Entretien avec Benoît Jaulhac

BM : Quelle est votre activité ? Votre rôle au sein de l’hôpital ?

BJ : Notre activité correspond au cahier des charges du Centre National de Référence des Borrélias.

  1. Activité de surveillance vectorielle : on suit l’évolution de la densité en tiques, et ensuite de leur taux d’infestation (les deux chiffres n’ont a priori rien à voir). Chaque mois, sur différents endroits, pour voir les paramètres (climats p-ê) d’évolution
  2. Activité de diagnostic humain : on effectue à la place de laboratoires des tests de contamination (tests sérologiques et biologie moléculaire)
  3. Activité d’évaluation de la performance en termes de spécificité et d’efficacité des nouveaux réactifs sur le marché. Pour le moment on le fait qu’en séro mais après on passera à la bio molé. Les bactéries dans les tissus peuvent théoriquement être observées dans les tissus (microscope à fond noir, ou à contraste de phase) mais en pratique il y en a très très peu dans les prélèvements, ce qui cause beaucoup de problèmes.
  4. Conseiller les médecins et les laboratoires pour le choix des réactifs à utiliser, l’interprétation des résultats, et globalement les meilleures techniques en fonction des patients.

BM : Avec la maladie de Lyme, on observe des manifestations différentes : neurologiques, cutanées, articulaires… Ces variations dépendent-elles de l’agent infectieux ou du patient ?

BJ : Très vraisemblablement les deux. Dépend du facteur de pathogénicité des souches bactériennes (mais quand même la même espèce). Toutes les tiques n’ont pas Borrélia. Parmi celles qui l’ont, toutes ne nous la transmettent pas lors d’une morsure. Parmi les Borrélias transmises, toutes n’ont pas la même virulence et certaines sont inoffensives (dépendance de l’agent infectieux). Parmi les Borrélias virulentes, certains humains les éliminent (dépendance du patient).

BM : Du coup avec toutes ces variations, qu’est-ce qui caractérise exactement la maladie de Lyme ?

BJ : Être infecté par certaines espèces de Borrélias, et pas à celles des fièvres récurrentes. Celles responsables de la maladie de Lyme ont été regroupées selon les tissus de patients contractant des formes neurologique, cutanée ou articulaire de borrélioses.

BM : On entend beaucoup de critiques au sujet des tests Elisa et Western Blot (faux positifs, faux négatifs). Avez-vous des statistiques les concernant ?

BJ : Déjà, ce sont deux familles de tests : il y a une dizaine de tests Elisa et 6 ou 7 Western Blot en circulation. Y en d’autres aussi. Après morsure, la bactérie se multiplie dans les tissus : c’est l’érythème, forme cutanée de la maladie, même s’il n’est pas visible. A ce stade, le corps est en retard niveau anticorps. Recommandations européennes : ne pas utiliser de test à ce moment-là, c’est trop tôt, on risque les faux négatifs. De plus, « dans les études européennes, en gros 85% des cas rapportés sont des stades initiaux ». Si les tests sont mauvais, et qu’on les utilise à tort sur ces 85% de malades alors que ça ne sert à rien pour eux, les résultats des tests vont être encore plus mauvais. « Ils sont mauvais, mais ils sont surtout mal utilisés. » « C’est vraisemblablement cet aspect de recommandation qui doit devenir plus fort. » Dans la littérature américaine et européenne de l’année dernière, les tests sont bons si on laisse passer le premier stade, à ceci près que pour les troubles neurologiques, il faut aussi analyser le liquide céphalo-rachidien, pour éviter les faux négatifs. En Allemagne, on n’hésite pas à la faire.

BM : Quels organismes établissent les recommandations, en Europe ou aux Etats-Unis ?

