La proposition de plan
de l'équipe du Pr Montaigne


Parmi les autres solutions proposées pour surmonter la crise viticole, et se posant comme alternatives sérieuses au projet d’arrachage définitif de Bruxelles, nous ne pouvons bien entendu pas oublier celle élaborée par le professeur Montaigne et son équipe de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier (Agro Montpellier). Rappelons qu’Etienne Montaigne (voir rubriques acteurs et interviews) a été choisi par le Parlement Européen pour mener une étude sur la situation viticole en France et en Europe afin de constituer un avis différent pour le Parlement Européen dans le but d’éclairer son avis sur le projet proposé par la Commission. Le fruit de ce travail est un rapport de 90 pages qui s’articule en quatre grandes parties :

  • Partie1: Synthèse de la situation du marché du vin dans l’Europe à 25, au cours des 6 dernières années

  • Partie 2: Evaluation des défaillances des mécanismes de l’OCM vin

  • Partie 3: Examen critique des propositions de réforme de l’OCM vin mise en place par la Commission dans sa communication

  • Partie 4: Propositions concrètes pour la réforme de l’OCM

  • La totalité de l’étude peut être consultée ici.

     

    1) Synthèse de la situation du marché du vin dans l’Europe à 25, au cours des 6 dernières années

    L’évaluation de la situation du marché actuel du vin amène l’équipe au bilan suivant : Au niveau du potentiel de production, l’Europe a arraché son vignoble dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, alors que dans le même temps le nouveau monde plantait. La nouvelle OCM de 1999 a inversé la tendance, mais a très vite été confrontée à la surproduction et aux plantations illicites. Elle engage une nouvelle vague d’arrachage en réaction à une crise en partie conjoncturelle.
    La production et les rendements présentent de fortes fluctuations qui sont en partie dues à la nature intrinsèque de la vigne et du climat (précipitations,…). Celles-ci sont sources de crises conjoncturelles auxquelles on répond par des distillations de crise, devenant malheureusement des mécanismes structurelles, à la fois faute d’apurement suffisant des marchés par les distillations et faute de possibilité de croissance des débouchés, face à des concurrents très puissants. La production a poursuivi également sa croissance hors de l’Europe et la situation actuelle reste fortement marquée par la surproduction mondiale de 2004. Au-delà de la conjoncture, les tendances des rendements sont contrastées selon les vignobles. Les vignobles extensifs à bas rendements se reconvertissent en vignes productives, irriguées, en cépages améliorateurs et les vignobles très productifs, se reconvertissent en cépages améliorateurs aux rendements plus faibles. La performance des vignobles n’a donc de sens que pour des productivités adaptées au couple produit-segment de marché, rendant ainsi les idées conçues sur la production de vins de « mauvaise qualité » vides de sens : certains vins n’ont aucun mal à trouver de débouchés.

    La consommation s’est stabilisée en moyenne. Elle poursuit sa baisse dans les pays producteurs traditionnels et son augmentation dans les pays non producteurs et consommateurs. La tendance est à la quasi-stabilité, en moyenne, en Europe et en légère hausse au niveau mondial. Certains pays présentent des croissances exceptionnelles (Royaume-Uni, États-Unis).
    L’étude met donc en relief l’inefficacité des campagnes d’arrachage précédentes et appelle déjà à reconsidérer les simplifications extrêmes qui consisteraient à ne mettre en regard que la production et la demande et à éliminer les surplus : le marché du vin est « segmenté » et il faut pour cela en considérer tous les aspects dans leurs contextes respectifs.
    « Les hectares mis en face des surplus vont varier selon leur localisation, leur rendement, la nature des produits qu’ils fournissent, leur classification réglementaire et le niveau de prix sur le marché auquel ils sont destinés ».

    tonneaux

    2) Evaluation des défaillances des mécanismes de l’OCM vin

    L’évaluation des défaillances des mécanismes de l’OCM vin de 1999 souligne principalement l’inefficacité des distillations comme unique méthode pour réguler le marché. Elle critique également l’incapacité des pays producteurs à anticiper l’évolution du marché en encourageant souvent les secteurs aux mauvais moments. L’équipe s’intéresse aussi au faible intérêt qui semble être porté aux plantations illicites alors que celles-ci posent un problème à la régulation du marché. Cette partie de l’étude s’achève par la conclusion :

    « L’évaluation des «disfonctionnements» de l’OCM doit plutôt mettre en perspective l’adaptation des mécanismes: (1) soit au changement des objectifs de la politique agricole commune ou viticole (environnement, contraintes de l’Organisation mondiale du commerce, développement rural); (2) soit aux nouvelles contraintes budgétaires (réduction des dépenses, arrivée de nouveaux États membres); (3) soit à l’évolution de la concurrence mondiale avec la domination des pays du nouveau monde. En effet il nous semble difficile de maintenir des mécanismes classiques d’intervention sur le marché par une régulation de l’offre, alors qu’il n’existe pratiquement plus de barrières tarifaires aux échanges. Il nous paraît essentiel, dans l’actuel projet de réforme, de poser et de hiérarchiser clairement les objectifs et les moyens avant de faire disparaître tel ou tel outil existant. »
    Les craintes du rapport sont donc fondées en partie sur l’impression d’incohérence des différentes méthodes mises en avant pour s’occuper du marché et des débouchés, chacune ne prenant pas en compte les résultats et la priorité des autres. De plus le rapport expose également sa remise en question du calcul des quantités de surplus de production : selon le laboratoire de Montaigne, le calcul utilisé par la Commission ne prend pas en compte la nécessité de stocks dans le marché du vin, ni le volume important des 2 années de récolte qui ont été utilisées pour ce chiffrage. Ainsi la Commission estime-t-elle à un volume trop important les surplus de production du secteur viticole.

