Entretien avec un chargé de communication sur la viande le 28 mars 2014

Présentation de la problématique par les élèves

On a un troisième axe qu’on commence à développer et qui est la mise en débat. Dans le cadre de nos activités, on fait un colloque, gratuit et ouvert à tout le monde, vous avez juste à vous inscrire. On  essaie  de faire  un  colloque  par  an. C’est  vraiment  assez  global  parce  qu’ici nous  avons 3 thématiques : la nutrition, la sécurité et le bien­ être animal, et l’environnement. Ce dernier a été créé en 2006 suite au rapport Livestock Long Shadow. Il y a ça et puis LAVEGA qui fait un débat « faut-­il arrêter de manger de la viande » chez Coop de France suite au livre de Laporte qui sera présent. Voilà pour les débats rapidement.

Donc sur les controverses, alors rapidement, la controverse part de la FAO, on a découvert que l’élevage bah voilà, je vais reprendre des phrases de producteurs mais nous ils nous ont dit “on savait pas que la vache rotait et produisait du méthane”. Donc c’est une prise de conscience, qui est avant tout  positive. Après la  controverse nait  d’abord de l’interprétation  des  chiffres.

Donc vous connaissez le CITEPA, le centre qui veille à la pollution atmosphérique, ce sont eux la référence pour la quantification des gaz à effet de serre. Vous pouvez aller sur leur site cela a été actualisé. En gros, il y a vraiment deux thématiques associés, donc les gaz à effet de serre, avec le CH4 qui est émis  par  les  bovins.  Vous  avez  sur  le  CH4,  50%  du  méthane  qui  est  ce  qu’on  appelle  une fermentation  naturelle.  A  partir  de  la,  on  voit  que  les émissions  de méthane  viennent  de  plusieurs  postes.  Pour  plus  de  la moitié  d’entre  elle,  c’est  la fermentation entérique, c’est à dire les herbivores qui à travers la rumination, lorsqu’elles mangent de l’herbe, vont rejeter du méthane. Donc dans la contribution de l’agriculture et plus précisément de  l’élevage,  on  a  plus  de  la moitié  des  émissions  qui  viennent  d’un  phénomène  naturel  de  la vache. Donc ce phénomène naturel, on ne peut pas le supprimer, l’INRA a travaillé à le réduire à travers  l’alimentation. Bleu Blanc Coeur  travaille  essentiellement sur  du  lin  extrudé,  et  en fait  ils  arrivent  à gagner 12% sur les bovins lait. L’alimentation n’est pas la même pour les bovins viande mais de toute façon le travail a faire est assez identique. En bovin lait, c’est de l’herbe avec une bonne part de mais en sillage pour la production et la performance laitière, en bovin viande il n’y a pas de maïs et il y a beaucoup plus d’herbe. Mais le problème, justement, c’est que plus la vache mange de l’herbe, plus elle émet de méthane.

Donc la vraie problématique aujourd’hui, c’est ça : on a un phénomène naturel, la fermentation entérique, qui fait que si la vache mange de l’herbe elle recrache du méthane. Et c’est proportionnel. Or, on préfère, en tant que consommateur, une vache nourrie à l’herbe plutôt qu’en maïs. Mais si on nourrissait toutes nos vaches en céréales et qu’on les laissait en bâtiment sans les faire  sortir, on  diminuerait  considérablement  notre  méthane.  Donc  la  controverse  et  le paradoxe,  c’est  que  plus  on mange  de  l’herbe,  plus  on  émet. Donc si  on  ne raisonne  que sur  le climat, il faudrait mettre toutes  nos  bêtes  en  étable,  dans  un  principe  d’intensification.

