Nisbeth ont rédigé une réponse publique à C. Murray selon l’argumentaire qui suit. Les psychologues confirment l’existence du QI et le fait que celui-ci prédit de nombreuses trajectoires de vie. Ils reconnaissent une différence notable de QI entre les individus de couleur noire et les individus de couleur blanche aux Etats-Unis. Ils confirment que le QI est partiellement héréditaire comme le sont presque tous les traits humains. Toutefois, il n’existe pour eux aucune preuve de l’existence d’un déterminisme génétique permettant d’expliquer la différence de QI constatée entre les deux groupes. Le QI reste largement influençable par l’environnement dans lequel évoluent les individus, comme le montre l’effet Flynn : au cours des générations, le QI moyen d’une population croit significativement. Aux Etats-Unis par exemple, le Qi moyen a gagné 18 points entre 1949 et 2002, conséquence directe de l’amélioration des conditions de vie. De plus, ascendance n’est pas synonyme de race comme le souligne aussi la majorité des généticiens actuels, car des différences ancestrales sont ignorées et d’autres mises en valeur quand nous catégorisons les personnes par les races, en fonction du contexte socio-politique.

  • La dénonciation de David Reich remise en question par une partie de la communauté scientifique

La communauté scientifique a aussi réagi directement sur l’article de David Reich. Un groupe de soixante-sept chercheurs incluant des sociologues, des comportementalistes, des généticiens, des anthropologues, des chercheurs en droit et en économie, ainsi que des historiens en médecine, en philosophie et en théologie, a réagi publiquement en publiant un article répondant au généticien [6]. N’ignorant pas la contribution remarquable de David Reich dans l’analyse des ADN ancestraux et contemporains, ils rappellent que ses compétences ne doivent pas lui faire oublier les significations culturelles, politiques, et biologiques des grands groupes humains. Tout d’abord, la négation de l’importance de la diversité génétique n’est pas la nouvelle orthodoxie des sciences dures. David Reich ignore les nombreux scientifiques qui ont travaillé longuement sur la question et qui ont démontré l’inexistence des races biologiques. Il existe en effet des différences génétiques entre les aires géographiques au sein de notre espèce, mais ces variations ne correspondent pas d’une part à la définition biologique de la race, et d’autre part aux frontières raciales telles qu’elles sont grossièrement établies aujourd’hui.

De plus, trouver une forte fréquence d’une variant génétique particulier au sein d’un groupe ne fait pas de ce groupe une race. Les chercheurs prennent l’exemple de la drépanocytose qui est identifiée aux Etats-Unis comme étant une maladie des individus de couleur noire. Cette maladie a en effet une forte prévalence dans les populations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, mais les chercheurs rappellent que c’est aussi le cas dans la péninsule arabique, autour de la Méditerranée et en Inde, car elle touche prioritairement les individus qui vivent dans des régions de paludisme. La « race » n’a rien à voir avec elle. Les scientifiques rappellent aussi que deux individus peuvent différer de 15 millions de loci(sites de placement de nucléotides)différents. Compte tenu des variations aléatoires, on pourrait séquencer l’ADN de tous les fans des Red Sox d’une part, et des Yankees d’autre part, et trouver que l’un des groupes a statistiquement une plus grande fréquence que l’autre pour un variant génétique particulier – peut être le même variant que celui que présente David Reich lorsqu’il affirme que celui-ci induit une plus grande prévalence du cancer de la prostate chez les Afro-Américains que chez les autres individus. Mais les Red Sox et les Yankees ne sont pas génétiquement des races différentes. Ainsi, il y a une réelle différence entre trouver des variations génétiques entre des individus, et construire des variations génétiques entre des groupes en les choisissant de façon à ce qu’ils confirment un propos. La sélection des groupes est généralement le produit des constructions sociales préexistantes, ce qui peut conduire le chercheur mal informé à confirmer l’existence des races alors qu’il a pris cet énoncé en hypothèse. Les chercheurs rappellent ainsi qu’ils ne décrient pas l’usage des catégories dans les recherches génétiques, car le travail des généticiens serait impossible sans elles. Toutefois, ceux-ci doivent avoir conscience des héritages sociaux qui conduisent à leur formation de façon à ne pas tirer de conclusion erronée, et limiter leur usage.

Enfin, interpréter les variations génétiques ne peut se faire qu’en prenant en compte un ensemble de facteurs dont les pratiques des échantillons et les facteurs environnementaux. En effet, un gène ancestral peut ne pas avoir contribué au risque de développer une certaine maladie dans son environnement passé, mais il y contribue aujourd’hui quand les individus qui le transportent sont exposés à un environnement dangereux.

