Entretien ; M. Olivier VALLEE (le 04/05/2018)

 

Olivier Vallée, économiste et consultant international, auteur de plusieurs livres importants sur l’armée et sur l’Afrique, ainsi que d’une série de travaux sur la dette.

DÉBUT DE L’ENTRETIEN

Nathan : Vous avez travaillé avec les États africains et plus particulièrement avec le FMI en tant qu’intermédiaire entre les différents États et le FMI. Vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet ?

 

Olivier Vallée : Je vais commencer par le début. J’ai travaillé pendant longtemps à la Société Générale, qui avait dans les années 80 un réseau assez important de filiales en Afrique francophone. J’étais chargé de l’analyse du risque pays pour tous les pays du continent africain, en particulier la zone Franc.

J’ai écrit un mémoire pour le conservatoire national des Arts et Métiers sur le fonctionnement de la caisse de stabilisation en Côte d’Ivoire, détaillant les éléments fondamentaux du système financier ivoirien. Cette caisse de stabilisation conservait toutes les recettes en devise provenant des exportations de café et de cacao, le café étant le deuxième marché mondial après celui du brut pétrolier à cette époque-là.

 

J’ai écrit un livre sur la zone franc : Le prix de l’argent CFA où j’analysais les problèmes de la zone Franc, son historique, les régimes comparables d’un point de vue monétaire, la dévaluation encore considérée comme un sujet tabou en 1989 alors qu’intervenue en 1994. J’ai quitté la Société Générale à ce moment-là et j’ai commencé à travailler comme consultant pour différents organismes (UE, OCDE, de 2002 à 2006 : conseiller technique pour le FMI pour l’Afrique de l’Ouest) : mon travail consistait en le développement des marchés monétaires et le traitement de la dette.

 

Mehdi : Quand vous parlez de votre premier poste à la Société Générale, qu’est-ce que vous entendez par analyste du risque pays ?

 

Olivier Vallée : A cheval sur l’économie et la finance, ce qu’on appelle country risk ou sovereign risk est l’analyse du risque pour le pays emprunteur. Ma spécialité étant le prêt aux États en évaluant le risque d’un État. Pour l’économie libérale un Etat ne présente pas de risque. Il y a un risque pour le droit libéral, l’Etat peut ne pas honorer ses dettes, nationaliser les biens et investissements étrangers par les non-résidents. Il y a un risque de dévaluation de la monnaie qui vient fausser le remboursement de la dette, un si une récolte n’atteint pas son niveau, un risque lié au coût des matières premières (pétrole).

 

Mehdi :  Quels indicateurs vous permettent d’évaluer le risque ?

 

Olivier Vallée : D’une part les agences de notation : Moody’s, similaire au Dow Jones de la bourse de NY, Fitch Rating en France. Leur travail est comparable à celui de l’analyse du risque souverain. Ils calculent le ratio du stock de la dette par rapport au PIB. Il y a un travail technique sur la dette : on la calcule en valeur actualisée. On projette sur 20 ans tout le service de la dette de la France, puis on l’actualise (par rapport à aujourd’hui), ce qu’on va payer dans 20 ans ayant moins de valeur.

D’autre part il y a d’autres indicateurs comme la balance des paiements (flux entrants ? flux d’investissements ?), la balance commerciale n’arrêtant pas de se dégrader.

 

Nathan : Plus particulièrement sur le franc CFA, quel serait votre avis sur cette monnaie et à qui profite-t-elle ?

 

Olivier Vallée : Je pense qu’il vaut mieux considérer la zone Franc comme un système de relations qui n’est pas basé uniquement sur la monnaie même s’il s’agit de plus en plus de coopération financière. Ce système a des origines, marqué par le caractère colonial, très lié à la conception française de la monnaie, du système financier et du financement de l’État. Ce système est de plus en plus confronté à des tensions externes : s’aligner sur le système monétaire international. Flexibilité des monnaies, variation du cours de change.

Ce système est aussi exposé à des tensions internes : écart de performance, de taux de croissance, d’investissement. Une logique d’ajustement par le haut ou par la norme est développée.

Si l’on prend un exemple précis. Kako Nubukpo préconisait la dévaluation du franc CFA pour que les agriculteurs ne voient pas la baisse du prix du coton. Ces tensions locales disent : quand ça va mal on va dévaluer. Ma théorie c’est qu’on ne dévalue pas parce qu’on a des problèmes avec le prix du coton. C’est un peu comme si on dévalue en France parce qu’il y a des problèmes avec le prix du lait.