Donc  un aspect de la controverse assez générale en agriculture et en élevage est lié à la complexité de l’activité parce que l’on travaille sur du vivant, animal et végétal et qu’on a plusieurs flux, que ce soit l’azote, les gaz ou l’eau. Donc c’est difficilement simplifiable. C’est complexe et on ne peut pas raisonner sur un seul critère. Si on le fait, comme beaucoup de rapports, alors la solution c’est leur donner du maïs et les foutre en bâtiment. Comme ça, il y aura considérablement moins de gaz à effet de serre. C’est un peu paradoxal par rapport aux besoins du consommateur et par rapport à l’image que se fait le consommateur.

Est ce que ce n’est pas plus une question d’image que de besoin du consommateur ?

Bah après sur le besoin du consommateur, il y a le principe de schizophrénie : même si il y a un fort engagement dans l’environnement, ce qui compte au final lors de l’achat, c’est le prix. Ce  qu’il fait  qu’il s’oriente soit  vers  des  viandes  importés  moins  chères, soit  vers  des  viandes  de réformées laitières moins chères par rapport à une alimentation où on la sort, où on la laisse à l’herbe, comme  on en trouve  dans le Massif  central  qui est le bassin  bovin  viande.

Donc les leviers  disponibles  auprès  des éleveurs  pour influer  sur les émissions  de méthane, nous  ce  qu’on  dit,  c’est tout  doit  être travaillé, mais  n’oublions  pas  que sur la partie fermentation entérique, on peut difficilement dépasser les 10% de réduction. Donc entre le Valorex  et Bleu Blanc Coeur  et l’étude  de l’INRA  qui  a montré  qu’on  pouvait  gagner  entre  10%  et  14%,  en rajoutant des lipides, c’est bien on peut réduire, mais faut pas se leurrer, on ne peut pas empêcher la vache  de  fermenter.  Donc  on  joue sur  toute  l’autre  moitié  :  la  gestion  des  déjections  qui sont stockées  et  épandues  sur  les  prairies  et  les  cultures  pour  éviter  de  prendre  des  engrais  aussi émetteurs de gaz. Donc l’utilisation de ces effluents est intéressante au niveau des diminutions de l’impact,  à  condition qu’on les gère bien. C’est  à dire qu’on ne le laisse pas trop  à l’air, qu’on la couvre, qu’on la mette bien dans le sol. Après, pour une dizaine de pour­cents, ce sont les intrants : utilisation d’énergie, achat d’aliments et d’engrais.

L’importation du soja, en bovin viande, c’est moins important car il y a moins cette notion de l’apport  de  protéine  de soja  qui  est  très  intéressante  dans  une  performance  laitière,  mais  moins nécessaire  dans  une  performance  viande.  Aujourd’hui  on  travaille sur  le  panorama  complet de l’exportation du soja parce qu’en France on en fait très peu, c’est 120 000 hectares je crois, ce qui couvre  à peine 1% donc le soja  est importé. Donc le COOP de France  est  en train de faire une cartographie pour voir combien on importe et quelles seraient les alternatives possibles. Donc le soja est moins irremplaçable en bovins viande car on a réussi à créer des cocktails luzerne lin ou même herbe de printemps : il y a différentes coupes dans l’herbe et ce qu’on appelle l’herbe jeune de printemps apporte la même nutrition que du lin ou de la luzerne.  Donc en résumé il y a des éleveurs de bovins viande qui sont complètement autonomes c’est à dire qu’ils cultivent eux même la luzerne et le lin et il n’y a donc pas d’imports. Donc le soja n’est pas la problématique majeure même si  on  le  quantifie  pour savoir  où  on  en  est.

Le  problème majeur  c’est  vraiment  cette  histoire  de valorisation  de  l’herbe.  On sait  que  l’herbe  n’est  valorisable  que  par  les ruminants. Ce sont  des surfaces, les surfaces en prairies, qui sont appelées les surfaces difficilement valorisables. Donc on peut  pas trop faire de  culture. Donc la prairie valorise des  espaces qui seraient  normalement  en friche ou en forêt ou pour quelques parties en culture mais ce n’est pas remplaçable. Donc il y a vraiment un phénomène de valorisation de ces espaces par les bovins et d’alimentation naturelle à l’herbe etc. Mais cette herbe dégage du méthane.

