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Le dimanche, jour commun ou d’exception ?

EVOLUTION DU DEBAT AU COURS DU TEMPS

Sur cette page, vous trouverez une description mêlée d’une analyse de la manière dont la question du repos dominical a évolué depuis la fin des années 1970. Elle vient donc en complément de la chronologie, de la description des acteurs, et des articles détaillant plus précisément les points qui ont fait débat, et que nous appellerons ici les noeuds de notre controverse.

Au fil des années, des actions de justice portant sur des ouvertures de magasins le dimanche et des lois successives venues encadrer cette pratique, la nature et l’objet des débats ont en effet constamment évolué.

A la fin des années 1970, les grandes surfaces sont encore des inventions récentes. Rappelons que le premier hypermarché a ouvert en 1963. Dès le début des années 1980, des pressions économiques se font sentir dans le monde de la grande distribution : les hypermarchés aimeraient pouvoir ouvrir le dimanche, pour réaliser plus de profit. Disons que c’est l’élément déclencheur de notre controverse.

A plusieurs endroits, on observe d’ailleurs des ouvertures illégales le dimanche, comme l’ont rapporté des députés et sénateurs lors des débats sur les propositions de loi en 2008 et 2015. On pourra citer par exemple Annie David, sénatrice du parti communiste : dans un rapport sur sa proposition de loi permettant de garantir le repos dominical, elle dénonce le fait que la création des PUCE (périmètre d’usage de consommation exceptionnelles) ait permis de régulariser des habitudes d’ouvertures illégales de plusieurs magasins de la circonscription de M. Maillé qui était à l’origine de la loi de 2009.

« Pendant des décennies, [ils] ont ouvert le dimanche sur la base d’arrêtés préfectoraux, qui ont fini par être annulés par les tribunaux. Leur ouverture a néanmoins perduré en toute illégalité et la loi « Maillé » est venue régulariser leur situation en créant un nouveau cas de dérogation au principe du repos dominical » (David, 2011).

Face à ces arguments d’ordre économique – arguments qui seront développés dans la page qui évalue les avancées sociales et économique – des voix s’élèvent pour défendre le travail dominical. Ces voix sont en grande partie celles des travailleurs, via leurs syndicats, qui ne veulent pas perdre ce qu’ils considèrent comme un grand acquis du code du travail. Il s’agit là de défendre le droit à un repos collectif hebdomadaire, ainsi que les intérêts des employés. Se posent donc des questions sur le sens de ce repos collectif et hebdomadaire, qui est établi en France depuis des siècles, et qui avait déjà connu, sous la troisième république environ un siècle plus tôt, de vives remises en questions (Beck, 2009).

Le débat, suscité par des arguments économiques, se porte donc sur la dignité des travailleurs, et plus généralement sur des questions éthiques et anthropologiques.

Par ailleurs, la question économique ne fait pas nécessairement l’unanimité : on se demande déjà, parmi les défenseurs du repos dominical, si le fait d’autoriser les ouvertures le dimanche apportera réellement un bénéfice pour l’économie. Ainsi, dès 1992, quatre chercheurs publient un rapport dans lequel ils simulent les conséquences de l’ouverture des commerces du dimanche, dans quatre scenarii s’appuyant sur différentes hypothèses quant aux habitudes qui pourraient être prises par les Français. Selon les scenarii, leurs conclusions varient entre un effet neutre sur l’emploi et une destruction importante d’emploi. (Cette et al, 1992)

Jusqu’en 2008, toutes les propositions de loi permettant l’ouverture des magasins le dimanche échouent. C’est finalement en 2008 qu’un premier texte, la loi Châtel (LOI n° 2008-3 du 3 janvier 2008 – Article 11) est adoptée. Cette loi vient étendre le cadre des dérogations aux magasins de bricolage et d’ameublement, afin d’encadrer les dérives qui avaient eu lieu jusque-là dans ce domaine précis.

Quelques mois plus tard, le parlement adopte la loi Maillé (LOI n°2009-974 du 10 août 2009). Cette proposition de loi était le fruit de la commission Attali réunie par le président M. Sarkozy en 2007 dans l’objectif de relancer la croissance économique en France. Elle préconisait ainsi que les magasins puissent demander au préfet des dérogations leur permettant d’ouvrir le dimanche. Cette loi garantissait aux salariés la liberté de choisir s’ils voulaient travailler le dimanche. De plus, les heures travaillées le dimanche devaient être payées le double.

Il est important de noter que M. Macron, à l’époque banquier d’affaire, a fait partie de la commission Attali en tant que rapporteur général adjoint, ce qui fera beaucoup réagir les défenseur du repos dominical lors de la proposition de loi portée par ce même M. Macron.