 

Mehdi : Au FMI vous travailliez pour le FMI en faveur des Etats Africains c’est ça, pour leur donner des mécanismes pour se financer ?

 

Olivier Vallée : Le FMI est composé de 15 directions générales dont 2 importantes : celles couvrant les aspects géographique et technique. Je travaillais pour l’assistance technique pour donner des conseils aux États sur des points spécifiques de gestion budgétaire et financière, également sur la gestion de la dette (principal vecteur de transformation de la zone Franc). La trésorerie des États était majoritairement liquide jusqu’au début des années 1980. De 1984 à 1988, les banques françaises sont exposées car elles financent la récolte de cacao en Côte d’Ivoire par exemple, engagent des créances de la France en Côte d’Ivoire, on a une illusion qu’à l’intérieur de la zone Franc il y aura toujours quelqu’un pour rembourser. Mon travail a consisté à faire rentrer de nouvelles méthodes de prévision de la dette, ainsi que créer des parcours de trésorerie. La zone Franc s’est un peu libéralisée à partir de 1992, il s’agissait alors de financer la liquidité de l’État en utilisant de plus en plus le marché monétaire (banques du Trésor).

Pour plus d’informations lire la revue Savoir/Agir dans Cairn → article sur l’organisation du FMI, Capital et dette publique.

 

Mehdi : Le FMI a un peu pris la place de la banque de France pour gérer la dette, est-ce un signe d’affaiblissement puisqu’ils ont un droit de véto sur ces derniers ?

 

Olivier Vallée : Début des années 80, les gouverneurs (terme un peu néocolonial mais c’est comme ça) des sous-ensembles de la zone Franc étaient des français. Ils sont ensuite devenus des directeurs généraux Africains, avec des rotations prévues. Les premiers États à en bénéficier étaient les plus « liquides ». Trois dates pour marquer le retirement des institutions française : entre 1984 et 1986 les clubs de Paris et Londres (créanciers public et privé) se retirent et le FMI va alors gérer les plans économiques pour que la dette soit payée. Le trésor français fait alors toujours son travail de comptable : enregistrement de la dette, on mobilise les tranches du FMI, les prêts de l’AFD, des bilatéraux publics, de quelques banques commerciales qui ont le gout du risque. En 1991-92 le FMI et la banque mondiale sont un peu fatigués. Le budget de l’État est de moins en moins formé par la banque centrale mais par les banques commerciales qui ont alors beaucoup plus de marge. Cadre de la libéralisation financière et monétaire de la zone Franc. A partir de l’instauration de l’euro en 1999, la parité n’est plus fixe (elle avantageait le franc CFA), maintenant elle est entre l’euro et le franc CFA : 1 euro égale 655 francs CFA. A ces trois dates/périodes l’importance du Trésor se réduit puis celle de la banque de France avec l’euro.

Pour plus d’informations lire le dernier rapport sur la zone Franc de la Banque de France.

 

Mehdi : Manifestations contre le franc CFA en 2017, de quoi cela est-il venu ?

 

Olivier Vallée : Je pense vraiment que c’est un épiphénomène, 90/95% de la population ne perçoit pas le franc CFA comme une monnaie post coloniale. Pour les pauvres c’est un moyen de compter, pour les riches c’est un moyen de transférer d’énormes fortunes grâce à la parité fixe. (Un moyen de transférer en France, en Suisse, où l’on souhaite en fait sans aucun problème). Je ne pense pas que ces manifestations même si elles ont été symboliquement assez fortes. Au Sénégal ils brûlaient des billets de franc CFA par exemple. Je ne pense pas qu’elles soient un reflet d’un rejet politique du franc CFA ou d’une prise de conscience anti franc CFA. Le président a relativement raison de dire que c’est un non problème ou un non évènement.

 

Mehdi : J’ai lu un article de vous dans La lettre du dimanche où vous parliez de la venue et de la position de Macron, il dit en effet que c’est un non problème. Est-ce que Macron aurait une stratégie vis-à-vis du franc CFA ?

