Un dispositif encore inabouti ?

Le dispositif est-il suffisamment visible pour l’utilisateur ?

 

L’ADEME déplore que le système est « largement méconnu du grand public » avec seulement 2 millions de personnes qui en ont bénéficiées depuis 2011. UFC-que-choisir en fait un constat encore plus dramatique, selon des sondages réalisés en 2018, seulement 13% de la population est au courant de l’existence du dispositif [1]. Dans la conclusion de son rapport 2018, l’ADEME souhaiterait :

– Renforcer la visibilité du dispositif CEE
– Permettre le meilleur accompagnement possible
– Faciliter les comparaisons d’offres.
 
Ces décisions sont une réponse aux plaintes des utilisateurs, qui affirment ne pas pouvoir s’y retrouver parmi la diversité des offres proposées par les professionnels de rénovation. Pourtant les opérations soumises à des CEE sont toutes référencées par des fiches standardisées sur le le site écologique-solidaire, qui pour chaque opération, définissent les conditions de délivrance du certificat. Ces fiches sont intentionnellement peu contraignantes pour l’opérateur de travaux, car le dispositif CEE, selon la vision de la DGEC, souhaite être un outil flexible.

Cependant, si peu de particuliers décident d’utiliser le dispositif par eux-même, les grandes entreprises, elles, sont souvent bien au courant de son existence, du fait qu’elles ont des obligations réglementaires sur des normes environnementales à respecter. Pour entrer dans ces normes, les entreprises décident d’elles-même d’utiliser les CEE, car dans tous les cas elles devraient effectuer des travaux, et les CEE leur permettent de rentrer dans leur budget.

Maintenant il y a des normes et des contraintes réglementaires qui obligent à faire ça (entrer dans les normes). Ensuite, à cause des coûts que l’énergie représente, les entreprises sont obligées de faire des actions parce que les prix montent sans arrêt.

Responsable CEE d’une grande entreprise

Les travaux sont-il correctement conduits ?

De plus, l’enjeu financier important crispe les énergéticiens. Le dispositif coûte cher pour eux et risque de coûter même plus cher s’ils ne parviennent pas à atteindre les objectifs.


Entretien avec l’ATEE

Lors d’un entretien avec un membre de l’ATEE, qui s’occupe de piloter le dispositif en tant qu’intermédiaire entre l’ADEME et les obligés, nous apprenons que les obligés, contraints par le gouvernements essaient de se décharger au maximum de leurs objectifs en délégant les opérations soumises à des CEE à des sociétés délégataires [10]. Parmi celles-ci se glissent des opérateurs peu scrupuleux, qui n’annoncent pas de devis précis, n’assurent aucun suivi des travaux, le tout pour valoriser au plus vite les CEE, explique le rapport de Tracfin 2018 [5]. Les obligés eux-mêmes ont la fâcheuse tendance de choisir des sociétés délégataires souvent peu compétentes afin de diminuer leurs coût. La CAPEB dénonce cette pratique fallacieuse, et s’indigne : il s’agit pour les travailleurs agréés d’une concurrence déloyale, car les clients préfèrent « Changer de chaudière pour 1€ » malgré un travail médiocre, plutôt que de faire appelle à une société plus qualifiée ne proposant pas la subvention CEE. L’ADEME oppose que ce type de pratique ne concerne que les CEE précarité, qui est un second type de certificat adressé aux ménages modestes en condition de précarité énergétique. Ces opérations de rénovation sont soumises à des subventions plus fortes, mais également plus valorisées en terme de volume de CEE.

Mais c’est aussi une « boîte à claque » qui attire des artisans qui font n’importe quoi; ils engagent des travailleurs sans qualification et illégalement, qui font des travaux à tout va sans faire les vérifications nécessaires au préalable (par exemple, des isolations sous les toits on été faites sans qu’il n’y ait de place, ou alors de la laine de verre a été posée partout dans les combles, sur les meubles … ). Ce phénomène est inévitable car il est très fortement financé et donc très incitatif .

Entretien avec l’ATEE

Néanmoins, des enquêtes de satisfaction montre que les entreprises semblent, de manière générale, être tout à fait satisfaites des travaux conduits, de même que la plupart des particuliers. Les dérives ne représentent que des cas isolés d’utilisateurs en état de précarité énergétique.

 

 

Le dispositif est-il suffisamment contrôlé ?

 

Le dispositif CEE a pour première intention, une implication du gouvernement à minima, c’est aux énergéticiens d’inciter les clients à l’efficacité énergétique. L’ADEME réalise donc peu de contrôles, et se retrouve vite dépassée.

Le dispositif en soi est bon mais il n’est pas pilotable ; à la DGEC, seules 15 personnes ont pour rôle de gérer le dispositif.