A propos du stockage de carbone

C’est aussi un enjeu, la DEM est en train de réaliser un document d’appui là-dessus parce que c’est encore assez flou. On sait que l’herbe stocke du carbone,que ça dépend aussi de l’herbe par  exemple la  prairie  permanente stocke plus que la jeune  prairie. Mais  à  partir d’une  certaine année le stock s’arrête donc elle garde, il ne faut surtout pas la retourner, et aujourd’hui il y a un vrai enjeu là-dessus. Le retournement de prairies est un danger à venir. C’est pour cela que la filière insiste sur le besoin des prairies avec les instituts techniques dont l’INRA.

Jean Louis Peyraud a une vision globale, c’est lui qui gère les regroupements d’Instituts avec  des sous-groupes  dont  notamment  un sous -groupe  qui s’appelle  “acceptabilité  de  l’élevage”. Spécifiquement  aux  gaz  à  effet  de serre  c’est  vraiment  Soussana  qui  est  le référent.  D’ailleurs l’INRA  a  publié  dans  deux  ou  trois  numéros  de  La  science,  ce  qui  est  très  rare,  des  cahiers adaptation climatique.

Donc le stockage  carbone  c’est  en devenir. On sait  aujourd’hui que le sol stocke du carbone  avec  la  photosynthèse.  Ce  stockage  carbone  fait  partie  des  leviers  d’atténuation  du changement  climatique  par  l’agriculture  mais  il  est  vrai  qu’aujourd’hui,  les  études  donnent  des chiffres autour de 500 kilos par hectares de prairies et par an mais on est vraiment en précision de cette évaluation avec le rapport de la DEM pour voir comment il se positionne. On sait qu’il y en a mais avec les différentes prairies, c’est difficile de dire que c’est ce chiffre précis. Pour l’instant l’idée principale,  c’est  de  ne  pas  relâcher  ces  stocks  dans  l’atmosphère.  Par  exemple  demain,  si  la Nouvelle Zélande retourne ses sols, ca va aller très très mal. Ce sont des prairies très anciennes avec beaucoup de stockage dedans donc ce serait un coup très difficile.

Après, ils réfléchissent en ce moment par rapport à la question du changement climatique mais il y a aussi la question de la qualité de l’air. Donc ça pour le coup je sais pas si ça va vous intéresser mais c’est l’ammoniac qui est relâché par les déjections qui va monter dans l’atmosphère et se fusionner avec NOX par exemple, d’autres atomes ce qui va donner des particules. Donc c’est une problématique aussi. Le nouveau pacte européen, Clean Air Policy for Europe propose de fixer un  plafond  de  NH3  et  pour  la  première  fois  un  plafond  de  méthane.  Donc  aujourd’hui  les ministères réfléchissent à est-ce que l’objectif fixé par la commission européenne de moins 29% pour le CH4 et de moins 25% pour le NH3 en 2030 est tenable etc. Donc voilà pour les enjeux.

Après sur la controverse, Livestock Shadow arrive, et en 2006 dit élevage = 18% des émissions totales. Donc la on découvre, c’est un peu dur, comment ils ont mesuré ça…

D’un point  de  vue  général,  la  controverse,  en  tout  cas  pour  ce  qui  concerne  mon  secteur,  nait  et s’entretient à travers deux grands courants : le premier étant l’évaluation.  On connait la recherche, la communication et les politiques. Ces derniers sont plus pressés que la recherche donc dès qu’ils ont un chiffre ils parlent.

