La question du travail dominical secoue le débat public, cela ne fait aucun doute, mais quelle en est la raison profonde ? Il semble que s’attarder sur des considérations économiques ne permette pas de bien saisir la complexité de la controverse. La fin de l’ère du repos dominical agite les passions parce qu’elle marque la fin d’un fonctionnement de société établi depuis des siècles. Tout est alors à redéfinir – équilibres de vie, temps sociaux, partage des tâches – il faut trouver à nouveau moyen de faire société.

Le fait de travailler le dimanche modifie les rythmes de vie et complique l’organisation de la vie de famille. Gérard Filoche avance que ce sont les catégories les plus vulnérables de la société qui seront le plus touchées. M. Filoche cite notamment les “femmes pauvres et précaires ou les étudiants désargentés” (Filoche, 2014a). Pour lui, les personnes ayant des problèmes financiers seraient plus tentées de travailler le dimanche pour toucher les primes associées.

Lucile Quillet, journaliste du Figaro, cite des étudiants qui n’ont pas d’autres possibilités que de travailler le dimanche. Cela leur évite de prendre des emplois le soir après les cours. Toutefois, ces personnes poussées à travailler par des nécessités économiques peuvent pâtir de ces semaines chargées. Un rapport de l’INSEE portant sur le travail des étudiants explique qu’il est  difficile d’établir les impacts positifs et négatifs du travail étudiant sur la réussite des études. Néanmoins, le rapport sur la question du travail étudiant affirme que: “Le travail salarié des étudiants diminue fortement leur chance de réussite à l’examen de fin d’année”(INSEE, 2009).

En plus des étudiants, Gérard Filoche parle des femmes en situation de précarité pour qui les avantages économiques sont un argument de choix. Selon un syndicaliste ayant travaillé sur la question du travail dominical, l’absence d’un des deux parents, voire dans certains cas extrêmes des deux, empêche les moments de partage en famille. Il ajoute que ces absences ont des répercussions négatives sur la qualité de vie des enfants.

Gérard Filoche, dans un des articles de son blog, fustige le travail dominical en posant la question de la protection des personnes en difficultés (Filoche, 2014b). Il invite à réfléchir au projet de société que nous voulons pour l’avenir. La question du travail dominical rentre précisément, selon lui, dans ce débat .

Le dimanche permet aux personnes ne travaillant pas de s’adonner à diverses activités. Il permet de faire une coupure réelle avec le travail. Jean-Paul Bailly explique dans son rapport (Bailly, 2008) que le temps libre peut être utilisé pour les loisirs, travaux domestiques, jardinage, visites aux parents, etc. Ce dernier note également que le dimanche est un jour de repos avec un temps de sommeil plus long.

Jean-Yves Boulin et Laurent Lesnard citent dans leur rapport (Boulin & Lesnard, 2016) des études qui montrent que le dimanche est un jour privilégié pour les activités récréatives qui sont en moyennes plus longues que pendant les autres jours de la semaine. Les deux sociologues affirment que les activités en famille sont plus longues le dimanche que pendant la semaine. Les emplois du temps parfois chargés des parents auxquels s’additionnent des temps de transport parfois élevés limitent la possibilité de passer du temps en famille. Le dimanche devient un jour permettant de passer du temps en famille.

En plus de passer du temps en famille, le dimanche et plus généralement le week-end, est un jour qui facilite les moments de partage et de rencontres avec les amis ou les “compagnons d’activités sportives ou culturelles(Boulin & Lesnard, 2016). Bien que le temps de loisirs en solitaire augmente le dimanche, c’est le temps de loisirs partagés qui augmente le plus le dimanche. Le dimanche est un jours de partage et d’échange. Néanmoins, comme le pointe un avocat ayant travaillé sur des dossiers portant sur le travail le dimanche, les centres commerciaux sont devenus des “lieux de vie”. Sophie Péters, journaliste des Echos, exprime la même idée dans son article (Péters, 2005). Selon elle, les grandes enseignes proposent des activités et des événements destinés aux familles. Elle cite également une étude qui place le shopping  comme deuxième loisir des français. Ainsi, l’ouverture le dimanche des magasins ne rime pas nécessairement avec une baisse des loisirs pour les personnes en congés se rendant dans les centres commerciaux.