BJ : Il est vrai qu’ « il y a effectivement des recommandations faites par des gens qui n’ont pas la légitimité pour le faire. » Pour être un groupe expert, il faut qu’un organisme extérieur l’approuve. Aux US, l’expert c’est l’IDSA, ont une autorité nationale. En Europe, l’ESCMID, qui a créé un groupe l’ESGBOR, qui ont été validés comme étant compétents sur le sujet. Ce groupe propose des recommandations à but thérapeutiques sur le sujet. J’en fais partie.

BM : Quels sont les types de traitements contre la maladie de Lyme ? Antibios ?

BJ : Les seuls éléments validés sont des antibiotiques, sauf au stade de l’arthrite de Lyme, ou on peut avoir la réalisation d’autre traitements articulaires comme des injections anti-inflammatoires complémentaires.

BM : Avez-vous pu rencontrer des patients possédant des douleurs sur le long terme, s’agit-il d’une maladie de Lyme chronique si elle existe, et que leur dit-on ?

BJ : En fait, y a un pb de dénomination pour le chronique. Les asso parlent de quelque chose dont on ne guérira pas quand elles emploient ce mot, et qui résisterait au traitement, mais sans avoir d’élément de preuve concernant la persistance de la bactérie. Scientifiquement, une maladie chronique ça veut dire qu’on a la preuve de la présence de la bactérie (ou de l’agent pathogène) et que cette dernière évolue depuis plus de 6 mois sans traitement, c’est la définition actuelle. En fait, cette définition comprend aussi des maladies indolores et à évolution lente, et dont on ne peut faire le diagnostic que plusieurs mois après la contamination, et donc qui se trouvent être systématiquement chroniques, de facto. Chronique, ça veut pas dire incurable, y a des exemples (même si on peut garder des séquelles, exemple de la maladie de la peau de vieillard).

BM : D’accord pour la définition médicale, et maintenant que penser de ce dont parlent les asso, qui serait incurable ? Que peut-on en dire du point de vue médical de cette hypothétique forme.

BJ : « Je ne pense pas qu’elle soit hypothétique. Les patients souffrent authentiquement de quelque chose. » La question c’est qu’à mon avis, « c’est un grand sac fourre-tout ». On met dedans peut-être des patients de Lyme qui souffrent ou qui continuent de souffrir après avoir été traités, par exemple par des séquelles. On met aussi des patients qui n’ont pas de lien avec Borrélia, donc eux on va pas les re-traiter, on va pas gâcher des antibiotiques. Dans ces cas-là, « il faut se poser la question du doute, et se demander comment soulager le patient, puisque dans tous les cas il n’y a que ça qui compte. » Autre catégorie du sac : des gens qui ont complètement autre chose, voire qui n’ont même pas été piqués par des tiques.

BM : Du coup pour les catégories non-Lyme du sac, on parle de maladies qu’on arrive à identifier mais mal-traitées, ou bien de maladies qu’on ne connaît pas ?

BJ : La fatigue, tout ça, ce sont des symptômes très courant. Il n’y a certainement pas une seule cause, on peut pas traiter toutes les fatigues de la même façon. New England Journal of Medicine, étude qui a essayé de voir si un traitement antibiotique ou un placebo marcherait le mieux sur ces gens-là : le placebo a eu les mêmes résultats. Loin de moi de dire que c’est psychiatrique, l’effet placebo fonctionne sur tout le monde, c’est juste qu’il vaut mieux leur donner un placebo dans ce cas-là que des antibiotiques pour éviter les formes de résistance. Ce qui est bien avec cette étude c’est que la première du genre en Europe, et permet de s’affranchir du principe de méfiance vis-à-vis de la transposition aveugle de ce que font les US sur le Vieux Continent. Ça veut dire qu’il ne faut pas chercher un traitement infectieux, mais autre chose : « les patients ont bien un problème. »

BM : ça pourrait être viral du coup si ça sert à rien de chercher à tuer des bactéries ?