     

    3) Examen critique des propositions de réforme de l’OCM vin mise en place par la Commission dans sa communication

    La critique faite par l’équipe du professeur Montaigne du projet de réforme de la constitution est claire :
    « L’arrachage massif et indifférencié, tel qu’il est proposé, se heurte à de nombreuses critiques: il est inefficace dans une Europe ouverte commercialement sur le monde, le signal donné aux concurrents est contre-productif. La démarche est en totale contradiction avec la politique des sept dernières années en la matière et néglige le problème des plantations illicites. L’arrachage apparaît comme la seule possibilité de solution de court terme pour les producteurs en difficulté.

    La sélection se fait plus par l’aptitude à la résistance à la crise que par les performances productives. Cette proposition ignore les stratégies développées par les producteurs qui y ont recours. L’arrachage fait également disparaître une culture peuplante et écologique, sans alternative, dans des régions qui poursuivront la désertification, contraire aux objectifs de la PAC.
    Les droits de plantation représentent l’outil principal d’une politique raisonnée de développement sectoriel. Leur coût et l’argument de l’économie d’échelle sont faibles au regard de la volatilité des marchés et de la déstructuration sectorielle qui s’en suivra. La disparition des droits de plantation favoriserait donc la délocalisation des vignobles, le développement de grandes firmes aptes à la mobilisation de capitaux, l’apparition rapide d’excédents […].

    La disparition des droits de plantation est également contradictoire avec la décision précédente d’arracher 400 000 ha de vigne en vue de rééquilibrer l’offre. Dès leur libéralisation, les plantations vont augmenter et provoquer des excédents. Deux années de budget de l’OCM vin seraient ainsi gaspillées.

    Le secteur viticole peut difficilement se passer d’un mécanisme de régulation compte tenu de la volatilité des cours associée aux fluctuations de récolte et à l’inélasticité de la demande. La mise en oeuvre de la distillation de crise pourrait être améliorée et les coûts réduits dans le cadre d’une harmonisation des deux OCM, vins et alcools viniques. La précision de la régulation pourrait être réalisée au niveau régional et limitée dans le cadre des enveloppes nationales. Des stabilisateurs de revenu pourraient être introduits. »

    vigneron

    4) Propositions concrètes pour la réforme de l’OCM

    Le dernier but que s’est donné l’équipe du professeur Montaigne dans la rédaction de ce rapport est de rédiger une réponse solide et argumentée à la crise et qui réponde mieux, selon leurs critères, à la situation actuelle que le projet de la Commission.
    Un dernier état des lieux montre que les pays du nouveau monde ont « envahi » le marché anglais en développant des vins mieux adaptés au marché et soutenus par des moyens de marketing et promotions « gigantesques ». Le secteur australien vit lui une véritable crise de surproduction, fruit d’une période euphorique de plantations excessives aidées fiscalement et qui finit par profiter aux consommateurs qui peuvent acheter des vins toujours moins chères. Les grandes entreprises nationales profitent du surplus de récolte pour négocier le raisin à un prix toujours moins chère, réduisant toujours plus les marges des viticulteurs qui ne peuvent plus suivre et finissent par faire faillite. La taille critique de ces nouvelles entreprises du nouveau monde leur donne un poids idéal pour leur concurrence sur les nouveaux marchés : Etats-Unis et Grande-Bretagne.
    Tout ceci étant pris en compte, la proposition de projet du laboratoire de Montpellier s’articule en 8 points tels qu’ils sont énoncés dans le résumé du rapport:

    1. L’arrachage indifférencié et global étant inefficace, il faut conserver un arrachage, ciblé et différencié selon des objectifs stratégiques, tant économiques (cépages, rendements) que sociaux (agriculteur en difficulté, projet d’abandon d’activité, absence de repreneur). Cet arrachage serait donc progressif, limité, contrôlé, évalué au fur et à mesure de sa mise en oeuvre.

    2. Les droits de plantation devraient être maintenus pour piloter la politique. Ils devraient cependant être mobilisables beaucoup plus facilement en organisant mieux les attributions, les échanges et les transferts de droits. La mise en oeuvre des mécanismes de réserve pourrait être évaluée et adaptée pour résoudre les disfonctionnements. En corollaire, les plantations illicites devraient être réglées, en particulier grâce aux systèmes de contrôle mis en place par la nouvelle PAC. La gestion du potentiel de production pourrait être réalisée au niveau régional, par un ministère régional, une interprofession ou un comité économique, sur bilan de marché avec un plafonnement et un arbitrage national et européen.

