une décision européenne controversée

Quelles lois mettre en place pour ces nouveaux OGM ?

Depuis leur apparition, les nouvelles techniques d’édition du génome (dont CRISPR-Cas9) font l’objet d’un débat acharné au sein de l’Union Européenne concernant leur réglementation et régulation. La question est avant tout de savoir si les êtres vivants modifiés par édition du génome (on dit aussi génétiquement édités) sont de même nature que les OGM conventionnels.

« Les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM, dans la mesure où les techniques et méthodes de mutagenèse modifient le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. »

Avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne, le 25 juillet 2018
Cour de Justice de l’Union Européenne. (source : pixabay.com)

Les organismes génétiquement édités sont ainsi considérés de la même manière que les OGM classiques et par conséquents, soumis aux mêmes lois en Europe.

Pour comprendre le débat autour des nouveaux OGM chez les animaux d’élevage, il est important d’avoir en tête que ce n’est que le prolongement d’un débat ancien et plus global, celui des OGM. Enfin, s’intéresser aux lois qui régulent l’édition du génome en Europe c’est donc s’intéresser aux lois autour des OGM en général.

En 2001, l’Union Européenne met en place la directive 2001-18 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement qui encadre les OGM en Europe en définissant les procédures d’autorisation de dissémination volontaire (introduction intentionnelle dans l’environnement) ainsi que de mise sur le marché d’OGM. Voici la définition légale d’un OGM définit par cette directive : « un OGM est un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. »

Ce n’est que 7 ans plus tard, en 2008 que cette directive sera transposée dans le droit national français. Mais quelques mois auparavant, la France avait établit un moratoire interdisant la culture (il n’est pas encore question d’élevage à l’époque) d’OGM à des fins commerciales. Ce moratoire fait apparaître une forte opposition de la part de nombreux scientifiques. En effet, un groupe de 300 spécialistes s’opposent à cette décision à travers la déclaration publique non-au-moratoire sur le maïs GM résistant à la pyrale dans laquelle ils affirment qu’une “décision de suspension de la culture des OGM, qu’elle dise son nom ou qu’elle soit dissimulée derrière des mesures réglementaires discriminatoires – et donc dissuasives – n’aurait aucune justification scientifique car elle ne s’appuierait que sur des incertitudes imaginaires voire mensongères tant sur le plan environnemental qu’alimentaire. Une telle décision serait en contradiction avec le principe de précaution.”  Le débat est lancé.

Pourquoi une telle décision ?

Nous avons vu que ces nouvelles techniques de génie génétique semblent être révolutionnaires pour plusieurs raisons, notamment la rapidité, la précision et la simplicité de mise en œuvre. Alors pourquoi l’Union Européenne a-t-elle décider de mettre ces nouveaux OGM dans le même sac que les anciens, et les soumettre ainsi à une réglementation très stricte ?

L’idée principale réside dans le fait que les nouvelles techniques d’édition du génome modifient le génome du vivant de manière non naturelle. En effet, les techniques d’édition du génome sont basées sur la mise en œuvre de mutagenèse dirigée, c‘est-à-dire l’introduction de mutations précise sur un gène cible. C’est en cela que les nouveaux OGM ne sont pas “naturels”. Il s’agit donc d’une intervention sur le processus de reproduction du vivant par introduction de modifications génétiques sans avoir suivi les formes de régulations naturelles. C’est donc ce dernier point qui explique la décision de la Cours Européenne de Justice.

Mais cet argument est loin d’être suffisant pour faire taire le débat. Selon de nombreux experts, la différence fondamentale entre anciennes et nouvelles techniques de modifications génétiques est l’absence de transgenèse dans les nouvelles méthodes, soit l’absence d’introduction de matériel génétique étranger (exogène) dans le génome. En effet, auparavant, avec la transgenèse, la source d’incertitude principale était justement cette implantation d’un ou plusieurs gènes étrangers dans un organisme. Mais l’édition du génome n’a pas recours à ce genre de technique puisqu’il s’agit uniquement de modifier le génome par mutagenèse, c’est-à-dire sans apport de matériel exogène.

Selon Catherine Bourgain, directrice du Cermes3, généticienne et membre du comité d’éthique de l’Inserm, le problème est ailleurs et réside dans la vitesse à laquelle on fait évoluer le vivant. Les techniques de modifications génétique permettent d’accélérer considérablement et de diriger l’évolution du vivant, et ceci est d’autant plus vrai avec les nouvelles techniques d’aujourd’hui.

« La question de la vitesse est fondamentale dans l’évolution du vivant et cela introduit des choses que l’on maîtrise très mal. De ce point de vue là, les OGM nouvelle génération sont de même nature que les anciennes. »

Interview de Catherine Bourgain, directrice du Cermes3, généticienne et membre du comité d’éthique de l’Inserm, le 3 juin 2019.

En effet, aujourd’hui les génomes ainsi que leurs dynamiques restent très mal connus, et ceci est d’autant plus vrai chez les animaux que chez les plantes. De plus, l’édition du génome chez les animaux est plus difficile et incertaine que chez les plantes, qui disposent d’une adaptabilité accrue grâce à un génome plus souple. Certes les nouvelles techniques permettent de modifier le génome plus rapidement, à moindre coût et avec davantage de précision mais est-ce que l’on maîtrise et comprend mieux ces modifications pour autant? Ce n’est pas si évident puisqu’on constate que sur toutes les expériences de modifications génétiques menées en laboratoire, il y a toujours des mécanismes imprévus qui empêchent d’obtenir exactement le résultat souhaité. Pour certains, cette directive européenne est donc une bonne décision au sens où la loi permet de ralentir et ainsi contrôler  le développement de ces techniques de génie génétique qui font évoluer le vivant extrêmement rapidement avec un maîtrise encore insuffisante.

A l’inverse nombreux sont ceux qui y voient une très mauvaise décision, et notamment un frein à l’innovation. Les nouveaux OGM étaient l’opportunité parfaite pour contourner la réglementation stricte autour des OGM conventionnels. Beaucoup d’experts espéraient donc un changement de rapport de force politique au sein du parlement européen concernant les OGM, qui aurait permis de redistribuer les cartes d’une tout autre manière. Finalement, la décision de 2018 a balayé ces espoirs.

Avant tout une décision politique

Il ne faut pas oublier que la loi est le résultat d’une décision politique de l’Europe. Nous avons vu que la politique européenne très stricte en matière d’OGM n’est pas nouvelle et le choix d’y soumettre les nouveaux OGM en 2018 n’en est  que la continuité. Il s’agit d’un choix de cadre d’agriculture et d’élevage bien spécifique, dans lequel les OGM n’ont pas leur place, contrairement à beaucoup d’autres régions du monde comme au États Unis ou en Amérique Latine par exemple.