Donc la FAO,  de par son  activité, gère des régions du monde,  et fait des  calculs qui sont sensiblement relatifs : un inventaire national et une évaluation territoriale et locale ne sont pas du tout similaires.  La  FAO fait  un  calcul  assez  basique  parce  que  c’est son  activité  et  qu’elle  doit donner  aux  politiques  publiques  des  chiffres,  mais  en  gros  elle  fait  un  facteur  d’émissions: l’Europe, par exemple, dégage le nombre de vaches x le facteur d’émissions par vaches, et voilà les 18%. Donc il faut se  dire  que la FAO  a  alerté les  pays,  de  par  une multiplication  qui  est  assez basique mais qui a servi à alerter, donc il ne faut pas le remettre en cause. Après, notre rôle, par contre, c’est de voir ce que ces 18% à l’échelle globale veulent dire à l’échelle de la France et au niveau de la production. Donc il y a différents niveaux. C’est un des premiers moteurs de controverse : quelle évaluation avec quelle méthode ?

Le grand public ne se plonge pas dans la méthode. Ensuite, il y a ce que je vais appeler “à quoi ça se rapporte”. C’est à dire les 18% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, c’est très bien, l’élevage est contributeur au gaz à effet de serre ok. Mais pourquoi est-ce que aujourd’hui dès qu’on parle de gaz à effet de serre on parle d’élevage  ? C’est une des questions  de  la  controverse,  il  y  a  tout  de  même  une  priorisation.  Si  vous  regardez  au  niveau sectoriel, la contribution de l’agriculture au gaz à effet de serre, c’est en France le deuxième secteur émetteur après les transports. Donc c’est très important, mais est ­ce que cela justifie que dès qu’on parle gaz à effet de serre dès qu’on parle élevage ? La question de la controverse, c’est ça.

En  France,  pour  l’agriculture  c’est  19%  des  émissions. Donc  c’est  important,  il faut travailler  dessus,  mais  cela  reste  dans  un  cadre  global.  Maintenant  l’agriculture  est  deuxième, après  les  transports,  parce  que  les  bâtiments  ont  bien  travaillé,  alors  qu’ils  étaient  avant  en deuxième position. Mais la question, derrière ça, c’est, pour la controverse, une fois qu’on a fait ce constat, on se retrouve à voir des rapports et des études qui ciblent uniquement sur le climat avec un raisonnement mono­critère, ce qui est dangereux vue la complexité de l’agriculture et les différents flux qui interviennent, avec la question économique et sociale au niveau de l’exploitation et de la filière ; en étant axé sur le climat, on peut se dire les vaches produisent du méthane, alors supprimons les vaches. Mais c’est un peu facile. Il faut évidemment proposer toutes les solutions mais c’est un peu dur. Les vaches produisent du méthane mais ne font pas que ça, il y a autre chose  derrière.  Donc  après  c’est  pour  ça  qu’il  y  a  beaucoup  de  travail sur  les services  rendus, l’INRA  travaille  beaucoup  la-­dessus,  c’est  le  programme  éco­serve  :  la  vache  ne  sert  pas uniquement à rejeter du méthane, elle va produire de la viande, donner des co­produits, qui vont faire de la graisse, de l’énergie, ça va utiliser des surfaces qui sont difficilement valorisables.

Derrière, il y a des projets de civilisation à mettre en place. Et dans ces controverses, ce qui est vraiment étonnant et ce qui constitue pour moi le moteur et l’entretien de cette controverse, c’est l’amalgame qui consiste à commencer un article en mettant en lien directement l’élevage et les émissions. Aujourd’hui, on ne peut pas dire « 70km = un steak » : c’est un choix de vie. On ne fait que se déplacer et on arrête de manger de la viande ? C’est un choix de vie.

Les documentaires un peu chocs : Généralement, on a un amalgame entre les systèmes. On parle de l’élevage français et on montre des images d’élevages américains. Pour la filière qui fait la communication,ils  doivent  répéter  en  permanence  qu’un  élevage  moyen,  en  France,  c’est  50  vaches.  Donc  les images montrent soit des feedlots aux Etats Unis, soit le mot élevage industriel où l’on montre des volailles en bâtiment et qu’on généralise sur l’élevage, c’est parce que l’on met tout dans le même sac, mais le consommateur lui il n’est pas apte à appréhender l’ensemble des élevages. Mais il aime bien voir des  vaches  en  pré,  dans  la  nature,  donc  ce  sont  pleins  de  représentations  sociales  qui  font également partie de la controverse.