Entretien avec un membre de l’ATEE

L’ADEME n’est pas seulement incapable d’effectuer un suivi des chantiers de rénovation énergétique, elle a également un retard considérable sur le traitement et la validation des certificats. [6] Le rapport 2016 de la Cour des Comptes explique que, « Début 2015, la valeur du stock de CEE en attente de traitement représentait ainsi plus d’un quart de la valeur totale des CEE déposés au pôle national des certificats d’économies d’énergie, et les retards dépassaient pour certains dossiers près d’un an et demi. »
Dans le rapport de 2018 de l’ADEME, celle-ci témoigne qu’entre janvier 2015 et novembre 2017, 170 contrôles ont été initiés. Seuls 50 ont réellement été terminés, et sur ces 50, 30 sont non conformes et 20 conformes. Cela prouve une fraude généralisée du système et un manque de contrôle.

Le rapport 2018 de Tracfin [5] décrit le phénomène résultant de ce manque de contrôle : on voit apparaître des sociétés délégataires dont le business est entièrement lié aux CEE, et qui minimisent le coût des travaux en ne respectant pas les normes, ou encore obtiennent des certificats en déclarant des travaux jamais conduits.

De plus, comme en témoignent des entreprises ayant fait des demandes de CEE, les formalités à remplir pour obtenir les CEE sont lourdes. Des sondages menés par l’UFC-que-choisir en 2018 montrent que la majorité des utilisateurs trouvent le dispositif administrativement pesant [1]. Selon ce sondage, près des trois quarts (73 %) des ménages n’ayant pas recours aux CEE connaissaient leur existence quand ils ont entrepris leurs travaux mais ont renoncé compte tenu des lourdeurs et limites du dispositif.

Tu ne reçois la subvention qu’après avoir fait le projet, qu’après avoir fourni les factures et qu’après avoir signé un papier comme quoi les travaux sont terminés, qu’ils ont été faits etc, engagement sur l’honneur etc. Normalement il n’y a pas de problème.

Responsable CEE d’une grande entreprise.

Un membre de l’ATEE nous affirme que le cas de fraude chez les entreprises sont rares. Quand il y en a, cela fait bien évidemment du bruit et le phénomène prend de l’ampleur, mais il n’y en pas a eu tant que ça. Si fraudes il y a, elles concernent généralement peu les particuliers, mais plutôt le pilotage du dispositif.

Depuis le début de la 2ème période en 2011, la Cour des Comptes, dans ses conclusions de rapport, insiste pour rendre l’étude a posteriori auprès des obligés systématique. L’ADEME est néanmoins parfaitement consciente de cette faiblesse, et statue qu’elle ne souhaite pas augmenter le nombre de contrôles car cela induirait une hausse importante du coût du dispositif, qui s’oppose à la politique initialement envisagée.

Selon une étude menée par Tracfin, les travaux annoncés sont 2 à 10 fois plus conséquents que ceux réellement effectués. Cela remet grandement en question l’efficacité du dispositif CEE, car les subventions ne sont pas à la hauteur du devis annoncé.

 

 

Qu’en est-il de l’argent investi ?

 

La CAPEB dénonce un gâchis d’argent, et souhaiterait voir subventionner des formations d’ouvriers plutôt que des opérations mal menées et ne produisant que peu d’économie d’énergie au vu de l’argent investi. En effet, avec un quasi-doublement des objectifs d’économie d’énergie imposé aux obligés au cours de la 3ème période, cela représente pour eux un coup de 6 milliards d’euros sur la période. C’est désormais plus que ce qui est accordé au crédit d’impôt pour la transition énergétique. Il est donc légitime pour eux de se demander si cet argent est correctement investi dans le dispositif CEE.

Des études menées par UFC-que-choisir montrent que le montant de la prime des certaines opérations CEE est parfois dérisoire comparé au prix total des travaux, ou bien dérisoire comparé au montant des autres aides. Pourtant, les artisans professionnels accusent le dispositif de fournir des subventions abusives, risquant d’atteindre leur chiffre d’affaire. La DGEC explique que seules les opérations concernant des ménages en état de précarité énergétique font l’objet de primes conséquentes : il s’agit de fournir un financement incitatif. Les arguments de la DGEC sont que si on ne donne pas la gratuité à ces gens, ils ne feront jamais les rénovation. 

La CAPEB se plaint aussi de l’image qu’a le dispositif des CEE mais l’ATEE décide de ne rien faire car elle ne veut pas brusquer les adhérents, donc ne peut pas durcir le dispositif. Cependant, il faudrait bien plus de contrôles pour éviter les dérives. Seulement, ceci implique que les délais de délivrance des CEE augmenteraient encore davantage.

Ce que j’aimerais et qui me semble adapté, est de mettre en place un programme pour contrôler le dispositif. S’il était encadré en terme de prix (autour de 5€ -7€ mais avec des variations possibles), il n’y aurait plus d’effet d’aubaine ni d’effet pervers (fraudes et autres). Pour les aides supplémentaires à la précarité, il faut qu’elles soient faîtes avec des contrôles verrouillés pour assurer une bonne organisation et une bonne qualité, sans quoi le système n’a pas d’utilité.

Entretien avec un membre de l’ATEE

De leur point de vue respectifs, l’argent est pour l’instant mal investi pour les différents acteurs, qui considèrent différents gagnants.