La méfiance comme conséquence

   Il faut reconnaître aux médias leur rôle d’acteur au sein de cette controverse pour comprendre comment ce que l’on peut présenter comme une simple réévaluation de médicaments par l’ANSM a pris une ampleur de scandale national, chaque française se sentant d’un coup concernée.

Les médias : la plaie des laboratoires ?

    Lors d’un entretien avec un cadre d’un laboratoire pharmaceutique, l’affaire a été présentée comme un épisode banal de réévaluation de médicaments dont l’ampleur a été gonflée par les médias. Le point de vue des laboratoires est clair : « Nous vendons des médicaments, ce ne sont pas des produits anodins. Tous les médicaments sont réévalués, cela peut très bien aller vers des restrictions d’utilisation, en insistant sur les effets secondaires comme pour les pilules, voire vers un retrait, comme vers des extensions d’utilisation. C’est très courant. Allez sur le site de l’ANSM, ou celui de l’EMA, et vous verrez tous les médicaments en cours de réévaluation. Il y en a tout le temps. » [1]  L’affaire a simplement été reprise par les médias dans une période, affirme notre interviewé, de creux médiatique. « La même chose se passerait aujourd’hui [mars 2014] en plein scandale des écoutes téléphoniques etc., on n’en entendrait même pas parler. » [2]

    La cible des médias devient rapidement les laboratoires pharmaceutiques. Certains les accusent de laboratoires de corrompre les médecins qui prescrivent ensuite prioritairement les pilules de 3ème et 4ème génération. Le Canard Enchaîné de son côté publie le 9 janvier 2013 un article intitulé « Des pilules miracle… pour les labos ». Nous y apprenons que ces pilules de 3ème génération, remboursées par la Sécurité Sociale, coûtent en moyenne entre 30 et 40 euros la boîte contre 3 à 5 euros pour les pilules de 2ème génération, qui en plus sont souvent des génériques.

Une prise de conscience qui aboutit à un changement de moyen de contraception

    Si le cadre d’un laboratoire pharmaceutique que nous avons interviewé a beaucoup critiqué l’ampleur donné à l’affaire par les médias, le scandale qui en a résulté a néanmoins réussi à sensibiliser les Français sur la question. On ne peut toujours vanter la qualité des articles de presse, mais on ne peut enlever aux médias leur force de communication. Les françaises ont reconsidéré leur contraception, et l’affaire a beaucoup influencé les chiffres de ventes des pilules et induit des changements remarquables sur le marché des contraceptifs.

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Méthodes de contraception utilisées en France en 2010 selon l’âge en % (Sources : Celtipharm, Ined, Inserm)

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Méthodes de contraception utilisées en France par les femmes de 1978 à 2010 en % (Sources : Celtipharm, Ined, Inserm)

    On a observé une baisse de ventes des pilules de 3ème génération et 4ème génération, ainsi qu’une augmentation des ventes des pilules de 1ème et 2ème génération. Les ventes de pilules contraceptives de 3ème et 4ème génération ont chuté de 44 % entre avril 2012 et avril 2013 selon les chiffres publiés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) lundi 29 avril. Elles ont diminué de 26 % par rapport à décembre 2012, alors que les ventes des pilules de première et deuxième générations ont augmenté de 18 %. Un résultat qui « va dans le sens d’une réduction des risques liés aux contraceptifs oraux combinés (COC) » [3] estime l’ANSM.

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Comparaison des ventes de pilules en fonction de leur génération entre le 7 décembre 2012 et le 27 janvier 2013 (Source : ANSM)

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Comparaison des ventes de pilules de 3ème et 4ème génération entre les périodes décembre 2011/janvier 2012 et décembre 2012/janvier 2013 (Source : IMS-Xponent)

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Comparaison des ventes de pilules de 1ère et 2ème génération entre les périodes septembre 2011/mars 2012 et septembre 2012/mars 2013 (Source : Celtipharm)

    Après une période de panique chez les utilisatrices comme l’a évoqué la gynécologue que nous avons interviewé, c’est l’heure d’une véritable prise de conscience chez la femme : il vaut mieux  préférer en premier choix les traitements plus anciens, les risques de thrombose veineuse étant deux fois supérieurs avec les suivants. Fin mars, les pilules de troisième et de quatrième générations ne représentaient plus que 32 % des ventes, contre plus de la moitié précédemment.

Le stérilet, le prochain épisode ?

    Les chiffres de ventes globaux des pilules contraceptives ont baissé, au profit des contraceptifs moins traditionnels, comme le stérilet. Les ventes globales de pilules, toutes générations confondues, ont enregistré une petite baisse, de l’ordre de 2,8 %, entre décembre 2012 et avril 2013, par comparaison à décembre 2011-avril 2012, au bénéfice des implants et des stérilets. Leurs ventes ont augmenté respectivement de 23 % et de 41 % pour les stérilets en cuivre. Peu utilisés en France, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les stérilets pourraient bien continuer à gagner du terrain, selon l’ANSM.

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Comparaison des ventes de pilules de 3ème et 4ème génération et celles des dispositif intra-utérins de septembre 2012 à avril 2013 (Sources : Celtipharm, Ined, Inserm)

    S’agit-il d’une bonne nouvelle pour les femmes ? Cela est difficile à dire : en effet, ces contraceptifs sont en général des contraceptifs de deuxième intention et ne sont conseillés que si la solution de la pilule ne convient pas à la patiente. Le fait qu’ils deviennent des contraceptifs de première intention ne risque-t-il pas d’engendrer des accidents chez des femmes qui auraient dû continuer à prendre la pilule ? Ne va-ton pas constater l’importance de certains effets secondaires ?

    Les médecins ont peur que les utilisatrices, paniquées, abandonnent la pilule massivement et précipitamment. Ils ont en tout cas déjà constaté une nette hausse des interrogations des femmes sur leur contraception. « Certaines ne veulent rien changer ; d’autres si, mais ne trouvent rien qui leur convient ; d’autres encore ne veulent plus rien prendre » [4], constate Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat National des Gynécologues obstétriciens de France (SYNGOF), qui est perplexe face à l’augmentation de l’utilisation du stérilet.

    Par ailleurs, le SYNGOF est dubitatif face à l’absence de recommandations de la HAS concernant les patchs contraceptifs et les anneaux également très utilisés. Comme le souligne Elisabeth Paganelli,  « ces derniers peuvent présenter les mêmes risques que les pilules de 3ème ou de 4ème génération mais la HAS ne communique pas sur le sujet » [5]. Ces gynécologues expliquent que ces moyens de contraception contiennent les mêmes produits que les pilules de troisième génération. Le cas des anneaux de troisième génération est particulièrement évoqué, puisqu’en effet, les deux marques disponibles actuellement contiennent deux types d’hormones, des œstrogènes et des progestatifs de troisième génération.

    Enfin, le Syngof encourage les mutuelles à ne plus vanter les remboursements forfaitaires pour ces contraceptifs sans référence médicale.

Sources des citations :

[1] et [2] : Entretien avec un cadre d’un grand laboratoire pharmaceutique [lien]

[3] : Article du Monde.fr – Les ventes de pilule de 3ème e 4ème génération continuent de chuter – 10/05/2013 – [lien]

[4] : Article du Monde.fr – La pilule contraceptive perd son hégémonie – 06/05/2013  [lien]

[5] : Communiqué de presse du Syngof : Pilules de 3ème et 4ème génération – 15/01/2013[lien]