Donc il y a l’évaluation, comment-elle est faite et pour quel but ?

La FAO un but global donc pas très précis d’alerter les régions du monde. Il y a l’amalgame fait soit par méconnaissance du système, soit, parfois, par opinion. Pour le méthane, un élevage intensif reste forcément plus efficace dans le cadre des réductions des émissions. Mais la dernière publication en date, sur le CIRAD [centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement], casse par la méthode énergie le dogme de la FAO qui disait qu’un élevage intensif serait forcément plus efficient au niveau de l’environnement qu’un élevage extensif. Ils ont appliqué une méthode multi­critère qui prend en compte les gaz, l’impact sur la biodiversité, les facteurs sociaux, et il montre que l’élevage extensif du Mali est plus efficient qu’un élevage intensif de la Réunion ou semi ­intensif en Bretagne. Il casse un peu le dogme de 2006 qui disait qu’il fallait absolument  intensifier  la  production  pour  diminuer  les  impacts.  Et  donc  le rapport de 2006 de la  FAO a été réactualisé en septembre 2013, où ils ont baissé le chiffre à 14,5% et ils commencent en annexe à parler du stockage carbone. Ils l’ont pas mis en corpus, parce qu’au niveau scientifique on cherche encore, mais ils l’ont mis en annexe en qualitatif et ils travaillent dessus par exemple par rapport aux services rendus par l’élevage.

Au niveau du lien entre tous ces gens, est-­ce que l’on est dans une coopération, dans la rencontre ou plutôt dans la tension ?

Ils ne se rencontrent pas. La FAO interagit avec la recherche et les interprofessions. Les acteurs, à vérifier, que la FAO rencontre, c’est recherche et interprofessions mais ils ne descendent pas  jusqu’aux  organisations  de  producteurs.  En  effet,  celles-­ci  ont  été  alertées  en  2006,  mais concrètement  c’est  une  affaire  à  faire  tourner  tous  les  jours,  avec  un  ratio  économique,  une législation  à respecter,  et  après, il y  a une prise  en  compte  de l’environnement  et des initiatives partout. Il y a des agriculteurs leaders, des mises en place de nouveaux systèmes, …

Aujourd’hui, tous les instituts techniques s’attachent à faire le lien entre environnement et économie. Toutes les recherches sont axées sur la possibilité de diminuer les charges ou gagner de l’argent  en s’intéressant  à la question  de l’environnement.  C’est  pour cela que la question des effluents, c’est intéressant, tout autant pour les gaz que pour les charges. De même, l’autonomie alimentaire est un enjeu primordial, car on est sur du local, avec l’utilisation de produits qui ne sont pas chargés d’émissions parce qu’ils viennent de loin, et en même temps je diminue les charges de mon exploitation. Donc l’économie reste un axe d’entrée dans tous les cas.

Après il  y a ceux qui dès le  début ont compris que l’environnement serait un  atout économique  et  social,  car  les  agriculteurs  et  les  éleveurs  ont  aujourd’hui  un  gros  besoin  de reconnaissance. Depuis plus de 20 ans, toutes les problématiques environnementales leur pèsent dessus. Donc certains ont compris que l’atout environnemental était important pour leur image auprès du grand public. Mais la filière bovins viande est aujourd’hui une filière qui va mal, avec en moyenne 15000 de revenus à l’année, donc c’est du boulot. Et pour les éleveurs du Massif Central qui élèvent leurs vaches à l’herbe,  c’est impossible  de  comprendre  car pour eux, leur système est parfait par l’élevage des bêtes en extérieur. Donc il y a aussi un aspect pédagogique, et qu’il y ait une controverse au niveau de la société et des amalgames, cela ne les arrange pas. Mais maintenant les instituts techniques travaillent vraiment sur le côté économique.

