Rencontre, Métissage?

Le métissage

C’est maintenant chose certaine, l’homme de Neandertal et Homo Sapiens ont cohabité en Europe pendant plusieurs milliers d’années. Les deux groupes d’individus ont dû alors se rencontrer, échanger. Cependant, déterminer de quelle nature a été leur relation n’est pas chose aisée. En effet, les informations récoltées par les paléontologues portent sur l’anatomie ou sur l’évolution technique des espèces. Impossible, de savoir si les deux Homo ont eu des retrouvailles chaleureuses, agressives ; ont-ils vécu dans l’indifférence l’un de l’autre ?

Si ces questions restent sans réponse, de nombreux scientifiques ont abordé la question d’un possible métissage de l’homme de Neandertal et d’homo sapiens. L’ADN, porteur de l’identité génétique d’une espèce, est alors apparu comme la clef de la question. De nombreuses recherches sur des fossiles ont alors été menées, conduisant à une réponse incertaine et laissant encore la voie à toutes les possibilités.

Le généticien suédois Svante Pääbo°, de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste de Leipzig, s’est penché sur cette question dès 1997 en étudiant l’ADN mitochondrial. Il n’a alors vu aucune preuve de métissage, ce qui n’excluait pas la possibilité. Par la suite, il a poursuivi son travail en décryptant toujours plus de séquences sur un nombre croissant d’individus. Lors de sa dernière publication, il avait décrypté près de 0,3% de gènes sans toutefois trouver de preuves formelles de la présence ou l’absence de métissage. Cependant, il considère que si la possibilité d’un échange génétique est non nulle, ce dernier n’a pas pu être de grande ampleur.

Mathias Currat°, généticien travaillant à l'université de Genêve, soutient aussi qu'il n'y a aucune preuve dé métissage comme de non-métissage. Lors de notre controverse, nous lui avons posé des questions par mail. Voici sa réponse à la question du métissage:

« Ce que l'on peut dire avec sûreté, c'est qu’à l’heure actuelle il n'existe aucune preuve génétique d'une hybridation entre Néandertaliens et hommes modernes, ni au niveau de l'ADN mitochondrial*, ni au niveau de l'ADN nucléaire (Noonan et al, Science 2006, Green et al, Nature 2006, Wall & Kim PLoS Genetics 2007). Cela n'exclut pas complètement des événements d'hybridation entre ces deux espèces mais ces résultats suggèrent que si de l'hybridation a eu lieu, elle n'a pu être qu'anecdotique concernant son impact sur le génome des hommes actuels. Il faut garder en tête que ces résultats sont valables avec les données disponibles aujourd’hui et qu'on ne peut évidemment pas exclure que, dans le futur, de nouvelles données viennent modifier la donne.

Concernant l'utilisation de modèles démographiques tels que le nôtre, ils ne sont utilisés "que" pour essayer de quantifier la contribution génétique Néandertalienne maximum qui serait compatible avec une absence de "signal" génétique à l'heure actuelle. Le modèle que nous simulons dans l'article cité ci-dessus est à notre sens plus réaliste que les modèles testés précédemment (par exemple dans l'article de Serre et al, PLoS Biology 2004) et ils permettent d'estimer cette contribution maximum à une toute petite valeur. Récemment Belle et al (Heredity 2009) estime une contribution encore inférieure. Les modèles utilisés sont des approximations très grossières de la réalité dont le but est de comprendre des processus et pas de reproduire exactement cette réalité, puisque c'est impossible. Il est tout à fait possible que d'autres modèles donnent une contribution maximum différente que celle que nous avons trouvée. Néanmoins, tant qu'on n’aura pas trouvé de "traces" génétiques d'hybridation entre Néandertaliens et hommes modernes, la contribution la plus probable des premiers au patrimoine génétique européen restera 0%, avec une valeur maximum qui peut varier en fonction des modèles utilisés mais qui semble extrêmement faible. Cependant rien n'empêche dans le futur de mettre à jour ces modèles avec les nouvelles connaissances acquises pour voir dans quelle mesure les résultats changent, il s'agit d'ailleurs de la démarche sous-jacente aux approches basées sur des modèles. »

La généticienne Catherine Hänni°, travaillant au laboratoire Paléogénétique et Evolution moléculaire (CNRS, Ecole Normale Supérieure de Lyon), est moins nuancée. Elle a déchiffré une courte région (123 nucléotides) du génome mitochondrial obtenu à partir d'une molaire d'enfant néandertalien datant de 100 000 ans.

Cette analyse a permis tout d'abord de confirmer que du point de vue de leur ADN mitochondrial, les Néandertaliens sont plus proches entre eux qu'ils ne le sont de nous, et ce indépendamment de leur cohabitation avec l'homme moderne. Catherine Hänni° en conclut que les néandertaliens sont bien nos lointains cousins et non pas nos aïeux directs.

Volte-face du 7 mai:
Alors que dans tous ses travaux passés, Svante Pääbo° considérait que l'échange génétique entre homo sapiens et l'homme de Neandertal était de très faible ampleur s'il n'était pas nul, une étude génétique dont les résultats sont parus le 7 mai dans la revue Science (A Draft Sequence of the Neandertal Genome) démontre le contraire. L'équipe du professeur Pääbo° a séquencé 60% du génome nucléaire de néandertaliens vieux de 40 000 ans trouvés dans une grotte croate et l'a comparé au génome d'humains actuels issus de différentes parties du monde: un Français, un Han chinois, un Papou, un San d'Afrique de l'Ouest et un Yoruba d'Afrique de l'Ouest. Le résultat est surprenant. 1 à 4% du matériel génétique des non-Africains, qu'ils soient Européens ou pas, provient de l'homme de Neandertal. Les Africains, quant à eux, ne descendent pas de l'homme de Neandertal. Ainsi, Svante Pääbo° en a conclu que l'homme de Neandertal et homo sapiens se sont mélangés lors de leur cohabitation au Proche-Orient (entre 120 000 ans et 50 000 ans), mais pas lors de leur cohabitation en Europe.