 

Olivier Vallée : A partir du moment où il considère que c’est un non problème ça veut dire qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Il y a soit des aménagements éventuels, soit s’il n’y a pas d’aménagements éventuels à mettre en œuvre (accord des chefs d’États de la zone Franc nécessaire). Attali a fait son mémoire sur la zone Franc à l’école des Mines (à lire). Proposition de Strauss Khan sur le franc CFA diffusée à a banque mondiale. Le dessein de Macron sur la zone Franc est un peu dans ce rapport, publié avec l’accord du Trésor Français ou au moins d’anciens du Trésor Français. Moi j’avais écrit qu’en fait le CFA servait à subventionner l’achat de voitures japonaises et le transfert de capitaux en Suisse. Aujourd’hui la France est un partenaire commercial relativement mineur de la zone Franc. Pourquoi pas faire rentrer dans la monnaie d’ancrage le dollar ou le Yuan chinois. Ça pourrait être une solution de faire un panier de monnaie plutôt qu’une seule monnaie d’ancrage. Encore une fois c’est une décision qui n’appartient pas à la France. Quant au réaménagement fondamental du système de la zone Franc avec la fin de la circulation des capitaux, de la centralisation d’une partie des réserves du Trésor Français, je ne pense pas que le Trésor Français soit prêt à franchir le cap. Je vois peu d’États être en mesure de prendre l’exit option comme solution en tout cas. Je vois le Tchad par exemple qui est en grand déficit économique et serait incapable de payer.

 

Mehdi : Pour vous il n’y a pas d’avis sur la question au sein des populations locales. Du coup pour vous les gens qui s’en plaignent qui sont-ils et pourquoi ils s’en plaignent ? Est-ce juste une question de gouvernance par rapport au statut colonial ?

 

Olivier Vallée : Je pense que s’il y a une vision du monde qui est largement partagée en Afrique c’est l’anti occidentalisme. On ne peut pas vraiment parler de zone Franc, il y a en réalité deux ensembles et les relations entre les deux ensembles censés être complémentaires n’existent pas. Dans la mesure où la France incarne l’Occident, incarne la modernité, je verrais plutôt un rejet de la France et de ce qu’elle symbolise. Sur le billet de franc CFA, on voit un type de locomotives utilisé en France dans les années 60. Mais pour ceux qui n’ont jamais vu ces locomotives, ce billet ne signifie rien pour eux de la même façon qu’en France pour des gens de mon âge des euros avec un pont dessus ça a sûrement moins d’importance que Pascal ou Voltaire. Cela fait partie du rejet de l’Union Européenne.

 

Mehdi : Mais donc ça c’est plutôt le pourquoi il y a un rejet chez certaines personnes. Mais du coup de qui viendrait ce rejet ?

 

Olivier Vallée : Je pense surtout toute une frange de gens relativement jeunes. Je recommande sur ce sujet de lire Le Devenir du Franc CFA de Claude d’Almeida. Claude d’Almeida, c’est quelqu’un du sérail, il a été dans la direction des études à la banque centrale. Il est devenu banquier commercial. Son livre est une assez bonne critique technique de la zone Franc.

Je ne pense pas qu’en matière de monnaie ou de finance on puisse séparer la technique de la politique. La banque centrale n’étant pas un organisme indépendant, on entre tout de suite dans la politique en particulier en zone Franc. Si vous critiquez la zone Franc ça ne fait pas plaisir au président de la Côte d’Ivoire, il peut dire à Macron ou au ministre des finances français qu’il n’est pas content que des gens à Dakar ou à Paris disent du mal du franc CFA.

 

Encore une fois ceux qui disent du mal du franc CFA sont des gens su système. Il n’y aucune tendance, aucun parti qui ait demandé l’abandon du franc CFA, ou la rupture avec la zone Franc. C’est un problème de lutte interne entre fractions d’élites dirigeantes du système qui veulent mettre la main sur la Banque Centrale en pensant en faire un organisme autonome vis-à-vis du pouvoir politique du chef de l’Etat. C’est quasiment l’arme de dissuasion des chefs d’Etats donc je les vois mal y renoncer. Ce serait plus facile de s’attaquer directement à l’eux qu’à la Banque centrale qui restera couverte par la France ne serait-ce que par le biais de la centralisation des réserves.

 

Nathan : Justement en parlant de centralisation, pourquoi imprimer les billets de franc CFA en France et pas dans les différents pays ?

