Différentes méthodologies pour différents acteurs

Le triptyque « éviter, réduire, compenser » défini par le code de l’environnement vise l’absence de pertes nettes de biodiversité. Pour annuler les impacts résiduels liés aux projets d’infrastructure, le législateur propose alors de créer une quantité de biodiversité équivalente à celle détruite.

2 981 projets d’aménagement ayant mis en œuvre des opérations de compensation écologique sont recensés par . Chacun de ces projet correspond à une certaine approche de la compensation écologique : leur multiplicité à laissé la possibilité à différents acteurs de s’opposer à chacune de ces approches. Ces oppositions se traduisent par un désaccord avec le maître d’ouvrage.

Ces oppositions ont deux causes :

  • aucune méthode ou groupe de méthode ne fait l’unanimité dans la communauté scientifique ;
  • les enjeux derrière ce choix sont (1) importants et (2) diffèrent pour chaque acteur.
    • pour le commanditaire des travaux, le choix de la méthode détermine le coût de la compensation, et donc influence la rentabilité économique du projet ;
    • pour l’autorité régulatrice des travaux, la méthode choisie permet ou non de suivre les opérations de compensation ;
    • pour les associations de protection de la biodiversité, le choix de la méthode détermine grandement l’efficience des opérations de compensation.

Ces oppositions se traduisent en deux questions :

  • Quelle est la bonne approche de la compensation écologique ?
  • Une méthode de compensation unifiée est-elle souhaitable ? Et de façon sous-jacente : pour qui est-elle souhaitable ?

Après avoir considéré comment ces questions polarisent le débat, elles nous conduiront à étudier où se situent les intérêts des acteurs : « Tout ce qui brille n’est pas or ». Cette étude succincte a vocation à trouver un compromis plutôt qu’à affirmer des oppositions.

Quelle est la bonne approche de la compensation écologique ?

Le choix de la meilleure approche de la compensation écologique se fait entre trois possibilités : une approche surfacique, une approche fonctionnelle et une approche servicielle.

Lors des 2 981 projets de compensation recensés par , les maîtres d’œuvre ont eu l’occasion d’expérimenter chacune de ces options. Leur choix a engendré des désaccords avec les autres acteurs du projet.

Approche surfacique, la meilleure approche ?

Approche surfacique de la compensation
L’approche surfacique de la compensation consiste à associer à chaque hectare impacté un coefficient de compensation. Ce coefficient reflète la rareté des espèces (faune ou flore) qui y vivent. Par exemple « une approche […] surfacique de compensation d’une espèce à valeur patrimoniale élevée aboutirait à une compensation avec un ratio élevé (comme de 5 à 10 hectares de compensation pour un hectare impacté) »

Le choix de l’approche surfacique comme « meilleure méthode » a généré des controverses. Il lui a été reproché

  • son manque de précision. M. Fabien Quétier, directeur d’études au sein du bureau d’études Biotope remarque ainsi durant une audition face à une commission sénatoriale que l’approche surfacique « aboutit arbitrairement à choisir des ratios surfaciques sans réfléchir au contenu technique des mesures proposées sur telle ou telle surface » ;
  • son caractère irréaliste, comme le souligne l’association « Les Naturalistes en Lutte » : « les ratios moyens imposés dans le cadre de compensation au niveau international sont de 10 pour 1 (par exemple 10 ha compensé pour 1 ha détruit), or cette étude montre que des ratios de 20 pour 1 voire de 100 pour 1 seraient plus réalistes. » . L’application stricte de la méthodologie surfacique demande de compenser sur des surfaces bien supérieures à celles disponibles au voisinage du chantier. M. Fabien Quétier ajoute que cette approche « rend parfois les engagements des maîtres d’ouvrage entièrement irréalistes dans leur mise en œuvre et non nécessairement pertinents. » .

Notons que l’association « Les Naturalistes en Lutte » et le bureau d’étude Biotope s’accordent quant à l’inefficacité de l’approche surfacique de la compensation, malgré leur opposition dans le projet de Notre-Dame des Landes.

L’approche fonctionnelle, meilleure méthode ?

Approche fonctionnelle de compensation

La compensation fonctionnelle met en miroir les « pertes » et les « gains », évalués en termes de surface qualifiée, pour chacune des espèces impactées, et nommés « unités de compensation ». Les différentes opérations de compensation possibles sont ainsi comparées du point de vue de leur plus-value (la qualité ou capacité d’accueil finale des habitats travaillés en comparaison de leur état initial), et en considérant leur faisabilité et leur coût. Ainsi, le maître d’ouvrage et ses partenaires ont pu ajuster le volume de la compensation (en surface) en fonction de son efficacité (en unités de compensation par unité de surface) et ainsi intégrer au mieux la compensation dans un territoire aux multiples contraintes.

L’approche fonctionnelle de la compensation écologique est considérée par le bureau d’étude en génie écologique Biotope comme la plus performante actuellement. Biotope met ainsi cette méthode en œuvre sur la majorité de ses projets, notamment le projet aéroportuaire de Notre-Dame des Landes.

