Bénéfices et opportunités

La presse scientifique comme la presse grand public a beaucoup traité de CRISPR-Cas9 du fait des grandes opportunités qu’offre cette nouvelle technique d’édition du génome.

Les média relaient, dans cette controverse, deux grandes catégories de bienfaits que ce « couteau-suisse » génétique peut apporter à nos sociétés :

  • De grands progrès sanitaires pour l’homme sont en perspectives avec l’avènement de CRISPR-Cas9

  • Des opportunités économiques très variées ont d’ores et déjà attiré nombre d’investissements autour de l’éco-système CRISPR

De grandes avancées pour la santé publique ?

Notre époque est marquée par de nombreuses maladies génétiques incurables : voilà des décennies que la recherche se mobilise pour venir à bout de ses fléaux. Parmi eux, le syndrome d’immunodéficience acquise, ou SIDA, (plus de 30 Millions de séropositifs dans le monde) concentre l’attention. S’il est impossible d’envisager une thérapie génique individuelle (même avec CRISPR), de nombreux succès partiels ont d’ores et déjà été réalisés sur des souris.1

L’efficacité de la méthode CRISPR-Cas9 a été prouvée en laboratoire quant à l’éradication du paludisme. En janvier 2015, deux biologistes de l’université de San Diego E. Bier et V. Gantz sont parvenus à modifier une lignée de drosophiles, en utilisant CRISPR-Cas9 dans les cellules germinales : la mutation se répand alors immédiatement on parle de “gene drive” ou de forçage génétique. Avec l’aide d’Anthony A. James, chercheur en biologie moléculaire spécialisé chez les insectes vecteurs de maladie, ils ont réussi à identifier les gènes impliqués dans la transmission via le drosophile d’un humain malade à l’autre. Grâce à CRISPR-Cas9, ils ont pu immuniser des moustiques et les empêcher de transmettre à nouveau un parasite de type . Il s’agit d’un véritable remplacement d’une espèce entière en modifiant un de ses traits. Une autre équipe, de l’Imperial College cette fois, propose d’introduire un gène de stérilité pour supprimer le vecteur de la maladie.2

Crédit photo : Spector T. ( 2016, 23 août ). Vous attirez les moustiques ? Voici pourquoi ! Le Point. Disponible sur : http://www.lepoint.fr/sante/vous-attirez-les-moustiques-voici-pourquoi-23-08-2016-2063246_40.php

Le forçage génétique des moustiques est une opportunité dont la faisabilité est désormais claire, reste à déterminer les clauses de son utilisation et son adéquation éthique. Selon l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), structure qui a pour objectif d’informer le Parlement des conséquences des choix de certaines technologies, les maladies à transmission vectorielle (notamment par les insectes) sont responsables de plus de 17% des maladies infectieuses, causant la mort de près d’un million de personnes (fièvre jaune, paludisme).

En effet, l’OMS y voit un complément aux méthodes traditionnelles pour lutter contre les maladies, malgré la constatation d’un problème de réversibilité. Ce problème a également été constaté par le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Brésil, tous trois en faveur du forçage. Le Brésil a d’ores et déjà réalisé des lâchers de moustiques dans la nature, et la non-réversibilité alarme des associations notamment UICN qui réclament un moratoire au plus vite.

La Suisse et la France se veulent plus sceptiques, exigeant une évaluation des risques avant toute utilisation: entre autres,  essayer de développer un mécanisme qui se doit d’être réversible.

CRISPR-Cas9 renouvelle l’espoir face aux maladies génétiques incurables, en proposant de modeler un génome défaillant, i.e. en train d’entraîner son hôte vers des symptômes allant crescendo. Des chercheurs de l’université de Rosalind Franklin et de la faculté Health & Science ont mis au point une méthode capable de traiter des maladies génétiques in utero grâce à des injections dans le liquide amniotique afin de modifier les expressions du gène qui font défaut dans le foetus. Cette méthode a été effectuée sur des souris: c’est la première fois qu’une méthode non invasive de ce type fonctionne sur un embryon. Enfin, un nouvel espoir quant à la guérison des leucémies peut être envisagé mais doit être relativisé pour le moment et relégué en tant que perspectives d’avenir, plutôt que réalité de demain, tout comme les expériences sur l’homme. Le risque pour le foetus étant encore très élevé selon Michelle Hastings à la tête de l’Université Rosalind Franklin qui craint en particulier des changements potentiellement irréversibles.