BJ : C’est vrai qu’on a pas trop exploré cette piste. Néanmoins on a « une nécessité de démêler ce sac fourre-tout ». Il faut bien faire la différence entre ceux qui sont atteints de Borrélias et les autres. De plus, la présence d’anticorps anti-Borrélia veut simplement dire que le patient a été en contact avec la maladie, et comme « notre système immunitaire, dans l’immense majorité des cas, élimine la bactérie », on peut se retrouver avec des patients souffrant, mais pas à cause de Lyme. Dans 95% des cas, avoir des anticorps c’est normal.

BM : Vaccin ?

Y a des pistes envisagées, reprises. Aux USA années 2000 parce qu’ils ont qu’1 souche de Borrélia et en Europe y en a 3, c’est plus compliqué… Mais interrompu car pas très immunogène, et il fallait faire des rappels réguliers. En Europe on a essayé l’immunogénicité croisée entre les espèces, ça a pas marché. Depuis qqs années les pistes ont repris à l’aube de nouvelles techniques et de nouvelles façons de voir les choses.

BM : La recherche se concentre sur quoi ? Quelle direction ?

BJ : Première mesure, suivre le taux d’infestation des tiques en France. Nouvelles études sur les mécanismes physiopathologiques au niveau de la peau. On est au tout début, c’est là où on pourrait agir. Pour ce qui est de nouveaux traitements antibiotiques, tant qu’on comprend pas mieux comment ça se passe, c’est pas à l’ordre du jour. Encore un axe, chercher si les outils qu’on a maintenant (spectrométrie de masse) peuvent servir contre Borrélia.

BM : On imaginerait établir des diagnostics qui seraient valables dès le stade primaire ?

BJ : On aimerait bien. Ce qu’on cherche à faire, c’est identifier des molécules qui permettrait de savoir, indirectement du coup, si c’est lié à Borrélia ou pas (dans le liquide céphalo-rachidien par exemple). Le tout, c’est qu’on arrive à taguer ce dysfonctionnement. Depuis quelques années, c’est à peine possible grâce aux techniques protéomiques. Chose qu’on ne sait pas faire jusqu’à présent, mais qu’on aimerait bien, c’est trouver des protéines caractéristiques qui veulent dire ‘infection’ ou pas. L’avantage d’une protéine par rapport à l’adn de la bactérie, c’est qu’elle est liée à la vie de la bactérie. Si on trouve de l’ADN, alors ça veut juste dire que la bactérie a été là où on l’a trouvé, vivante ou morte. Si on trouve une protéine, ça veut dire que la bactérie vit. Autres axes de recherche : étudier les autres maladies du sac fourre-tout.

BM : Comment réagir vis-à-vis des tentatives d’outrepassement des recommandations officielles (style procès) ?

BJ : Si vous voulez parler de Viviane Schaller, c’est très différent. Lisez donc le rapport du Conseil de l’Europe à ce sujet. Elle, elle utilisait les tests commerciaux de façon inappropriée, c’est-à-dire pas comme recommandé par les fabricants, et sans l’avoir validé. Pas pu fournir de preuves que c’était valide. (ou bien il parle du Conseil de l’Ordre des pharmaciens, j’arrive pas à comprendre). En tout cas, ce Conseil, a conclu qu’elle n’avait pas agi de façon conforme à la connaissance, et donc il y a escroquerie au niveau de la Sécu.

BM : Et les associations de malades qui peuvent se montrer virulentes, comment vous font-elles réagir ?

BJ : C’est vrai qu’elles sont plutôt agressives. C’est pas forcément facile. Je me retrouve le plus souvent à leur expliquer des faits scientifiques, et je les aide à discerner ce qui a un fondement, et ce qui n’en a pas. Moi mon but c’est d’expliquer les limites de la connaissance humaine et des techniques actuelles. Y a ce qu’on sait qui est vrai, ce qu’on sait qui est faux, et ce qu’on sait pas. Et ça, on fait de la recherche dessus.