Elle avait déjà suscité de vifs débats opposant l’UMP au PS -les deux partis majoritaires en France à l’époque. En première approche, l’UMP incarnait une idéologie libérale tandis que le PS défendait les droits des travailleurs.

En 2008, un partie de la majorité UMP à l’assemblée n’adhère pas à la proposition de  loi Maillé, qui prévoyait déjà une libéralisation importante du travail dominical. Malgré les divisions au sein de ce parti, la loi finira par être votée en 2009, moyennant une révision des objectifs à la baisse. On peut donc voir que dès les origines du débat législatif, les partis politiques éprouvent de grandes difficultés à obtenir un consensus interne, et nous verrons que ce problème rejaillira avec d’autant plus d’importance au cours des débats sur la loi Macron en 2015.

La loi Maillé semble avoir déclenché un processus de libéralisation assez rapide, puisqu’il a rapidement été question d’élargir le cadre de ces dérogations, pour que les magasins puissent ouvrir plus souvent le dimanche. C’est d’ailleurs sous le mandat de M. Hollande que la loi travail sera adoptée en 2015, et avec elle des nouvelles extensions permettant de généraliser le travail dominical un peu plus que ce qui était permis jusque là. Il est intéressant de regarder comment les positions prises par les partis politiques ont évolué à l’occasion des débats autour de cette nouvelle loi :

Le parti socialiste connaît à ce moment des divisions internes puisque le président Hollande et ses ministres soutiennent cette loi portée par M. Macron, tandis qu’une partie reste fidèle à la position prise lors des débat de 2008 sur la loi Maillé et s’opposent aux réformes du code du travail. On pourra mentionner, à titre d’exemple, la protestation très forte de Mme Hidalgo, maire de Paris, qui refusait fermement l’extension de 5 à 12 du nombre de dimanche où des dérogations peuvent être accordées en dehors des ZTI (Hue, 2014). 

Pour des raisons similaires, l’UMP se retrouve également dans une situation délicate : d’une part, la loi travail correspond sur de nombreux aspects à une idéologie libérale prônée depuis de longues années par une large frange de l’UMP – en premier lieu M. Sarkozy, qui soutenait le projet de loi Maillé dans une forme plus libérale que celle qui a finalement été votée. Cependant, cette loi comporte un très grand nombres de réformes qui la rendent extrêmement complexe, et font dire à plusieurs députés de l’opposition (dont l’UMP) qu’elle ne peut pas être votée en l’état. C’est ainsi que M. Sarkozy, alors président de l’UMP  et donc chef de l’opposition donnera pour consigne à ses députés de voter contre la loi Macron, consigne qui ne sera pas suivie par tout le parti, notamment par Hervé Mariton. (Europe 1, 2014).

Les membres de ce parti qui s’opposent à l’extension du cadre autorisant les dérogations au repos dominical avancent donc en priorité des arguments que l’on peut qualifier de conservateurs. Ils portent donc plus sur la nécessité d’organiser la société autour d’un rythme commun, que sur les enjeux économiques liés au travail dominical. En face, les personnages politiques qui soutiennent le projet de loi Macron mettent en avant la question de la liberté individuelle de chacun à pouvoir travailler quand il le veut.

Ainsi, l’opposition entre une droite économiquement libérale et une gauche soucieuse des travailleurs se transforme en une opposition entre une droite conservatrice et une gauche devenue beaucoup plus libérale.

Cette quasi-inversion des rôles qui a eu lieu sous le quinquennat de M. Hollande marque d’ailleurs un tournant dans le paysage politique français, puisque la traditionnelle opposition UMP-PS commence à se désagréger, et quelques mois plus tard émergera le parti En Marche sous la conduite de M. Macron en personne.

On notera également que la médiatisation de ce débat a été très importante aux 2 moments les plus critiques, à savoir 2008-2009 et 2015, quand les lois ont été débattues à l’Assemblée puis votées. Le graphique suivant montre ainsi que le nombre d’occurrences de l’expression « travail dominical » dans les articles répertoriés par Europresse a connu 2 pics majeurs à ces 2 dates.

 
 

Une des nouveautés permises par l’établissement des lois Maillé et Macron a été de pouvoir avoir un retour sur les conséquences réelles du travail dominical. En effet, tant que la question restait sous la forme d’un débat, il était impossible de connaître les conséquences exactes, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales. En 2009, dans le cadre d’une étude intitulée Emploi du temps réalisée par l’INSEE, de nombreuses données ont pu être collectées à propos de ce thème. En particulier, quelques personnes ont entrepris d’interpréter ces données, et parmi eux, MM Lesnard et Boulins, dans leur analyse intitulée : Travail dominical, usages du temps et vie sociale et familiale : une analyse à partir de l’enquête Emploi du temps (Boulin & Lesnard, 2016).