L’examen des enjeux sanitaires a été réalisé par l’OPECST (Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques) en parallèle des considérations éthiques. Le rapport souligne la nécessité d’un débat public permettant d’évaluer avec précision les risques et dangers :

  • intrinsèques dus à la technologie d’édition

  • inhérents à son utilisation dans la nature.

Mme Hélène Berges, membre du conseil scientifique de l’OPECST, affirme que CRISPR pourrait être utilisé dans le cadre de maladies simples (i.e. “avec un seul gène pathogène”), la jugeant par exemple inadapté à la trisomie 21. Pour un bon nombre de maladies, les enjeux humains sont considérables selon Catherine Procaccia, vice-présidente de l’OPECST, clamant la nécessité d’une démarche globale : quelques 80% des 7.000 maladies rares, soit 3 millions de Français et 30 millions d’Européens ont une origine monogénique.

Quant à la situation internationale, le rapport note que tous les pays voient augmenter le nombre de publications scientifiques sur les NBT depuis 2014 à l’exception de la France. L’explication proposée est reliée à la précaution envers le statut d’OGM discuté.

Les premiers essais cliniques sont attendus aux Etats-Unis en 2017 (sur le cancer notamment), la Chine aurait déjà réalisé des essais similaires en 2016. Les rapporteurs déplorent que l’OMS n’ait pas mesuré véritablement l’enjeu, en ne réactivant pas son programme de génomique humaine, dormant depuis plus de 10 ans.3

Une manne économique ?

Par de nombreux points, CRISPR-Cas9 se rapproche d’une technologie disruptive, remettant en cause les codes établis et reléguant au second plan les techniques existantes de modification génétique qui ne peuvent rivaliser pour le moment avec son efficacité et son coût.

Par manne économique, nous entendons la possibilité et la réalité d’une application aux différentes activités économiques qui nous concernent. Par cela, nous évoquons l’idée d’une application de ces ciseaux dans l’industrie du yaourt, par l’introduction d’ADN phagique pour attaquer les virus menaçant les ferments (bactéries), permettant ainsi une fermentation plus sûre du produit laitier. Mais aussi la modification génétique des vaches laitières afin d’inhiber le trait de formation des cornes qui permettrait donc d’éviter les blessures.4

Ces quelques exemples nous permettent d’entrevoir l’idée derrière le milliard de dollars de capital-risque investi en seulement deux ans dans des technologies reliées directement à CRISPR-Cas95. Eligo Biosciences fondé par David Bikard lutte contre l’antibiorésistance, mais aussi la résistance végétale à de nouvelles maladies ce que nous détaillerons dans le prochain article.

Plusieurs startups ont vu le jour pour commercialiser des applications de CRISPR-Cas9, avec des levées de fond de l’ordre de quelques dizaines de millions de dollars en quelques jours.

  • Crispr Therapeutics  fondé par Emmanuelle Charpentier.

  • Editas Medecine cofondé par Feng Zhang et Jennifer Doudna.

  • Intellia fondé par Jennifer Doudna lorsqu’elle a quitté Editas Medecine.

Les 3 entreprises ont été introduites en bourse dès leur création. Par exemple, Editas Medecine a perçu 94,4 millions de dollars lors de son introduction en bourse.6

Les rapporteurs parlementaires (OPECST) qui ont travaillé sur les nouvelles biotechnologies voient que les entreprises européennes et en particulier les entreprises françaises du secteur des biotechnologies et des semences végétales sont soumises à une compétition internationale féroce avec des firmes américaines, chinoises ou brésiliennes du fait de différences de législations entre ces différents pôles mondiaux.

Les entreprises européennes sont, en effet dans l’incertitude d’un classement des produits issus des nouvelles biotechnologies comme CRISPR-Cas9 parmi les OGM. Ces entreprises ne savent donc pas si elles devront, à l’avenir, proposer pour chacun des produits de leurs techniques des tests de toxicité et de dissémination. Le rapport de l’OPECST craint que ce doute conduise à un double déclassement à la fois des entreprises françaises et européennes dans ce climat compétitif, et de la recherche européenne dans ce secteur jugé stratégique par rapport aux autres pôles de recherche du monde. Cette inquiétude est relayée dans la presse comme en témoigne l’article du Figaro du 6 juillet 2016.

[4] Kaldy P. (2016, 6 juillet). CRISPR/Cas9 , la révolution qui supplante les OGM. Le Figaro

[5] Paillé J. (2016, 22 juillet) Cancer: la Chine et les Etats-Unis en course pour soigner en manipulant le génome humain. La Tribune

[6] Fréour P. (2016, 22 mars) Crispr-Cas9 au coeur d’une guerre des brevets. Le Figaro