Des conséquences à redouter

©Sarah Kleinmann

Une majorité silencieuse ?

De nombreuses voix parmi les défenseurs de l’anonymat du donneur affirment que le débat n’a pas lieu d’être. En effet, pour eux, le désir de connaître son géniteur n’anime qu’une infime portion des enfants issus de dons. Du point de vue de psychanalystes comme Charlotte Dudkiewicz ou Pierre Levy Soussan, ces personnes, s’il ne faut pas négliger leur souffrance, appartiennent à une minorité ; et leur mal-être ne résiderait pas dans leur mode de conception mais dans le fait qu’ils l’aient appris très tard ou très mal. Et, dans ce cas, elles défendent qu’il serait illusoire de penser que l’accès à ses origines résoudrait ces problèmes.

« Environ 50 000 enfants sont nés grâce à une procréation avec gamètes d’un donneur en France et la très grande majorité d’entre eux ne portent absolument pas une telle demande »

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Ainsi, légiférer pour une levée de l’anonymat ne répondrait au besoin que d’une faible proportion des personnes concernées par le don. Mais comme cette levée s’accompagne de potentiels risques, cela pourrait amener à pénaliser l’ensemble de cette population.

Quelles conséquences redouter ?

« La suppression de l’anonymat pourrait inciter à garder le secret et irait à l’encontre de la possibilité de connaître l’identité du donneur, l’enfant étant dans l’ignorance de son mode de conception. »

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Tous les acteurs du débat s’accordent pour énoncer qu’il est primordial pour le développement de l’enfant que son mode de conception lui soit révélé. Or, redoutant que leur enfant accède à l’identité de son géniteur, les parents pourraient être amenés à lui mentir sur son origine, alors qu’il ne l’aurait pas fait en présence d’un anonymat total défendu par la loi.

Un exemple fréquemment invoqué pour cet aspect est celui de la Suède, pays où l’anonymat a été levé en 1985, dans lequel une étude réalisée dans les années 2000 fait état de seulement 18% de couples révélant leur mode de conception à leurs enfants [2]. La conséquence semble frappante : alors qu’ils en ont la possibilité depuis 2001, seul un enfant né d’un don a demandé l’identité de son géniteur. (voir Qu’en pensent les autres pays ? pour plus de précisions.)

« La nécessité d’un geste altruiste exclut toute motivation financière »

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L’expérience des pays étrangers ayant opté pour une levée de l’anonymat amène également à redouter la fin du principe de gratuité du don. Aux États-Unis comme en Espagne, le don est subventionné. Et quand bien même le don dans le cadre fixé par l’Etat resterait gratuit, il y a un risque important de développement de « tourisme procréatif » – l’acte de se rendre dans un pays étranger pour réaliser un don – ou du recours à des banques étrangères faisant commerce du don, comme le site http://www.co-parentmatch.com créé en Angleterre peu après le changement de loi en 2005. La fin de la gratuité n’est pour beaucoup pas souhaitable, car elle change profondément les motivations du don, et peut entraîner des mensonges de la part du donneur sur ses informations personnelles, nouvelle source de risques pour la sécurité sanitaire.

« Money corrupts. If you feel you can make £200 a week for four months, you might hide things about your health. »

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         De plus, la fin du principe d’anonymat pourrait avoir pour conséquence une baisse du nombre de donneurs, déjà trop faible pour assurer la demande en France, toujours plus élevée chaque année ; et soulève de nombreuses questions sur l’avenir du don de gamètes. Aussi, les files d’attente de presque deux ans en Angleterre poussent-elles le pays à s’interroger sur l’augmentation du nombre d’enfants par donneurs, ou l’augmentation de la gratification compensatoire accordée lors d’un don, alors qu’en 2005 la banque de sperme du pays ne comptait que 9 donneurs inscrits. [5]

« Si l’anonymat était levé, 60 % des hommes renonceraient à donner leur sperme. »

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Enfin, si les parents gagnent la possibilité de choisir leur futur donneur, cela entraînerait une sélection basée sur ses caractéristiques physiques et intellectuelles, qui pourrait s’apparenter à de l’eugénisme positif.

« L’anonymat permet non seulement qu’il ne soit pas saisi par l’argent, mais encore d’éviter toute démarche de sélection de leur donneur par les couples »

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[1] Bujan, Louis. (2010). Anonymat et don : un projet de loi sans vraies réponses, mais avec de trop nombreuses questions. Basic and Clinical Andrology, 20(4), 239‑242.
[2] Gottlieb C, Lalos O, Linblad F (2000) Disclorsure of donor insemination to the child: the impact of Swedisch  legislation in couple attitudes. Hum Reprod 15: 2052–6
[3] La Fédération française des Cecos, Kunstmann, J.-M., Jouannet, P., Juillard, J.-C., & Bresson, J.-L. (2010). En France, la majorité des donneurs de spermatozoïdes souhaite le maintien de leur anonymat. Basic and Clinical Andrology, 20(1), 53‑62.
[4] Campbell D (août 2010) Egg and sperm donors may get thousands of pounds in fertility plan. The Guardian.
[5] Elgot, J. (août 2015). UK sperm bank has just nine registered donors, boss reveals. The Guardian. Consulté à l’adresse https://www.theguardian.com/science/2015/aug/31/britains-national-sperm-bank-wants-men-to-prove-their-manhood
[6] Legras, C. (2010). L’anonymat des donneurs de gamètes. Laennec, 58(1), 36