 

Olivier Vallée : Je pense que c’est essentiellement une question de coûts. N’oubliez pas à l’époque de Sarkozy on devait faire imprimer les passeports français par une société Suisse. Le lieu d’impression est surtout là pour une question de coût, une question de sécurité. Ce n’est pas l’Etat français qui décide. C’est un appel d’offre des deux banques centrales régionales et l’Etat n’a rien à dire.

 

Nathan : Et le Trésor Français qui conserve 50 % de la monnaie …

 

Olivier Vallée : Il ne conserve pas 50 % de la monnaie. Il centralise les réserves en devise et encore tout cela est en grande partie fictif. Ça n’a rien à voir avec la monnaie circulante. Une banque centrale c’est un petit peu comme une banque commerciale et donc un petit peu comme une entreprise. En haut du bilan, il y a ce qu’on appelle les avoirs extérieurs nets, toutes les réserves en devise que la Côte d’Ivoire aurait reçues au 31 décembre par exemple. La devise serait principalement le dollar là-bas (vente du cacao, du café dans cette devise). Sur un milliard de dollars disons 60% doivent être conservés au Trésor français de façon purement comptable. C’est une centralisation qui vaut ce qu’elle vaut. Beaucoup d’entreprises ne rapatrient jamais leur devise, elles laissent leur argent à Londres ou à New York plutôt que de le laisser à Abidjan ou à Paris. Cette règle est fictive et ne présente aujourd’hui plus aucun avantage sérieux pour le Trésor français. Si la Côte d’Ivoire a des recettes de 1 milliard de dollars, son passif (ce qu’elle doit au reste du monde) serait peut-être de 2 milliards de dollars donc les avoirs extérieurs nets sont sans doute négatifs.

 

Nathan : Quand on a parlé des billets vous disiez que c’était une décision des pays. Pour revenir sur l’autonomie de ces pays, quel pouvoir concret a ou n’a pas la Banque de France sur les institutions monétaires en Afrique ?

 

Olivier Vallée : Il se trouve que la Banque de France ne joue quasiment aucun rôle, déjà qu’elle en jouait peu avant. En fait l’acteur central du système est le Trésor Français. La Banque de France a en réalité un rôle de secrétaire. Elle fait un rapport tiré des rapports des deux sous-ensembles régionaux. Ils font des statistiques, les envoient à Paris. Les rapports mettent beaucoup de temps à sortir car la banque de France fait la balance des paiements consolidés, la modographie puis ce fameux rapport. Les opérations de régulation monétaires sont réalisées par le Trésor Français et non la Banque de France. C’est le Trésor qui a emprunté pour EDF, pour les centrales nucléaires, et qui nous a endetté. La Banque de France est un secrétaire général, un peu passif.

Par contre ce qui serait intéressant si vous rencontrez la Banque de France, c’est qu’ils sont souvent en première ligne sur les analyses, sur les changements etc. Le Trésor en public est de moins en moins actif mais je verrai. Il y a une ligne générale du fameux non problème qui fait que le Trésor ne s’engage pas sur le dossier et laisse des gens comme Strauss-Kahn le faire.

Une question que vous pourriez poser c’est est-ce que le franc CFA n’est pas surévalué, quand on voit que l’euro est déjà jugé assez élevé par rapport au dollar ou au yuan.

Pour plus d’informations lire les accords de coopération monétaire qui font le traité sur le site de la Banque de France.

 

Mehdi : D’ailleurs j’ai une question sur le FMI, à propos de ce que vous disiez au tout début, le FMI donne des recommandations à ces Etats pour gérer leur dette. Quel est son but ? Dans quelle optique fait-il ces recommandations ?

 

Olivier Vallée : Le but fondamental du FMI dans ces statuts n’était pas du tout de faire des programmes d’ajustement, de gérer la dette etc. Sa finalité c’était d’éviter la répétition de la crise de 1929 en faisant en sorte que les Etats soient toujours en mesure d’assurer la liberté des flux financier entre eux. Si la Russie a vendu à l’Allemagne du charbon, (situation d’après la 2e guerre mondiale) il faut faire en sorte que malgré ses difficultés elle soit en mesure de payer en devise la Russie ou l’URSS à l’époque. Comme l’Allemagne n’avait pas suffisamment de devise elle avait une tranche ouverte au FMI et avait un droit de tirage d’environ 20% de son PIB. Le FMI est une société par actions. Les plus gros actionnaires étaient à l’époque les Etats-Unis maintenant ce serait plutôt l’Arabie Saoudite et la Chine.