  • Un article très véhiculé dans la presse américaine, mais aussi française

Les débats déclenchés dans le monde scientifique par l’article de David Reich ont été largement retranscrits dans la presse américaine. Son article est y est vu comme le marqueur du retour du racisme scientifique depuis C. Murray. Les journalistes avancent la montée récente de l’extrême droite comme cause majeure de ce retour. Donald Trump épouse en effet lui-même la théorie de la supériorité génétique de la race blanche quand il présente son succès comme découlant de ses très bons gènes et qu’il se décrit en cheval de bonne lignée [7]. Selon lui, ses enfants ne peuvent faire face à aucune adversité car ils portent son ADN. Son entourage politique a commencé à répéter son discours comme le Secrétaire des Finances Steve Mnuchin qui a récemment expliqué que l’énergie de D. Trump lui vient de ses « gènes parfaits ». Selon les journalistes et sociologues, le racisme scientifique n’a jamais disparu des Etats-Unis, mais il se faisait discret. Ses adhérents attendaient juste le bon moment pour refaire surface. Comme l’explique Claude-Olivier Doron, les sociologues et intellectuels n’ont pas vu la façon dont les suprémacistes blancs s’étaient emparés des découvertes génétiques récentes et de la médecine racialisée pour confirmer l’existence d’une race blanche supérieure. Ce que le contexte politique américain apporte, c’est un sol fertile favorable à la diffusion de ces idées. La rhétorique décomplexée de D. Trump à propos d’une supériorité génétique et sa pléthore de conseillers vantant la suprématie de la culture blanche occidentale réénergisent les partisans du racisme scientifique.

In fine, certains journaux français relaient les propos de David Reich, comme Breizh-Info qui indique qu’« un généticien américain confirme l’existence de différences raciales » [8]. Même si la communauté généticienne rejette l’existence des races biologiques depuis plus de dix ans, la phrase de David Reich « il n’est désormais plus possible d’ignorer les différences génétiques moyennes entre les « races » » est sortie de son contexte et véhiculée par les médias. Alors que le contexte socio-politique français est lui aussi marqué par la division et le communautarisme, les propos de David Reich sont condamnés par Laurent Alexandre, docteur et fondateur de Doctissimo, pour qui ouvrir la boîte de Pandore de la génétique ne peut que libérer la parole raciste [9].


Person Holding Hands [c]

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Bibliographie

[1] Heyer, Evelyne. « Des races et des hommes, le point de vue de la génétique », 2017. <https://www.youtube.com/watch?v=WQwzEKFdTL4>.

[2] Doron, Claude-Olivier, et Lallemand-Stempak, Jean-Paul. « Interpréter la diversité humaine »? Entretien avec Bertrand Jordan. La Vie des idées. Consulté le 7 avril 2019. <https://laviedesidees.fr/Interpreter-la-diversite-humaine.html>.

[3] Doron, Claude-Olivier, et Lallemand-Stempak, Jean-Paul.« Un nouveau paradigme de la race ? ».La Vie des idées. Consulté le 7 avril 2019. <https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20140331_doron-lallemand-2.pdf>.

[4] Reich, David. « How Genetics Is Changing Our Understanding of ‘Race’». The New York Times.Publié le 23 mars 2018. Consulté le 23 mars 2019. <https://www.nytimes.com/2018/03/23/opinion/sunday/genetics-race.html>.

[5] Gasper, Phil. « The return of scientific racism ». International Socialist Review. Publié en Automne 2018. Consulté le 7 avril 2019. <https://isreview.org/issue/110/return-scientific-racism>.

[6] Buzzfeed.« How Not To Talk About Race And Genetics ». Buzz Feed. Publié le 30 Mars 2018.Consulté le 7 avril 2019. <https://www.buzzfeednews.com/article/bfopinion/race-genetics-david-reich>.

[7] Burmila, Edward. « Scientific Racism Isn’t ‘Back’—It Never Went Away », The Nation . Publié le 6 evil 2018. Consulté le 7 avril 2019. <https://www.thenation.com/article/scientific-racism-isnt-back-it-never-went-away/>.

[8] Breizh-Info. « Selon un généticien américain, l’existence de différences raciales serait réelle », Breizh-Info, avril 2018. <https://www.breizh-info.com/2018/04/14/93779/genetique-differences-raciales-david-reich>.

[9] Alexandre, Laurent « La génétique sur le terrain miné des races », Le Monde, avril 2018. <https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/04/12/la-genetique-sur-le-terrain-mine-des-races_5284322_1650684.html>.

Sources des images

[a] qimono. (2017) Puzzle ADN. Libre pour usage commercial, Pas d’attribution requise. Disponible sur
https://pixabay.com/fr/photos/puzzle-adn-recherche-génétique-2500333/ [Consulté le 18/06/2019]

[b] Couverture du livre The Bell Curve: Intelligence and Class Structure in American Life de Herrnstein, Richard J.; Murray, Charles (1996). Disponible sur https://www.biblio.com/9780684824291 [Consulté le 18/06/2019]

[c] rawpixel.com (2019) Person Holding Hands, Free to use, No attribution required. Disponible sur https://www.pexels.com/photo/person-holding-hands-1389098/ [Consulté le 18/06/2019]