Controverse - Refroidir la Terre ?
Refroidir la Terre ?

Injection de SO2 dans la stratosphère  

L'éruption du Mont Pinatubo, en 1991, fut l'une des plus grandes du siècle dernier : situé sur l'île de Luçon dans les Philippines, il a rejeté plus de 10 km3 de matière. L’année qui a suivi cette éruption a été caractérisée par une température moyenne plus faible que celles des années précédentes (environ 0,5°C). Six mois après l’éruption, les mesures autour du globe montraient une diminution de 4,5 W/m2 de la puissance du rayonnement solaire atteignant la surface du globe. Les experts ont établi que ce refroidissement était étroitement lié à l’éruption du Mont Pinatubo.

Parmi la matière rejetée par l’éruption, on remarque plusieurs mégatonnes de dioxyde de soufre (SO2). Ces particules se sont logées dans la haute troposphère et la basse stratosphère où elles ont réagi avec de l’eau pour générer des aérosols d’acide sulfurique. Ces aérosols ont une caractéristique très importante : ils réfléchissent le rayonnement solaire. Les grandes quantités de SO2 émises par l’éruption ont donc créé dans l’atmosphère une couche flottante d'aérosols capable de réfléchir le rayonnement. La diminution de celui-ci a affecté l’ensemble du globe, car même des régions très éloignées du site de l’éruption ont vu leurs températures diminuer.

De plus, d'autres observations ont montré un lien entre la présence de SO2 dans l'atmosphère et l'intensité du rayonnement solaire attegnant la surface terrestre : pendant les deux dernières décennies, les observatoires du monde entier ont remarqué une augmentation de la radiation solaire qui atteint en moyenne 0,01 %, et qui semble être liée à la diminution des émissions de SO2 dûe à l'activité humaine pendant la même période.

Paul Crutzen, prix Nobel hollandais de chimie (1995), a élaboré une théorie pour agir sur l’atmosphère et refroidir la planète. Cette théorie est basée sur les observations de l'éruption du Mont Pinatubo et sur des travaux scientifiques, entre autres, ceux du scientifique russe Mikhaïl Budyko, un des fondateurs de l’étude physique du climat . Paul Crutzen a remporté le prix Nobel pour ses travaux sur la couche d’ozone, et travaille actuellement à l’Institut Planck en Mainz et à l’Université de Californie; Mikhaïl Budyko a été directeur, pendant la période de la guerre froide, de la division pour la recherche sur le changement climatique de l’Institut Hydrologique de St Petesburg.

L’idée de Crutzen est la suivante: injecter du SO2 dans la stratosphère pour augmenter ses capacités de réflexion du rayonnement solaire. Pour ce faire, du S2 et du H2S seront injectés puis brûlés dans la partie inférieure de la stratosphère. La stratosphère est la deuxième couche de l’atmosphère après la troposphère, sa limite inférieure se situe entre 8 et 20 km de hauteur et sa partie supérieure entre 40 et 60 km. En outre, la stratosphère englobe la couche d’ozone.

La stratosphère s’adapte à cette injection beaucoup mieux que la troposphère, puisque d’après les modèles, dans cette dernière, les particules de SO2 ne resteraient en suspension qu’environ une semaine. Si les particules sont injectées dans la stratosphère subéquatoriale, elles pourraient rester plus d’un un an en suspension. Les particules de SO2 injectées seraient des particules artificielles ayant une taille beaucoup plus faible que celle des particules volcaniques ( entre 0,1 et 1 micromètre), ce qu’implique un temps plus important de résidence dans la stratosphère.

Six mois après l’éruption, parmis les 10 Tg de SO2 initialement rejetés par le volcan, il restait encore 6 Tg présents dans l’atmosphère, qui provoquaient une diminution de 4,5W/m^2 de la puissance du rayonnement solaire. D’après ces observations, l’injection de 1 Tg de SO2 générerait une augmentation d’environ 0,7% de la perméabilité à la lumière de la stratosphère, et une concentration de SO2 six fois plus élevée. Elle générerait donc un refroidissement de 0,75W/m^2. Le projet de Paul Crutzen envisage l’injection de 1,9 Tg de SO2 ( 3% de la production industrille annuelle), ce qui produirait une augmentation de la perméabilité jusqu'à 1,3%.

Pour obtenir une diminution stable de la température moyenne du globe, il s’avère nécessaire de maintenir un taux de particules réfléchissantes stable. Pour maintenir ce taux , l’injection de 1 à 2 Tg de SO2 dans la stratosphère serait nécessaire. Pour injecter des particules S dans l’atmosphère, on pourrait se servir du COS comme intermédiaire. Le COS est le gaz qui est le porteur naturel (pendant les périodes de faible activité volcanique) de particules S dans la stratosphère. Mais seul un faible pourcentage (5%) du COS émis sur la surface terrestre atteint la stratosphère, la plupart étant absorbée par les plantes (75%) ou réagissant avec le OH dans la troposphère (22%). La libération du COS sur la surface est donc très peu recommandable, puisque les effets de son absorption par les plantes ne sont pas connus.

Deux solutions au problème de l'injection ont été envisagées dans les travaux de Crutzen. La première se sert de ballons stratosphériques, déjà utilisés pour des mesures météorologiques, ou même d'artillerie militaire, pour transporter du S2 ou du H2S qui, après combustion, produisent du SO2. Pour augmenter la durée des effets de l’injection, celle-là devrait être faite dans la branche tropicale du système de circulation de la stratosphère. La seconde est la la synthèse d’une molécule porteuse d’atomes S. Cette molécule devrait ne pas être soluble dans l’eau, ni réagir avec l’OH, ni être toxique, ni contribuer à l’effet de serre et, en plus, avoir une durée de vie moyenne assez faible ( inférieure à 10 ans). Une telle molécule pourrait être libérée en surface mais sa synthèse n’est pas facile. En supposant l’utilisation des ballons, Paul Crutzen estime que le maintien du taux de particules dans la stratosphère devrait coûter entre 25 et 50 milliards de dollars.

Mais Crutzen affirme que sa méthode présente de possibles effets secondaires, certains d’entre eux représentent des risques importants : l'injection de SO2 produirait une forte concentration d’aérosols dans l’atmosphère, ce qui pourrait provoquer des pluies acides. Mais il ne faut pas oublier que c’est dans la stratosphère que se trouve la couche d’ozone, et que l’équilibre chimique de ce mélange est délicat. L’insertion d’une de ses composantes en grande quantité pourrait perturber cet équilibre, entre autres, par un changement de température. En effet, l’injection de SO2 augmenterait l’absorption de la lumière par la stratosphère, ce qui se traduirait en partie par l’augmentation de la température moyenne de cette couche de l’atmosphère. D’autre effets secondaires ne présentant pas des risques physiques sont aussi envisageables : après l’injection, le ciel serait sans doute moins bleu (plutôt blanc), et les couchers de soleil plus intenses.

Malgré ces risques et son coût exhorbitant, l'injection du SO2 dans la stratosphère est aujourd'hui une méthode qui bénéficie d'un réel investissement de la communauté scientifique, sur laquelle s'impliquent des chercheurs dont la renommée n'est plus à faire (Cruzen, Prix Nobel de chimie) ; dans le même temps, elle fait partie du cercle restreint de méthodes qui se posent comme suffisamment crédibles pour rendre effectif et concret le principe général de la géoingeniérie, au delà d'autres options jugées moins réalistes et/ou moins évidentes à mettre en oeuvre.

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