 

Mehdi : Dans ce cas-là, le FMI essaierait de normaliser tous les systèmes financiers parce que ce serait plus simple à gérer ?

 

Olivier Vallée : C’est le gardien du système international. Son but est d’éviter la répétition de 1929. Le plus important pour le FMI ce n’est pas qu’on saisisse les maisons de ceux qui ne remboursent pas leur dette aux Etats-Unis, c’est que les Etats-Unis soient toujours en mesure de régler leur énorme déficit commercial au reste du monde. Ce serait la même chose pour le Congo Brazzaville dans la zone Franc. Ce n’est pas le Trésor français qui va faire en sorte qu’il rembourse ses dettes à la Chine mais bien le FMI.

 

Mehdi : Et quelle est la légitimité du FMI par rapport à ça ?

 

Olivier Vallée : Tout le monde a signé aujourd’hui les accords de Bretton woods. A l’origine ils étaient seulement une vingtaine d’Etats. Il n’y a pas d’Etat qui ne soit pas au FMI aujourd’hui.

 

Mehdi : Pourquoi les Etats ont-ils signé cet accord ?

 

Olivier Vallée : La première fois où le FMI intervient comme prêteur, c’est la crise de 1956 quand la Grande-Bretagne et la France attaquent l’Egypte. Israël, l’Egypte et la Grande-Bretagne se retrouvent alors boycottés par le reste du monde. A ce moment-là ces trois Etats demandent de l’aide au FMI en devise pour pouvoir payer leur facture d’arme, ou de pétrole. En Grande-Bretagne par exemple les anglais inquiétés par la crise réclament leurs livres.

 

Mehdi : J’avais discuté avec M. Nabupko. Il nous parlait du lien entre les personnes savantes et la population. Est-ce qu’il y a des échanges entre les économistes et la population pour qu’elle puisse comprendre les enjeux du franc CFA ?

 

Olivier Vallée : Moi je pense que c’est irréaliste de demander à une population quelle qu’elle soit de comprendre ou d’adhérer au sens de la prise de conscience par rapport à une monnaie. Tellement de gens calculaient encore longtemps en Francs alors qu’on était entré dans l’euro. Beaucoup ne voient pas du tout ce qu’est l’euro aujourd’hui, l’utilisent sans savoir que c’est une zone monétaire, que ça se gère à Francfort et non à Bruxelles. Même chez les partis politiques les plus agressifs vis-à-vis de l’euro on ne parle pas de Francfort. Qui sait aujourd’hui qui dirige la Banque centrale européenne si ce n’est quand il démissionne ? Par contre je trouve que les populations africaines à l’exception des populations européens sont beaucoup plus au fait des véritables problèmes. Un chauffeur de taxi à Dakar peut vous parler du FMI et de l’ajustement structurel beaucoup plus qu’un chauffeur de taxi à Paris ou Madrid car c’est son quotidien. Ce n’est pas un voile monétaire comme disent les économistes mais une réalité.

 

Mehdi : Vous pensez que ce serait plus souhaitable qu’il y ait plus de compréhension de la part des populations ? Est-ce qu’il faudrait laisser à une élite le soin de gérer cette question ?

 

Olivier Vallée : Je ne pense pas. Je ne pense pas non plus que ce soit à une élite de gérer cette question. Certainement pas ces personnes dites savantes. Étant moi-même économiste je suis très suspicieux vis-à-vis de leur compétence dans ce domaine. Comme on dit que la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier au militaire, la monnaie est une chose trop sérieuse pour la confier aux économistes. Elle doit être l’expression d’une volonté politique. Dans le système dans lequel on vit, le système politique dominant est un système politique post-démocratique. Les élites politiques et non les élites économiques décident du système monétaire dans lequel on vit. L’adhésion à l’Union européenne par exemple, c’est une technocratie technique et politique, on parle de technopole. Tous ceux qui s’agitent dans le cadre de la contestation du franc CFA sont à mon avis des gens qui veulent jouer le rôle de cette élite mais n’ont aucune légitimité ni technique ni politique.

FIN DE L’ENTRETIEN

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