La compensation écologique : une marchandisation de la nature ?

« Ce dispositif est perçu par ses promoteurs comme un marché en devenir, tandis que ses détracteurs y voient le dernier avatar du projet de marchandisation de la nature au cœur des politiques environnementales depuis deux décennies »

Les débats se concentrent souvent comme l’explique Valérie Boisvert autour de l’efficacité a posteriori de la compensation écologique. Par exemple, les entrepreneurs de la conservation qui investissent pour vendre leurs services de compensation écologique pensent que cela permet de maintenir la biodiversité tout en ouvrant un nouveau marché où des entreprises peuvent fructifier. Pour Bernard Chevassus-au-Louis , sans régulation stricte cela consiste simplement en une financiarisation de la nature qui permet de payer pour polluer : c’est le principe du pollueur-payeur.

Ainsi, des acteurs comme Steve Hercé vont même plus loin en disant que non seulement on peut désormais payer pour détruire la nature, mais on obtient ainsi à travers l’argent un « droit à détruire/polluer » :

« Négativement, la compensation est à l’opposé de la protection puisqu’elle présuppose la possibilité d’endommager l’environnement dès lors qu’il suffit de proposer des mesures en contrepartie »

Le fait de pouvoir payer des entreprises pour effectuer en pratique la compensation génère une « économie de la compensation » : ceci pourrait être équivalent à l’achat d’un droit à polluer.

Ainsi, sous ce point de vue, un maître d’ouvrage désirant concrétiser un projet n’a pas pour première nécessité l’application de la démarche ERC « éviter, réduire, compenser » mais peut simplement se demander combien il devra payer pour la compensation des atteintes qu’il va porter à l’environnement. La destruction de la biodiversité qu’engendre son projet peut donc être comptée dans les coûts du projet tout en oubliant la nature irréparable de l’atteinte à l’environnement, au même titre que l’achat d’un terrain par exemple.

Poussée par des personnes comme qui furent convaincues de ses bienfaits potentiels, la compensation écologique, telle qu’elle est construite et voulue par l’état, a comme perspective d’aboutir à des résultats positifs en termes de biodiversité. :

« La compensation écologique ne doit pas être un simple transfert financier du maître d’ouvrage vers une collectivité locale afin de réaliser la trame sur le territoire. En effet, elle nécessite une action positive du maître d’ouvrage pour l’environnement afin de remplir son obligation de résultat sinon sa responsabilité pourrait être engagée. »

         Ainsi à en croire et les conséquences négatives redoutées par les critiques de la compensation écologique, qui ont été évoquées précédemment ne seraient issues que d’une mauvaise interprétation de la loi et de mauvaises mises en pratique d’un concept en faveur et pour le bien de la biodiversité.

« Respecter la loi, c’est respecter son esprit, qui impose d’éviter et de réduire avant de compenser. En ce sens, l’estimation à leur juste coût des actions de compensation incite l’aménageur à mieux réduire les impacts de son projet afin de limiter le besoin de compenser. »

         C’est donc un non-respect de l’esprit de la loi qui induirait une interprétation de la compensation écologique erronée, la décrédibilisant et la faisant passer pour quelque chose d’inefficace. Il s’agirait donc principalement lorsque l’on parle de compensation écologique de coller à l’esprit voulu par la loi, donné dans la doctrine décrivant la séquence « ERC » :

« La mise en œuvre de la séquence doit permettre de conserver globalement la qualité environnementale des milieux, et si possible d’obtenir un gain net, en particulier pour les milieux dégradés »

L’artificialisation croissante des territoires pose un problème non résolu par la mise en œuvre actuelle de la compensation : en effet, on ne « recrée » pas vraiment de la nature, on améliore la qualité de certaines zones naturelles existantes sans désartificialiser . Ce faisant, la proportion de zones durablement affectées par l’homme ne cesse d’augmenter, et considérer qu’un territoire modifié par l’homme ne sera plus jamais naturel peut soulever des questions. On assiste ainsi à l’émergence d’un nouvel objectif « zéro artificialisation nette » dans le Plan Biodiversité 2018.

Dans un autre registre, la compensation écologique peut faciliter la réalisation de nouveaux projets immobiliers et commerciaux stimulant ainsi l’économie : en monnayant ce marché auparavant inexistant de la biodiversité, certains acteurs pensent qu’on peut ainsi dynamiser les nouvelles constructions :

« À partir du moment où l’on pose un prix sur quelque chose, on crée un marché. En l’absence de financements publics internationaux, le résultat risque fort d’être le même que celui de Kyoto en 1997 : une accélération de la mise en place des financements innovants et de la marchandisation de la biodiversité. Les grandes multinationales sont complètement actives là-dedans. »


Références bibliographiques :

Dupont Lucie, 2017, « Compensation écologique et trame verte et bleue : une combinaison à explorer pour la biodiversité »,. Revue juridique de l’environnement, vol. 42, n° 4, p. 649‑658.
Boisvert Valérie, 2015, « La compensation écologique : marché ou marchandage ? »,. Revue internationale de droit economique, vol. t. XXIX, n° 2, p. 183‑209.
Regnery Baptiste, 2017, « La compensation écologique : une “absence de perte nette de biodiversité” est-elle vraiment possible ? »,. Les notes de la Fondation de l’Ecologie Politique, vol. , n° 11. Adresse : http://www.fondationecolo.org/activites/publications/compensation [Consulté le : 28 mars 2019].
Hercé Steve, 2017, « La loi Biodiversité du 8 août 2016 a-t-elle consacré un “droit à détruire” ? »,. Bull. du droit de l’environnement industriel, vol. 72, n° 72.
Ministère de l’écologie, 2012, Doctrine relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel, Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Adresse : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Doctrine%20ERC.pdf [Consulté le : 27 mars 2019].
Bertrand Marie-Noëlle, 2010, « L’économie sauvera-t-elle la biodiversité ? »,. l’Humanité.
Chevassus-au-Louis Bernard, Abel Jean-David et Thiévent Philippe, 2017, « Peut-on compenser les pertes de biodiversité ? »,. l’Humanité. Adresse : https://www.humanite.fr/peut-compenser-les-pertes-de-biodiversite-633119 [Consulté le : 13 mars 2019].

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