Néanmoins, la pertinence scientifique de cette méthode fait controverse à deux égards :

  • Dans , Marthe Lucas fait remarquer que « plusieurs espèces peuvent rendre la même fonction », tout en soulignant que ces espèces peuvent offrir à l’homme des services différents. Par exemple, l’une des des espèces peut être utilisée en médecine, ou être plus esthétique. L’approche fonctionnelle ne tient pas compte de cette possibilité ce qui lui est reproché.
  • La difficulté à justifier la valeur des ratios. Cette difficulté est soulignée par le collège d’experts sollicité par le préfet de Loire Atlantique en 2012 concernant le projet de Notre -Dame des Landes : « Le collège conclut que [les coefficients] sont insuffisamment justifiés, tant sur le choix même de la nature de ces coefficients que de leurs valeurs, du nombre de classes ou des sauts de valeurs le long de l’échelle totale. Or le choix fait par les maîtres d’ouvrage d’utiliser une méthode de compensation fonctionnelle leur imposait de justifier le choix de ces coefficients et les valeurs retenues. » . Remarquons que cette difficulté est inhérente à l’approche fonctionnelle et non simplement un cas particulier du projet de Notre-Dame des Landes puisque le choix de coefficients se fait à « dires d’experts ».

Selon un socio-économiste travaillant à l’Agence Française pour la Biodiversité, les bureaux d’études « ont plutôt intérêt à avoir leur propre méthode plutôt que d’appliquer une méthode unique, parce que c’est quelque chose qu’ils chiffrent auprès d’un maître d’ouvrage » : cela apporte un éclairage différent sur le choix de Biotope pour cette approche de la compensation.

Approche servicielle, meilleure méthode ?

Approche par les services écosystémiques
Les services écosystémiques désignent les bénéfices que les êtres humains tirent du fonctionnement des écosystèmes. Ils se classent en quatre catégories : les services d’approvisionnement (production de nourriture, de fibres, d’eau douce), les services de régulation (pollinisation, régulation de la qualité de l’eau), les services culturels (l’enrichissement spirituel, l’inspiration artistique ou les loisirs) et les services d’appui (cycles naturels, formation des sols, production primaire). .
La prise en compte des services écosystémiques est particulièrement importante dans le cas des zones humides, comme le souligne Marthe Lucas dans , du fait ‘de leur importance pour la gestion intégrée de l’eau.’ .

Dans , Marthe Lucas, écologue chercheuse à l’Université d’Avignon, souligne l’importance de la prise en compte des services écosystémiques, du fait « de leur importance pour la gestion intégrée de l’eau » . Cependant, un socio-économiste travaillant à l’Agence Française pour la Biodiversité explique que l’introduction des servies écosystémiques

« complexifiera la chose […] parce que là vous êtes sur une approche […] anthropocentrée et donc il va falloir arriver à connecter un état des milieux avec les bénéfices rendus pour les humains. Ça revient à remettre encore de la complexité dans quelque chose qui n’est déjà pas forcément très simple […] parce que tous les milieux sont très différents  »

et qu’un même milieu peut rendre, selon sa situation géographique, des services très différents, .

L’approche servicielle de la compensation écologique étend l’approche fonctionnelle en tenant compte des interactions entre l’homme et la nature : elle est donc plus complète. C’est pourquoi la controverse porte sur son applicabilité plutôt que sur ses applications passées. La controverse est alors moins vive qu’en ce qui concernait les deux approches précédentes, puisque l’approche servicielle est encore très peu mise en œuvre.

Malgré les 2 981 projets de compensation sur le territoire Français, le choix d’une meilleure approche de la compensation ne fait pas l’unanimité :

  • L’approche surfacique pour sa trop grande simplicité ;
  • L’approche fonctionnelle car elle se fait « à dires d’experts »
  • L’approche servicielle pour sa trop grande complexité ;

ce qui fait apparaitre localement des controverses, lors de la mise en œuvre de projets de compensation.

Une méthode unique et harmonisée est-elle souhaitable ?

« Les bureaux d’études ont chacun développé leurs méthodes, [qui] ne sont pas toujours très lisibles, pas toujours très transparentes, pas toujours très similaires. […] Cela complexifie le travail des services de l’État qui sont amenés à être consultés pour avis. »

Cette remarque d’un socio-économiste travaillant à l’Agence Française pour la Biodiversité met en lumière un nouvel aspect de la controverse entourant le choix d’une méthode de compensation écologique. Ce nouvel aspect oppose les services déconcentrés de l’État aux acteurs mettant en œuvre la compensation.

Pour répondre à cette multiplicité de méthodes de compensation, l’Agence Française pour la Biodiversité est conduite à une « tentative d’harmonisation » des méthodes d’équivalence. Le recours à une méthodologie unifiée soulève une vive discussion :

  • Pour les écologues ou associations de protection de l’environnement, « vous avez toujours une espèce qui sort et puis qui vient créer un problème parce que votre méthode elle était peut-être très bien mais pour cette espèce elle ne fonctionne pas. » .
  • Le maître d’ouvrage bénéficie, lui aussi, peu d’une méthode unifiée : non seulement « cela lui laisse peut-être moins d’opportunités » mais surtout la complexité d’une telle méthode pose problème aux PME qui « n’ont pas l’écologue maison qui permet de penser cette question » .
  • Les bureaux d’études, enfin, « ont plutôt intérêt à avoir leur propre méthode plutôt que d’appliquer une méthode unique, parce que c’est quelque chose qu’ils chiffrent après d’un maître d’ouvrage » .