Les solutions concrètes :

L’alimentation. L’INRA a répertorié les actions selon un axe d’atténuation et surtout en fonction du coût annuel : donc c’est top, parce que l’on peut voir immédiatement les leviers qui peuvent être mis rapidement en place et qui ne sont pas chers, avec le gain rapporté. Après, ceux qui sont un peu plus chers, on verra après. Donc cela illustre vraiment le lien indispensable à faire pour  les  éleveurs  là-­dessus.  Les  méthanisateurs se  développent,  on  est  autour  de  100.  Mais  ça coute cher, et outre l’investissement financier, il y a la faisabilité technique derrière, c’est-à-dire que oui on peut mettre les déjections dedans, mais il faut arbitrer. On utilise une partie des déjections pour  les  engrais,  donc  il faut  voir  combien  il  en reste  pour  le méthaniseur,  très souvent  il faut compléter, à ce moment-là, on ne fait pas comme en Allemagne où l’on complète avec du maïs, sinon il y a le problème de la concurrence alimentaire et c’est un peu contre­productif. Donc c’est en développement, c’est pas facile, la question de l’échelle se pose aussi : mieux vaut ­il faire des gros méthaniseurs ou plutôt à l’échelle de la ferme ? Les instituts techniques tendent plus vers les méthaniseurs à l’échelle de la ferme ou tout au plus au regroupement d’agriculteurs, mais vraiment très local. Si on a une production continue, c’est bien mais le gaz on en fait quoi ? Je me chauffe en hiver  mais  l’été ? Donc  il  faudrait  le  refiler  à  la  commune,  et  la  c’est  un  investissement  assez important. Donc cela fait partie des solutions mais ce n’est pas la seule solution.

Ce qui  est sûr, c’est que le raisonnement mono­critère n’est pas une solution. Il faut vraiment y aller petit à petit, et l’outil qui aujourd’hui est assez répandu et qui fait un peu loi dans l’évaluation  environnementale,  c’est  le  cycle  de  vie.  Donc  en  gros,  on  prend  un  produit,  et  on regarde du berceau à la tombe : sur toute sa vie, on regarde les impacts que l’animal a pu générer. C’est encore à améliorer, c’est une méthode qui vient de l’industrie, donc il faut encore approfondir au niveau de l’agriculture. Mais aujourd’hui, c’est grâce à cette méthode qu’on arrive à saisir un peu l’ensemble  de la  problématique  environnementale  d’un  produit. Donc là-dessus c’est toujours la même chose, dans le cadre de l’élevage viande: on a une vache, elle mange, elle émet des gaz, elle fertilise,  elle  part  à  l’abattoir  →  viande  +  co produits  :  cuir,  os,  graisse.  Il  y  a  beaucoup  de valorisations  non alimentaires  de  cette  vache,  et  cette  valorisation, si  on  est rigoureux  et  qu’on prend  vraiment  en  compte  de  la  naissance  de  la  vache  jusqu’à  non seulement sa  production  de viande et non alimentaire, et que tout cela on les suit jusqu’à leur consommation et leur fin de vie, c’est-à dire-recyclage ou pas etc., si on prend l’ensemble, après la thématique gaz à effet de serre ne sera plus la même.

En effet, sans compter le stockage carbone de la prairie, l’effluent aura permis de fertiliser des terres qui  auront  évité de l’engrais ; la  graisse  aura servi  à faire du  biocarburant  donc sans émissions  liés  aux  pétroliers  donc  on  enlève,  donc  si  au  final  on  regarde  sur  toute  la  chaîne, évidemment tout est dilué, mais il y a des plus et des moins qui se compensent. C’est pour ça qu’il ne faut donc pas s’intéresser  à un seul  critère, mais toujours bien dire on s’occupe de  ce critère-là et on ne généralise pas à une notion de durabilité. C’est le problème de la controverse : on part sur un axe mono­critère, le réchauffement climatique, l’impact carbone, mais au fil de l’article, de l’émission ou de la discussion, on se retrouve à parler de développement durable. Mais on est pas sur de la durabilité qui a 3 piliers. La durabilité veut dire assurer qu’il y ait une économie des ressources et la sécurité des générations futures, en gros l’idée qu’aujourd’hui on est pas en train de détruire  l’environnement  pour  le futur. Cette  notion  de  durabilité  a  été  définie  comme  ça.  Donc après dans chaque secteur, il faut la pragmatiser.

