Entretiens

Pour mieux comprendre la controverse sur le syndrome du bébé secoué, nous avons réalisé deux entretiens : l’un avec un parent de l’association Adikia, l’autre avec un expert qui a participé à l’élaboration des recommandations de la HAS.
Seul ce dernier a bien voulu que son nom soit cité.

Pr. Jean-Sébastien Raul

Notre interlocuteur, Jean Sébastien Raul est directeur de l’Institut de Médecine Légale ainsi qu’expert judiciaire sur le sujet des bébés secoués. Son travail en tant qu’expert représente 10% de son temps. Son travail de recherche sur le diagnostic du Syndrome du Bébé Secoué (SBS) occupe quant à lui 20% de son temps.

Simon et Charlène : Rapidement, comment pouvez-vous nous décrire le Syndrome du Bébé secoué ?

« J’ai à cœur de ne jamais oublier, dans mon travail, que secouer un bébé est un acte extrêmement violent. »

Jean-Sébastien Raul : Il s’agit d’un traumatisme crânien qui apparaît lorsque qu’on secoue un enfant en le tenant par le torse ou les jambes. Cela engendre des saignements à la surface du cerveau et au niveau des yeux. Ces symptômes assez particuliers sont dûs à une forte accélération angulaire. Ainsi, les autres causes des symptômes du SBS peuvent être seulement les accidents de la route.
Malgré le débat actuel sur la validité scientifique du diagnostic d’un secouement, j’ai à coeur de ne jamais oublier dans mon travail, que secouer un bébé est un acte extrêmement violent.

S & C : Si vous deviez nous expliquer d’où provient le débat actuel sur le SBS, quelles dates retiendrez-vous ?

R : Le syndrome du SBS a toujours existé. Partout et de tout temps des violences infantiles ont été perpétrées. Seulement, la première personne à donner quelques éléments scientifiques sur le sujet est Tardieu – un scientifique français de la fin du XIXème siècle. Néanmoins, les premières études apparaissent dans les années 70. Vers les années 2007, la méconnaissance de ce syndrome par le public ainsi que par la communauté scientifique pousse la tenue d’une conférence nationale. Cette conférence avait pour principal but d’éliminer certains articles pseudo scientifiques qui discutaient sur ces thématiques, et introduisaient du doute là où il y avait des certitudes.
En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) a alors décidé de travailler sur ce sujet. En 2011, des experts de tous domaines sont rassemblés pour écrire des recommandations nationales sur le SBS.
Fin 2016, il est décidé d’actualiser les connaissances ; en 2017, la HAS rend public ses nouvelles recommandations.

S & C : En tant que scientifique, comment analysez-vous la polémique actuelle sur le diagnostic du SBS ?

R : Il n’y a jamais eu et il n’y a pas de polémique. Tous les scientifiques sont d’accord sur les symptômes du SBS. Ce sujet a été
extrêmement documenté et cela, pendant des décennies. De nombreux spécialistes ont participé et maintenant, je peux affirmer avec certitude qu’il y a une absolue équivalence entre l’observation de ces trois symptômes et le secouement. La polémique provient d’avocats ou de groupes de parents accusés. En effet, il s’agit du travail des avocats que de trouver des failles juridiques pour innocenter leur client, quitte à décrédibiliser les experts. J’insiste sur le fait qu’en France l’expert est indépendant. Il est appelé par le juge d’instruction, et non par la défense ou l’accusation. On lui donne les dossiers et il doit donner son avis sur ce qui a pu se passer, en passant évidemment outre tous ses préjugés (expertise purement scientifique). Tout doute ou réserve est précisé noir sur blanc dans le rapport. De plus, l’expert est souvent épaulé par un co-expert. Il est également possible de faire appel à une contre-expertise. Il n’y a donc pas de prise de parti par l’expert, il reste absolument neutre. Dans les pays anglo-saxons, le système est légèrement différent : l’expert est payé par la défense ou l’accusation. Son rôle est donc clairement défini et sa légitimité peut être ainsi facilement remise en cause. Je préfère donc le système anglais, qui empêche la décrédibilisation injustifiée que l’on peut trouver en France.

S & C : Mais qu’en est-il de cette fameuse “guerre d’expert” si souvent citée dans la presse nationale ?

R : Cette “guerre d’expert” n’est qu’une illusion. Les personnes réfutant les symptômes établis par la science depuis des décennies n’ont pas de légitimité à parler sur le sujet. Une association en particulier, nommée Adikia, est très agressive sur le sujet. Deux personnes responsables de cette association ont largement critiqué mon travail, et celui des autres experts. Pourtant, je ne leur trouve aucune compétence à parler sur le sujet, et de fait, je n’accorde aucun crédit à leur parole. Leur politique de communication me fait penser aux “fake news” qui inondent la toile. Ils sont passés experts dans la manipulation via les réseaux sociaux.

« Une association en particulier, nommée Adikia, est très agressive sur le sujet. »

« Leur politique de communication me fait penser aux "fake news" qui inondent la toile. »

S & C : Mais si cette polémique n’est finalement qu’un leurre, comment expliquez-vous les relaxes dont la presse fait ses choux gras ?

R : Ces cas ne sont finalement pas si courants. Et si lors d’un procès personne n’est condamné, c’est parfois parce qu’il y a plusieurs parents qui s’accusent mutuellement et la justice ne veut pas prendre le risque d’envoyer un innocent en prison. Et j’insiste, l’expertise ne doit pas donner absolument une réponse absolue, l’expert n’hésite pas à émettre des doutes si les symptômes ne sont pas clairement identifiés.

S & C : Pour quelles raisons cette polémique subsiste, alors même que selon vous, il n’y a pas de débat scientifique sérieux ?

R : Si la question subsiste, c’est surtout parce que certaines personnes y trouvent leur intérêt. La nature est telle qu’elle recherche profit ou notoriété. Peut-être qu’un cabinet d’avocat a fait de la défense d’une accusation de SBS son cheval de bataille. Ou bien que la petite notoriété acquise par un scandale de violence infantile suffit à en motiver certains.