Fiche: La pollution des aquifères

Le débat autour de l’exploitation des gaz de schiste s’est initialement focalisé autour de la question d’une éventuelle dégradation de la ressource en eau, en particulier au niveau des aquifères traversés par les forages dans leurs 100 voire 200 premiers mètres. Les pollutions recensées aux Etats-Unis ont renforcé cette inquiétude. Certaines questions se sont alors posées.

Tout d’abord, cette pollution est-elle directement imputable à l’exploitation des gaz de schiste? Et, le cas échéant, cette pollution est-elle causée par l’utilisation de la fracturation hydraulique?

Ensuite, cette pollution est-elle liée à une communication directe via des fissures ou des failles de la zone de fracturation (située plusieurs milliers de mètres sous terre) avec la zone aquifère? Si ce n’est pas le cas, comment le fluide de fracturation ou les hydrocarbures issus des couches profondes ont-ils pu contaminer l’eau?

Enfin, dans quelle mesure le retraitement de l’eau «refoulée» par les profondeurs après la phase de fracturation (les effluents) pose-t-il des questions liées à la protection des aquifères?

La première question est celle sur laquelle se sont penchés les agents de l’EPA (Environmental Protection Agency) américaine lorsqu’on leur a transmis les témoignages de citoyens indisposés par des pollutions de leur eau potable suite à l’exploitation de gaz de shale dans leur voisinage. Dans certains cas, l’entreprise a été reconnue coupable de malfaçons dans la mise en place du coffrage au niveau des aquifères: elle a du réparer le puits, voire le sceller, et verser des dédommagements aux habitants du voisinage. Cependant, dans d’autres cas, c’est l’hypothèse de la présence de gaz biogénique dans le réservoir aquifère qui a été retenue pour expliquer des phénomènes comme l’inflammabilité de l’eau du robinet: ce serait la présence naturelle de matière organique qui, en se dégradant sous forme de méthane, aurait provoqué la présence de gaz dans l’eau potable. Le fait que ce gaz soit exclusivement composé de méthane, contrairement au gaz des couches plus profondes, d’origine thermique (par opposition à biogénique) et contenant une beaucoup plus grande variété d’hydrocarbures, vient corroborer cette hypothèse.

Quant à savoir si c’est la technique de la fracturation hydraulique elle-même qui est à l’origine des pollutions ou bien si elles auraient pu être causées par un forage conventionnel, c’est encore une autre affaire. On comprend bien les inquiétudes suscitées par l’utilisation d’une méthode qui impose aux parois du puits des contraintes importantes et prolongées, ainsi que l’utilisation de produits chimiques qui, sans un cadre réglementaire strict, pourraient s’avérer dangereux pour la santé. Cependant, il faut remarquer l’unanimité des experts, indépendamment de leur implication personnelle dans ces questions de fracturation hydraulique, à propos de la relative bénignité de cette technique à partir du moment où elle est mise en œuvre dans les conditions qui conviennent à ce genre d’opérations. Tous ceux que nous avons rencontrés insistent sur l’expérience des exploitants et leur maîtrise des problèmes techniques liés à la fracturation, tout en concédant l’existence de certaines lacunes théoriques, notamment en ce qui concerne la dynamique de propagation des fractures au sein des schistes argileux.

Ceci nous amène à aborder le deuxième problème: les fissures engendrées à plus de 2500m de profondeur peuvent-elles remonter, par propagation verticale, jusqu’à la zone des aquifères? Cette hypothèse est quasi-unanimement considérée comme non valide, étant donné la distance qui sépare la zone de fracturation et la zone des aquifères et la précision du suivi des fractures (rendu possible par les mesures géophoniques de l’activité microsismique engendrée par la fracturation et l’analyse de la courbe débit-pression du mélange injecté dans le puits). L’éventuelle présence de failles naturelles créant un lien entre les deux zones a été invoquée, mais la baisse de pression rendrait alors impossible toute fracturation: la fuite de liquide de fracturation dans la faille engendrerait immédiatement l’arrêt de l’opération.

Une autre possibilité, déjà évoquée, semble avoir la préférence des spécialistes pour rendre compte des pollutions effectivement attribuables à des activités de fracturation hydraulique: il s’agirait dans la plupart des cas de défauts dans la mise en place du ciment qui isole le puits du reste du sol. En effet, ce ciment doit prendre la place de la boue de forage: il y a des problèmes de rhéologie assez délicats, et il est possible que des opérateurs aient pu être à l’origine de mauvaises manipulations ayant entraîné une mauvaise isolation du puits vis à vis du sol environnant, permettant ainsi à des hydrocarbures ou à du liquide de fracuration de s’échapper du puits.

Pour se faire une idée des incidents qui ont amené à considérer le casing comme défectueux, voir le relevé des accidents aux USA effectué par le cabinet d’analyse d’entreprises d’une ancienne journaliste du Wall Street Journal (page 24 du rapport, intitulé Frack Attack) :

Il est à noter que ce rapport est cité deux fois par la très officielle commission chargée par le ministre de l’écologie, Mme. Kosciusko-Morizet, de rendre un rapport sur la délicate question d’un éventuel développement de l’industrie du gaz de schiste en France.

Il reste enfin à examiner le problème des effluents issus, lors de la phase de baisse de pression, de la remontée d’une partie du liquide de fracturation injecté initialement: le volume de ces effluents, chargés en particules solides et éventuellement en sel, représente de 10 à 50% du volume initial injecté. Cela représente des milliers de mètres cubes d’eau polluée. Or certaines compagnies ont opté pour le pompage de ces effluents dans les puits, une fois l’exploitation terminée: faut-il craindre un migration des effluents vers les aquifères? On retrouve ici le problème de la qualité du «casing». Mais en profondeur, étant donné la perméabilité infinitésimale de la roche, une migration d’additifs dangereux semble très peu probable.

Cependant, quelle que soit la solution adoptée pour la gestion de ces volumes importants d’eau polluée, il existe un risque qu’ils rentrent en contact avec de l’eau destinée à la consommation des citoyens, et il faut donc veiller à ce que les zones de stockage soient à l’abri des aléas naturels afin d’éviter tout risque de fuite.

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