Dans le secteur de l’élevage, durabilité veut dire nourrir une population, en économisant les ressources et en faisant vivre une filière, très schématiquement. On garde les piliers sociaux, économiques, environnementaux. Et quand même, la vocation première, c’est filer de la bouffe avant tout.

Donc pour revenir au sujet, la question de manger ou pas de la viande est détachée de la problématique gaz à effet de serre. C’est plutôt de savoir si aujourd’hui en France, on est sur une volonté de séparation de régime : les régimes alimentaires se multiplient. Dire qu’il faut arrêter de manger de la viande parce que la vache produit du méthane, là il y a un énorme raccourci qui a été fait. Il y a un projet  de  civilisation,  des régimes,  végétariens  ou  pas,  pour  quelles raisons,  personnelles  ou sanitaires ? Puis il y a une problématique liée à l’élevage qu’il faudra résoudre, pour diminuer les gaz  à  effet  de  serre  et  d’autres  facteurs.  Donc  la  question  «  faut-­il  continuer  à  manger  de  la viande », ne peut pas être liée à l’impact carbone de l’élevage.

La controverse, c’est surtout la socio, avec l’appropriation des chiffres par les médias, l’appropriation  et  la  perception  par  le  grand  public,  et  nos  perceptions  à  nous  ainsi  que  nos croyances. Je n’ai jamais vu dans la presse la question faut­-il continuer de rouler en voiture, même si  c’est  le  facteur  le  plus  émetteur.  Ce  qui  est  intéressant,  c’est  de  raisonner  par  l’absurde: supposons qu’on supprime toute la production de viande, qu’est ce qu’il se passe ? Tout le monde ne va pas devenir végétarien. Donc ceux qui veulent manger de la viande, comment est­-ce qu’ils vont faire  ?  Elle  va  forcément  venir  d’ailleurs,  donc  importation.  Par  quel  transport?  De  quelle manière  va-­t-­elle  être  élevée ?  Avec  quels  critères  sanitaires  ?  Cette  viande-là,  on  ne  va  pas contrôler sa production, donc cela va générer d’autres  choses. Puis  après si on mange pas, il va falloir prendre des compléments pour certaines populations, comme les seniors ou les femmes en âge de procréer donc  ces compléments ils vont venir d’où? Cela pose la question de l’industrie pharmaceutique. C’est donc un exercice difficile.

Mais par rapport au rapport Af’terres 2050 ; j’ai ciblé une rubrique assez emblématique du problème ; on commence en chiffrant avec plus de 170 millions de tonnes de CO2, l’agriculture et l’alimentation, de la parcelle au traitement des déchets alimentaires, donc la c’est le fameux cycle de vie : de la naissance jusqu’à la mort. Donc tout ça est responsable de 36% des émissions, c’est-à-dire plus que le transport et le bâtiment. Ils se réfèrent à une étude de l’IFEN de 2007 qui regardait quelles sont les consommations les plus émettrices de gaz à effet de serre des ménages français. Or quand on regarde l’étude de l’IFEN, on se rend compte que ces 170 millions de tonnes C02 c’est vraiment sur l’ensemble de la chaine de production. Or les transports et le bâtiment, on va calculer les  gaz  à  effet  de  serre  de  la  fabrication  du  bâtiment  ou  de  la  voiture  jusqu’à  la  livraison  au consommateur. Mais  on  ne  va  pas  prendre  en  compte  la  consommation  du  consommateur  avec l’utilisation  quotidienne,  ni la fin de vie : le recyclage.  Donc là, et c’est  un autre  moteur  de la controverse, on compare des choses qui ne sont pas comparables. Ce n’est pas le même référentiel.