La controverse entourant la recherche d’une méthode de compensation unifiée met en lumière les intérêts divergents des acteurs :

  • Les services déconcentrés de l’État bénéficient d’une méthode unique, répondent à des critères d’évaluation uniformes ;
  • Les maîtres d’ouvrage, bureaux d’études et écologues privilégient une méthode particulière, adaptée à chaque cas.
Tout ce qui brille n'est pas or

Sur un chantier, mettre la compensation écologique en œuvre nécessite une méthode. Cette dernière a vocation à traduire localement des objectifs globaux, définis par des textes réglementaires. La discussion portant sur le choix de cette méthode se polarise deux courants :

  • choisir une méthode aussi complexe que nécessaire, afin d’assurer au mieux l’équivalence. Cela signifie, en particulier, choisir une approche de la nature par des services écosystémiques, et peut impliquer la recherche d’une méthode unique optimale.
  • choisir une méthode (relativement) simple, adaptée à chaque projet. Cela signifie une méthode peut-être moins efficace, mais plus facile à appliquer.

Il n’est pas possible de catégoriser les acteurs intervenant dans le projet de compensation selon ces deux courants :

  • le bureau d’étude bénéficie d’une méthode simple ad-hoc, mais également d’une méthode compliquée unifiée. Sa valeur ajoutée est dans un cas d’ordre quantitative, dans l’autre d’ordre qualitative.
  • le maître d’ouvrage bénéficie d’une méthode facile à appliquer c’est à dire d’une recette de cuisine ; néanmoins un projet de compensation complexe peut lui ouvrir d’autres opportunités, de communication par exemple.
  • les associations de protection de l’environnement recherchent la meilleure protection de la nature. Mais pas au prix d’une méthode incompréhensible : les associations réclament de la lisibilité.
  • les services régulateurs de l’état ont intérêt aussi bien à la mise en place d’une méthode unifiée, donc facile à contrôles, que d’une méthode ad-hoc, donc très adaptée à la situation.

Sans oublier que chacun des acteurs cités recherche non seulement son bénéfice, mais surtout d’assurer la protection de la nature à travers l’objectif de « no net loss ».

Finalement « tout ce qui brille n’est pas or » : la méthode la plus complexe n’est pas forcément la meilleure ; mais le contraire est aussi vrai. Cela provoque de vives discussions entre les parties, discussions qui trouvent leur dénouement dans des compromis :

« Il y a quand même des points d’accord [quand] vous êtes arrivés à des lignes directrices, à un compromis. […] Compromis qui a été discuté [dans lequel] les gens se sont mis d’accord sur un certain nombre de points »


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Références bibliographiques :

Curran Michael, Hellweg Stefanie et Beck Jan, 2014, « Is there any empirical support for biodiversity offset policy? »,. Ecological Applications, vol. 24, n° 4, p. 617‑632.
Entretien avec un socio-économiste travaillant au siège social de l’Agence Française pour la Biodiversité, 2019,
Géoportail, « Cartographie nationale des mesures compensatoires mises en oeuvre »,. Géoportail. Adresse : https://www.geoportail.gouv.fr/carte?l0=ORTHOIMAGERY.ORTHOPHOTOS::GEOPORTAIL:OGC:WMTS(1)&l1=MESURES_COMPENSATOIRES::GEOPORTAIL:OGC:WMS(0.8)&permalink=yes [Consulté le : 14 juin 2019].
de MARSILY G et al., « Rapport du collège d’experts scientifiques relatif à l’évaluation de la méthode de compensation des incidences sur les zones humides »,. , p. 124.
ratio de compensation | Naturalistes en lutte, Naturalistes en lutte. Adresse : https://naturalistesenlutte.wordpress.com/tag/ratio-de-compensation/ [Consulté le : 2 juin 2019].
Quétier Fabien, 2015, « La compensation écologique fonctionnelle : innover pour mieux traiter les impacts résiduels des projets d’aménagements sur la biodiversité »,. , p. 6.
Quétier Fabien, Prat Mathias, Dantec Ronan et Trillard André, 2017, Audition de MM. Fabien Quétier, directeur d’études, et Mathias Prat, directeur de production, du bureau d’études Biotope, Sénat. Adresse : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170227/ce_biodiv.html [Consulté le : 4 avril 2019].
Lucas Marthe, 2014, « La compensation écologique des zones humides en France : vers une intégration des services écosystémiques ? »,. Droit de l’Environnement, vol. , n° 219.
Karsenty Alain, 2018, « Services Écosystémiques, Services Environnementaux et Paiements pour Services Environnementaux »,. Adresse : http://agents.cirad.fr/index.php/alain+karsenty/Services_Ecosystemiques_Services_Environnementaux_et_Paiements_pour_Services_Environnementaux.

Lien vers la bibliographie complète ici.