Les conclusions issues de l’analyse des faits ont donc contribué à un enrichissement du débat, même si, comme nous l’expliquons dans la partie qui traite de l’évolution du débat après 2016, les argumentaires défendant le repos dominical ont eu de grandes difficultés pour peser dans le débat.

Les premières extensions des dérogations aux repos dominical ont été rapidement suivies de débats portant sur l’interprétation des articles définissant les magasins éligibles à ces dérogations puisque, selon le lieu où se situe le magasin et la nature de son activité, il peut recevoir -ou non- une dérogation pour pouvoir ouvrir le dimanche.

Le cas emblématique est celui des magasins d’ameublement, qui faisaient explicitement partie des nouvelles extensions permises par le code du travail à partir de 2008. En effet, si depuis cette date, le code du travail prévoit que les magasins de bricolage et d’ameublement aient le droit d’ouvrir n’importe quel dimanche, elle laisse un degré d’incertitude sur les magasins qui peuvent être considérés comme tels. En effet, comme l’avait fait remarquer M. Lecourt en 2013 dans une réunion syndicale de la CFTC (“Touche pas à mon dimanche !” – Intervention de Vincent Lecourt (4/9) – YouTube, 2013), il est difficile de classer les magasins par secteur d’activité, puisque de nombreux magasins vendent une grande variété d’items. Ainsi comme il l’explique, les magasins de bricolage ont pu revendiquer le droit d’être inclus dans les dérogations concernant les magasins d’ameublement, puisque, dit-il, ils vendent des tiroirs ou encore des cuisine.

La loi Macron, en assouplissant les contraintes, a contribué à diminuer les controverses à propos des interprétations de la loi, mais ce phénomène est encore loin d’être terminé : Encore très récemment, les Galeries Lafayettes ont été condamnées pour « violation de l’accord sur le travail dominical »  par le tribunal de grande instance de Paris suite à une plainte de la part du syndicat. (AFP, 2018).

Il semble que la loi Macron ait sonné comme un coup d’arrêt pour tous les acteurs qui défendaient jusque là le repos dominical comme une valeur suprême et inaliénable. A ce titre il est intéressant de comprendre le point de vue de ces personnes sur la manière dont a évolué la situation à partir de l’adoption de cette loi. Ainsi, un avocat qui a de multiples fois défendu des salariés dans des procès contre des magasins ayant ouvert le dimanche, et que nous avons interrogé à ce sujet, compare la situation à une « boite de Pandore » qui aurait été ouverte. Il faut comprendre par là que selon lui, le processus de libéralisation dans lequel s’est engagé la France le jour où la loi Maillé a été adoptée est quasiment irréversible, et plus elle s’y engage, moins elle se laisse l’option d’un retour en arrière, malgré la connaissance des risques courus. Une professeur de lettres très engagée dans la lutte pour le repos dominical parle quant à elle de « politique des petits pas » pour décrire la manière dont celui-ci disparaît peu à peu. Selon elle, on peut s’attendre à ce que d’autres lois viennent continuer à généraliser le travail dominical. Cependant, avec certains de ses amis, elle pense qu’il est toujours possible de revenir en arrière, en utilisant des moyens forts comme par exemple une initiative citoyenne européenne afin de proposer d’intégrer le principe du repos dominical dans la constitution européenne. Ainsi, l’opposition au travail dominical généralisé reste active et vivante, bien que de moins en moins nombreuse en termes d’effectifs. A titre d’exemple, ce même professeur – catholique pratiquante – déplore le fait que de nombreux catholiques n’aient pas pris part à cette opposition et que certains se soient même engagé en faveur du travail dominical, alors que le repos dominical est une valeur fondamentale de la doctrine sociale de l’Eglise, sur laquelle a particulièrement insisté le Pape Jean-Paul II dans plusieurs textes. (Laborem Exercens, Dies Domini, Centesimus annus, Catéchisme de l’Eglise catholique…).

Dans les ZTI, les commerces peuvent ouvrir tous les dimanche de l’année. Les modalités sont fixées par un accord entre la direction et les syndicats, selon des directives inscrites dans le code du travail. Ainsi, pour un supermarché d’au moins 400 m², la majoration minimale qui doit être accordée pour les heures travaillées le dimanche est de 30%.

Hors de ces zones, le maire peut donner aux magasins le droit d’ouvrir 12 fois par an. Là-aussi, les salariés n’ont aucune obligation de travailler le dimanche. En revanche, les modalités sont fixées par la loi : chaque heure travaillée le dimanche doit être payée double compensée par une heure de repos dans la semaine.

Enfin, dans certains domaines économiques, il n’y a besoin d’aucune dérogations particulière pour ouvrir le dimanche. Dans ces cas-là, la loi ne prévoit a priori pas de majoration de salaire : celles-ci sont définies par des conventions collectives (appliquées par tout un secteur d’activité) ou des accords collectifs (négociés entre une entreprises et ses employés).