    3. Le système des distillations devrait être repensé tant globalement que pour chaque catégorie. Le système de prix d’achat pourrait être révisé à des fins de réduction budgétaire et d’orientation vers le marché. L’ensemble des alcools produits devrait faire l’objet d’une redéfinition et d’une évolution des débouchés potentiels. Le prix de vente des alcools viniques devrait être révisé à la hausse. L’ensemble du débouché alcool devrait être actualisé dans ses diverses composantes: alcool de bouche, alcools de marcs, débouchés industriels (carburation) selon des objectifs environnementaux (dépollution, alcool carburant) et énergétiques (évolution de la taxation). Les prestations viniques pourraient faire l’objet d’une rémunération de leur seule fonction environnementale. Les pratiques du compostage des marcs bruts et de l’épandage des lies devraient être évaluées écologiquement. La distillation d’alcool de bouche pourrait voir son prix baisser, ce dernier étant compensé par une aide directe partiellement découplée. La distillation des vins à double fin n’est plus à l’ordre du jour, remplacée par l’affectation parcellaire. Elle est donc supprimée. La distillation de crise doit être maintenue, mais améliorée dans sa mise en oeuvre. Elle devrait être pilotée au niveau régional en fonction des équilibres de marché et pouvoir prendre des dimensions obligatoires sur critères différenciés. Elle devrait pouvoir être co-financée par les interprofessions ou comités économiques pour tenir compte des différentiels de prix. Elle pourrait être articulée à la mise en oeuvre des réserves qualitatives.

    4. Le sucrage, chaptalisation, enrichissement par des sucres exogènes de betterave et de canne devrait être supprimé selon la proposition de la Commission. L’enrichissement endogène par moûts de raisins concentrés et concentrés rectifiés devrait être autorisé, mais réduit, l’aide devrait être supprimée. L’accroissement du prix de revient pour les vins à bas prix des régions septentrionales productrices, pourrait être partiellement compensé par une aide gérée dans le cadre des enveloppes nationales.

    5. Les régions concernées par la distillation d’alcool de bouche devraient pouvoir être éligibles au régime de paiement unique et du découplage partiel, pour maintenir le couvert végétal et bénéficier, selon les études de coût à engager, d’une aide à la vendange en vert.

    6. Les groupements de producteurs et les organisations de filières devraient être renforcées, réactivées et dotées de moyens financiers pour développer les fonctions d’aval. L’évolution pourrait s’inspirer des fonctions et des moyens des organisations de producteurs du type fruits et légumes. Ils devraient en particulier être conditionnés à des objectifs stratégiques: fusions, regroupements, associations, partenariats, recherche de taille critique et des projets de développement commerciaux, création de marques, promotion.

    7. Les règles sur l’étiquetage ne semblent pas devoir être modifiées pour les raisons invoquées; des marges de manoeuvre existent dans le cadre de la réglementation actuelle. Il ne faut pas saborder les références au terroir pour les vins de table sans indication géographique. De vastes aires géographiques de référence des vins de pays suffisent à cette adaptation.

    8. L’importation de moûts des pays tiers doit rester interdite du fait même de la définition du vin - produit obtenu par la transformation du raisin frais - des problèmes de traçabilité, de risque de fraude et d’équilibre du marché. »

    Ce projet alternatif, qui selon le professeur Montaigne, n’utiliserait qu’une partie de l’enveloppe initiale destinée à l’arrachage, a la volonté d’être un plan offensif sur le marché viticole pour ne pas céder la place aux concurrents. Comme il est précisé à de nombreuses reprises, le rapport indique que l’arrachage serait un message envers les autres pays producteurs pour leur céder du terrain, et de plus ce ne serait pas une méthode efficace si elle ne prévoit pas d’aider les agriculteurs à continuer sur le marché. L’« ultralibéralisme » adoptée par Bruxelles traduit, encore selon Montaigne, la volonté d’en finir avec des aides versées chaque année dans un secteur qui n’arrive pourtant pas à se replacer sur le marché. En coupant les aides aux agriculteurs, Bruxelles espère en finir avec la distorsion du marché européen en sélectionnant les agriculteurs les plus aptes à rester sur le marché. La concurrence serait donc le moyen de réguler la surproduction, obligeant les agriculteurs à s’adapter ou à arracher. Montaigne pense cependant que ce serait de la folie de les abandonner dans l’état actuel au marché mondial, sans aucune structure de commercialisation solide pour assurer le marketing et la vente des produits. Son rapport met souvent en exergue des parallèles avec le modèle très libéral australien qui s’est traduit par la faillite de nombreux agriculteurs, incapables de s’adapter à la pression des grands groupes. La solution du laboratoire de Montpellier est donc de continuer à aider la filière mais en ciblant mieux les aides de manière à rénover tout l’aval de la filière et en lui donnant le poids nécessaire pour faire face sur le marché actuel.

     

     

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