Le repos dominical permet aux salariés d’exercer leurs devoirs de citoyen. Comme l’explique Louis Narot en citant Joseph Proudhon dans son article du site de l’Action Francaise, (Narot, 2017), le fait que le dimanche soit chômé donne l’opportunité de participer à des activités qui renforce la cohésion sociale. Le dimanche est l’occasion pour le salarié de s’investir dans la vie associative. Par exemple, comme le note un syndicaliste ayant travaillé sur cette question, beaucoup de tournois sportifs ont lieu le week-end, le fait que certains joueurs ou encadrants auraient à travailler le dimanche compliquerait grandement l’organisation de ces évenements. Le cardinal Barbarin affirme que le dimanche est un jour de partage qui permet de prendre du temps pour les proches ou les personnes dans le besoin (Barbarin, 2008)

« Au septième jour Dieu avait terminé tout l’ouvrage qu’il avait à faire et, le septième jour, il chôma, après tout l’ouvrage qu’il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait chômé après tout son ouvrage de création. »
(Genèse)

C’est en suivant les enseignements bibliques que la France, comme nombre de pays européens, a pris la coutume de faire du dimanche un jour de repos pour tous. C’est un jour de contemplation, d’adoration et de communion. En outre, les pratiques cultuelles y prennent la forme de rassemblements qui permettent la création et la structuration d’unités religieuses : diocèses, paroisses… Le « jour du Seigneur », comme il l’est appelé par certains, est de fait l’occasion pour les fidèles catholiques de se retrouver pour observer l’obligation biblique de respecter le jour de sabbat, jour de repos mais avant tout de culte. Ainsi, c’est au cours de cette sainte journée qu’a lieu la principale célébration eucharistique de la semaine : la messe.

Aujourd’hui, et bien que le caractère sacré du dimanche et du culte dominical n’ait pas changé dans la doctrine catholique, force est de constater que l’emprise de la messe dominicale a faibli. En 1960, le taux de mensualisants réguliers était de 45%, contre 10% en 2000 (Betrand & Muller, 2003). Il est cependant à noter que si la participation à la messe dominical décroît, rien n’indique que d’autres pratiques liées au dimanche saint périclitent elles aussi. Se retrouver en famille et rendre grâce, s’adonner à la contemplation et à l’adoration… Le dimanche peut rester un jour cultuel, et c’est probablement la raison pour laquelle Philippe Barbarin, dans sa tribune au Monde, titre : « Ne sacrifions pas le dimanche simplement pour gagner plus »(Barbarin, 2008).

 

Le dimanche comme jour de contemplation n’est cependant pas réservé aux catholiques : religieux comme athées peuvent y voir l’occasion de méditer, de contempler et de prendre du recul sur les évènements saccadés qui peuvent survenir durant la semaine de travail. Le dimanche est ainsi un moment pour prendre du temps, seul ou en famille, pour faire le point et réfléchir à ce qui mérite une attention particulière de notre part.

Mais la contemplation peut aussi revêtir une signification différente si elle s’applique au monde de l’art : le dimanche est en effet aujourd’hui autant un jour cultuel qu’un jour culturel. C’est l’occasion notamment de se rendre au théâtre, au cinéma, à des concerts, à des cafés-philo ou encore d’aller voir des expositions.

Le dimanche est ainsi un jour privilégié pour les loisirs, d’autant plus qu’il s’agit d’un jour où – en théorie – personne ne travaille. C’est l’occasion idéale pour les familles de se retrouver, pour les amis de se réunir, et de pratiquer ensemble leur activité favorite ou de s’adonner à leur sport préféré. Qu’il s’agisse de se retrouver dans un parc ou sur un terrain de sport, ou de se donner rendez-vous chez l’un ou chez l’autre, le dimanche permet donc aux travailleurs de profiter ensemble d’un moment de détente et de repos. C’est la raison pour laquelle Laurent Lesnard, interviewé pour l’Humanité, parle de « coût social » induit par le travail dominical et qui ne peut être compensé : il y a en effet perte des temps de partage et donc affaiblissement des liens familiaux et amicaux (Guérard, 2017).

Selon les lieux et les occasions, le dimanche peut aussi être le moment idéal pour le tourisme : la plupart des monuments, églises et autres sites d’intérêt y sont ouverts aux voyageurs et autres touristes. Ainsi, selon que l’on désire se plonger dans la découverte d’un monument historique ou simplement flâner dans les rues, plus calmes qu’à l’ordinaire où elles sont encombrées des bus et voitures de travailleurs se rendant au bureau, nous pouvons voir dans le dimanche chômé une invitation à la découverte et au voyage. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les zones touristiques sont concernées par les dérogations au repos dominical imposé par la loi : afin de favoriser le tourisme et d’encourager la consommation qui lui est associée, certains commerces, situés dans les zones touristiques, sont autorisés à ouvrir le dimanche. Mais on voit bien que cette logique ne peut être poussée à son extrême, car s’il ne s’agissait pas de dérogations mais d’une norme, la baisse du tourisme qui suivrait la généralisation du travail dominical rendrait inutile l’ouverture des magasins de zones touristiques…

Avancées sociales et économiques ?