Du débat scientifique au débat public

Beaucoup de chercheurs s’inquiètent de voir le grand public transposer à l’individu les résultats de leurs études, portant sur une population entière.

La question de la différence entre hérédité et héritabilité est au coeur de nombreux débats. Ainsi,il est répété (Rimfeld, 2015) que l’héritabilité s’intéresse aux variations entre individus mais ne peut rien nous apprendre sur un individu.

Daniel Benjamin de l’Université de Californie du Sud met en garde contre une traduction erronée des résultats des études (Rozières, 2016). Il redoute en particulier “une utilisation simpliste” qui consisterait à parler de “gènes pour l’éducation” et occulterait une part importante du débat actuel, notamment l’impact selon lui non négligeable de l’environnement. Afin de lutter contre ce phénomène de transposition, certains comme John Hardy suggèrent qu’aucune politique éducative ne prenne en compte les résultats récents, du moins pour le moment.

“It is complexities such as these that both Cummings and The Guardian failed to properly make clear, and this may have been a contributory factor in some of the negative reactions the article received. A more balanced portrayal of the evidence, with an emphasis on the fact that heritability is a population statistic and does not imply a lack of malleability, may have generated a positive or open reaction from those who (with good reason) fear a link between genetic determinism and discrimination (Asbury, 2016)1

Car c’est bien en politiques éducatives qui se veulent plus efficaces que celles existantes, selon leurs pères, que se traduisent les résultats des dernières études. Ainsi, en octobre 2013, Dominic Cummings, conseiller particulier du ministre britannique de l’éducation, a remis un rapport intitulé Some Thoughts on Education and Political Priorities” promouvant une stratégie éducative prenant en considération les études menées par le professeur Plomin, notamment Genetic Influence on Intergenerational Educational Attainment, dont il avait eu accès aux résultats en avance. Monsieur Cummings estime notamment que les politiques éducatives précédentes ne se fondaient pas suffisamment sur des connaissances scientifiques et rapporte les propos de Richard P.Feynman lors du discours de rentrée de Caltech (California Insitute of Technology) en 1974 (Feynman, 1974) : “There are big schools of reading methods and mathematical methods, and so forth, but if you notice, you’ll see the reading scores keep going down … There’s a witch-doctor remedy that doesn’t work… Yet these things are said to be scientific. We study them. And I think ordinary people with commonsense ideas are intimidated by this pseudoscience…”. Dominic Cummings avance au contraire qu’il fonde ses propositions sur les dernières avancées scientifiques. Il attaque en particulier les décisionnaires qui semblent ignorer l’existence de telles études ou ceux comme Malcolm Gladwell qui minimise l’impact de la génétique. Dominic Cummings estime qu’il est temps de tenir compte de ces avancées dans le débat public car elles seront selon lui au coeur des discussions d’ici 2025.

Mais le rapport de Cummings et l’article de The Guardian qui l’a étudié (Wintour, 2013) ont aussi fait l’objet de vives critiques de la part d’internautes et de Kathryn Asbury, docteur à l’Université de York qui a notamment co-écrit G is for genes (publié en novembre 2013 soit un mois après le rapport de Dominic Cummings) avec le professeur Plomin. Kathryn Asbury a ainsi publié un papier au titre évocateur ‘Mr Cummings clearly does not understand the science of genetics and should maybe go back to school on the subject’: an exploratory content analysis of the online comments beneath a controversial news story (Asbury, 2016) dans lequel elle répond à Dominic Cummings et analyse statistiquement les 3 008 commentaires postés en réponse à l’article de The Guardian. Son but affirmé est de comprendre l’opinion publique et comment la manière dont Dominic Cummings a présenté ses idées a influé sur la réception de celles-ci.

Tout d’abord, elle reproche à D.Cummings de ne se référer qu’au professeur Plomin : “However, he failed to cite the relevant sources in his essay, referring to this body of work as Plomin’s”. Et s’efforce dans son papier de citer des sources très nombreuses et variées pour contredire le fond de la pensée de D.Cummings. Elle note ainsi l’absence de références au phénomène de “Nurturing nature” qui joue désormais un rôle clé dans les débats scientifiques.

« In this article we see a prime example of over-simplification of science leading to hostility and misconceptions from the general public, particularly in a field such as education which the majority of the British public value and place great importance on. We perhaps also see the damage that can be done by having newspaper headlines written to be attention grabbing rather than to accurately represent the content of the article.” (Asbury, 2016)3

Mais elle est surtout critique envers la manière dont à la fois Cummings et The Guardian exposent les idées du politicien britannique. Elle est globalement en accord avec lui mais déplore qu’à la lecture du rapport, un néophyte s’imagine que l’environnement ne joue aucun rôle sur les capacités intellectuelles des enfants. Elle regrette pour la même raison le titre de l’article “Genetics outweighs teaching” qui ne rend pas bien compte de la pensée de Cummings. Selon elle, la somme des effets génétiques dépasse l’effet d’un unique facteur environnemental comme l’enseignement mais cela ne veut pas dire que l’enseignement ne sert à rien, idée que sous-entend l’article mais pas Cummings selon elle. (à vérifier car sensible)

Une majorité de voix semblent s’opposer aux recommandations de Cummings tandis que les perspectives d’eugénisme sont omniprésentes

Enfin, des 3 008 commentaires, soit trois fois plus que pour un article ordinaire sur l’éducation, Kathryn Asbury et Madeline Crosswaite n’en n’ont retenu que 800 pour leur étude et un tiers des commentaires étaient inexploitables car ne présentaient pas d’opinion personnelle. Il est intéressant selon elles que seuls 4% de commentaires étaient favorables à la pensée de Cummings contre 41% de personnes totalement opposées (et 55% dont l’opinion globale n’était pas clairement identifiée). L’un des résultats mis en avant est aussi la part non négligeable (6.8%) des commentaires faisant référence au régime de l’Allemagne Nazie et à l’eugénisme, les auteurs concluant sur la perdurance d’une peur profonde. Elles déplorent les simplifications abusives faites par The Guardian et D.Cummings, qui en partant de données scientifiques qu’elles ne contestent pas ont abouti à une incompréhension par l’opinion de certains enjeux du débat et à une polarisation des avis autour de l’eugénisme. Enfin elles soulignent à leur tour la nécessité de distinguer hérité et héritabilité pour ne pas biaiser le débat public.

Traductions

1Ce sont ce genre de subtilités qu’à la fois Cummings et The Guardian ne sont pas parvenus à rendre clair et cela a probablement contribué aux réactions négatives au sujet de cet article. Une représentation plus équilibrée des résultats, en mettant l’accent sur le fait que l’héritabilité est une statistique sur une population et n’implique pas un manque de malleabilité générerait des réactions positives et plus ouvertes de la part de ceux qui craignent (à juste titre) un lien entre le déterminisme génétique et la discrimination

3(Dans cet article nous voyons un exemple typique où une trop grande simplification de la science conduit à de l’hostilité et à des idées fausses dans la tête des gens, particulièrement dans un domaine comme l’éducation qui occupe une place importante chez les britanniques)