Neandertal, historique d'un rejet

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Chronologie des mises au jour de restes Neandertaliens

1856 : Découverte dans la grotte de Feldhofer (Allemagne), dans la vallée du Neander, d'un squelette très ancien. La question de son humanité se pose aussitôt et son étude est confiée au professeur Johann Carl Fuhlrott de l'université de Tübingen.
1863 : L'universitaire anglais William King propose de le nommer Neandertal, considérant par ce biais qu'il s'agit effectivement d'une nouvelle espèce.
1888 : Une mandibule d'adolescent est découverte dans l'abri Malarnaud en Ariège : c'est le premier reste neandertalien découvert en France.
1899 : Les fouilles de la grotte de Krapina en Croatie mettent au jour des os qui montreraient des traces de cannibalisme.
1908 : A la Chapelle-aux-Saints, en Corrèze, on découvre la sépulture d'un homme, prouvant ainsi que Neandertal enterrait ses morts.
1909 : En trente ans, sept squelettes de Neandertaliens sont mis au jour à La Ferrassie.
1929 : La découverte d'une dizaine de squelettes d'hommes de Neandertal en Israël permet d'étendre la zone considérée de leur habitat.
1935 : En Croatie, découverte de nouveaux restes, qui serviront plus tard aux premières analyses génétiques.

Premières visions de l'homme de Neandertal

Lorsque les premiers restes d'hommes de Neandertal sont mis à jour en Allemagne, en 1856, Charles Darwin n'a pas encore publié son livre « L'origine des espèces », et personne n'imagine qu'il puisse y avoir un quelconque processus d'évolution dans la nature et encore moins dans la lignée humaine. Ainsi, lorsque le professeur Fuhlrott, au terme d'une étude très poussée des restes de Neander, présente à une assemblée de naturalistes une interprétation évolutionniste pour expliquer les caractéristiques du squelette, il provoque un tollé.

Nous sommes en 1857 et « L'Origine des espèces » ne paraîtra que deux ans plus tard. A ce moment de l'étude, nombre de scientifiques interprètent simplement les différences anatomiques de neandertal comme la traduction de l'idiotisme, présentant ces restes comme ceux d'un homme dégénéré.

Ce n'est qu'à la toute fin des années 1850 que la théorie de l'existence d'un homme primitif, plus proche du singe que de l'homme moderne commencera à s'installer dans les milieux scientifiques. Cependant, cette première interprétation de Neandertal vu comme un arriéré mental marquera longtemps les esprits.

Nouvelles découvertes mais regard péjoratif immuable

La seconde moitié du dix-neuvième siècle ne sera guère plus méliorative pour Neandertal, qu'on continuera à considérer comme un « idiot » ou un être « anormal » malgré la multiplication des restes mis à jour qui commencent à installer l'idée d'une espèce différente, ou peut-être en raison de cette idée. En effet, malgré les similitudes criantes entre les deux espèces, l'humanité semble demeurer réservée à l'homo sapiens.

Cette vision peu flatteuse semble parfaitement installée au début du vingtième siècle, que ce soit dans les milieux scientifiques ou aux yeux du grand public, comme le montrent des citations relevées à cette époque. Marcellin Boule, paléoanthropologue, en dit ainsi « L'absence probable de toute préoccupation d'ordre esthétique ou d'ordre moral s'accorde bien avec l'aspect brutal de ce corps vigoureux et lourd (...) où s'affirme encore la prédominance des fonctions purement végétatives sur les fonctions cérébrales. ». Dans le même ordre d'idée, le romancier H. G. Wells dans un roman paru en 1921 (The Grisly Folk) parle de Neandertal en ces termes peu flatteurs : « Nous ne savons pas grand-chose de l'aspect de l'homme de neandertal, sinon qu'il devait être extrêmement poilu, très laid ou d'une étrangeté repoussante, avec son front bas, ses orbites de coléoptère, son cou de singe et sa station voûtée. »

Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale et les progrès techniques d'archéologie comme l'imagerie médicale pour que cette image de brute épaisse commence à changer dans les esprits.

Pourquoi tant d'acharnement à dévaloriser Neandertal ?