On  fait  un  référentiel  similaire  pour  les  transports,  on  n’arrivera  pas  au  même  résultat.  Or  ça, malheureusement  on  le  voit souvent.  Donc  la  question  c’est  incompétence,  méconnaissance  ou malhonnêteté  intellectuelle  pour  faire  passer  un  message  derrière  ?  Donc  il  faut  une  cohérence interne de la réflexion, en prenant en compte les imports et les exports. Donc ce n’est ni cohérent, ni durable et encore moins réaliste.

La viande in vitro ?

Pour nous ce n’est pas de la viande. C’est de la pilule, un truc synthétisé. Donc ce steak qui a été fait en labo, j’aimerais voir le bilan carbone. D’un point de vue durable, ok on répond à un problème, mais il faut savoir ce qu’on utilise derrière, en combien de temps etc. D’un point de vue social, est-ce que les Français sont prêts à manger ça ? Est-ce que tout le monde va pouvoir se le payer ? Qui est-­ce que  ca fait vivre,  en termes d’emploi ? Les mêmes questions se posent d’un point de vue économique, par rapport à l’accessibilité et le prix. D’un point de vue de consommateur, j’en mangerais jamais. D’un point de vue citoyen, c’est quoi le projet de civilisation derrière ? Si c’est de manger de la nourriture en tube, j’arrête.

Les insectes comme alternative à la viande pour nos protéines?

Alors justement la FAO a communiqué là-dessus pour l’alimentation animale. D’un point de vue plus général, il y a une grosse notion de culture. Il ne faut pas oublier que dans une optique d’alimentation durable, au final, on a une agro qui a bossé là-dessus, la définition est très fourre tout. Clairement, aujourd’hui, aucune alimentation n’est durable. Donc c’est un objectif à suivre mais il ne faut pas oublier que derrière il y a un  aspect  culturel, social, d’accessibilité,  donc  la  question  c’est  est-­on  sûr que l’alimentation par insectes réponde vraiment à l’enjeu environnemental ?

Est-­ce que vous penser qu’au niveau du lien politique­/industrie de la viande, il y a un lien fort ?

Avis perso : il faut aller sur le site du CITEPA [Centren Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique]. A Dauphine, ils avaient fait une table ronde avec tous les représentants de l’Europe, il y avait le secteur énergitique et du transport qui a soutenu un message : le message de GDF c’est  ça, le message de Suez  c’est  ça  et il y  avait de vraies raisons pour que ce ne soit pas applicable. Mais la viande n’y était pas. Donc pour le coup, parmis les secteurs les plus proches des politiques, la viande n’en fait pas partie.

Est-­ce qu’il ne faudrait pas que les politiques s’intéressent plus à la question, en intervenant plus ?

Il y a un marché européen monnaie carbone, l’ETS [European Union Emissions Trading Scheme] est un marché soumis à quotas qui sont les énergéticiens. L’agriculture n’est pas soumise à quota mais on peut volontairement s’y inscrire. La filière réfléchit à cette problématique, parce qu’il y aurait tout à gagner peut être à compléter le revenu des éleveurs avec ce concept.

L’expérimentation Bleu-Blanc-Coeur ?

C’est avant tout une démarche commerciale. Ils sont liées à une boite qui s’appelle VALOREX qui a fait une formule de lin extrudé. Donc leur démarche était dans l’ère du temps, leurs calculs entre les acides gras et les émissions ont été validés, ils ont très bien travaillé. Mais là où il y  a un petit  argument  commercial,  c’est que  ces résultats peuvent  être  atteints par d’autres alimentations. Mais leur méthodologie a été validée.

Retour aux entretiens