Lors de nos recherches, nous avons eu l'occasion de poser cette question au professeur Zilhão de l'université de Bristol, qui a avancé la théorie selon laquelle dans l'inconscient collectif, toute évolution naturelle ne peut être que vers le progrès. En suivant ce raisonnement, on arrive rapidement à la conclusion que puisqu'ayant disparu avant sapiens, neandertal lui est antérieur chronologiquement, il ne peut être plus évolué, ni même prétendre aux mêmes capacités que celui qui est notre ancêtre direct.

D'autre part, nous pouvons également considérer le fait que la reconstruction des parties molles d'un visage à partir des ossements étant un travail qui reste hypothétique, l'idée de neandertal comme un idiot ait influencé l'imagination des anthropologues lors des premières reconstitutions, fournissant ainsi un faciès hirsute et peu avenant allant à l'encontre des canons de beauté de l'époque.

Neandertal, un homme pourtant sans infériorité objective sur sapiens

Ce n'est qu'au milieu du vingtième siècle que ces considérations sur celui qui s'avère être un cousin pas si lointain ont pu évoluer. Des études anatomiques ont montré que sa capacité crânienne était égale, voire même supérieure à la nôtre et que ses caractéristiques physiques n'étaient en aucun cas le signe d'un retard mental, mais plutôt d'une adaptation de sa morphologie aux conditions climatiques extrêmes de son lieu de vie.

Claudine Cohen, auteure d'un article intitulé « Le jeune premier de l'époque » pour un dossier sur Neandertal dans la revue Historia, établit ainsi le parallèle entre l'aspect physique de l'homme de neandertal et celui des inuits actuels, subissant les affres d'un climat similaire et présentant des traits communs, notemment avec un corps trapu, ramassé, capable de résister à des températures glaciales.

Un potentiel ancêtre qui continue pourtant à déranger

Les travaux récents du professeurs Pierre Darlu et de son équipe sur le génôme de plusieurs individus neandertaliens ont attesté d'une probabilité très forte pour l'idée d'un métissage entre sapiens et neandertal. Cependant, il s'agirait d'un métissage ancien (80000 ans avant notre ère), dont on retrouverait des traces similaires chez des populations actuelles, qu'elles soient chinoises, européennes ou papoues. Il semblerait donc que ces échanges aient eu lieu non lors de la cohabitation précédant directement la disparition des neandertal, mais plutôt lors d'une cohabitation antérieure, dans une zone géographique centrée sur l'actuel Israël.

Malgré les efforts de la communauté scientifique, l'idée de la présence de neandertal dans notre lignée continue à déranger et les articles ou films (tel « Aô » de Jacques Malaterre, dont la sortie au cinéma est prévue pour l'automne) traitant de ce cousin obscur et instinctivement rejeté s'appliquent toujours à le montrer sous un jour le plus mélioratif possible, afin peut-être, de contrebalancer la répulsion que le grand public conserve inconsciemment dans son esprit.

Répulsion sous-jacente, mais réelle fascination

Neandertal fascine, cependant, comme le montre la multiplication des articles et publications, qu'elles soient scientifiques ou oeuvres de fiction, le concernant. L'idée d'un autre humain ayant pu vivre en même temps que nous sur cette terre est sujette à de nombreux fantasmes et on ne compte plus les fictions traitant de la rencontre entre sapiens et neandertal. Il y a bien sûr les oeuvres présentant cette rencontre à l'époque où les deux espèces se sont effectivement cotôyées sur terre, notemment la saga des « Enfants de la Terre » de Jean M. Auel où il est question d'une orpheline sapiens recueillie par des neandertal. Mais on trouve également des oeuvres dans lesquelles les auteurs supposent que des espèces différentes de nous aient pu subsister au travers des millénaires sans qu'on se doute de leur existence. Ainsi, le film « Humains » de Jacques-Olivier Molon et Pierre-Olivier Thévenin traite lui de l'existence actuelle d'une espèce humaine inconnue.

Il n'y a d'ailleurs pas que neandertal qui suscite cette fascination. D'autres espèces humaines, comme l'homme de flores ou l'espèce récemment mise au jour en Sibérie éveillent la curiosité des gens de la même manière. Cependant, ayant été découvertes plus tard, celles-ci n'ont pas ou moins souffert de l'image peu flatteuse qu'on a pu donner de neandertal.

Enfin, à voir la multiplication des publications sur ces autres espèces humaines, et à quel point elles sont mises en valeur dans des journaux de vulgarisation, voire même pas du tout spécialisés, il est certain que neandertal et nos autres cousins n'ont pas fini de nous fasciner.