Historique général |
Cette page retrace l'histoire de la géo-ingénierie depuis le début du XXème siècle jusqu'à nos jours. La frise ci-dessous étend celle présentée en introduction pour y inclure les évènements récents liées aux différentes méthodes majeures de refroidissement de la Terre proposées de nos jours par les scientifiques.
L'historique est également disponible en format 'linéaire', en cliquant sur 'Historique linéaire' en dessous de la frise.
1905 | Arrhenius explique que des émissions de C02 provenant d'une consommation croissante de l'énergie fossile réchaufferont la planète et permettront de cultiver dans les régions froides du Nord de la planète améliorant ainsi la productivité agricole afin de répondre aux attentes d'une population croissante. A cette époque, les émissions de CO2 sont considérées comme ayant un impact positif ("rôle de radiateur"). D'ailleurs, Eckholm pense déjà à une modification intentionnelle du climat par des ingénieurs afin d'augmenter les émissions de CO2. |
1932 | Création de Leningrad’s Institute of Rainmaking (Institut pour la provocation de précipations de Léningrad en ex-URSS). Expériences en laboratoire. |
1934 | Leningrad’s Institute of Rainmaking commence à mettre en oeuvre des expériences grandeur nature en injectant du chlorure de calcium dans les nuages. Ces expériences se sont poursuivies jusqu'en 1939 avec le début de la guerre. |
1945 | En 1945, le fameux mathématicien John Von Neumann fait appel aux autres éminents scientifiques de l'époque pour une rencontre à l'université de Princeton. Ils se mettent d'accord qu'une modification intentionnelle du climat serait possible. |
1946 | La découverte cette année là de l'injection de particules dans les nuages par les américains Schaefer et Langmuir dans un laboratoire de recherche de General Electric a lancé un boom commercial pour la modification du climat (dans les cinq années qui ont suivi, les initiatives privées d'injection de particules dans les nuages ont côuté 3 à 5 millions de dollars US par an. Le boom a attiré l'attention du gouvernement à partir de 1950 avec les premières auditions au Sénat en 1951. Jusque là, les tentatives de changement climatique n'ont aucun rapport avec le guerre froide). |
1953 | Création par le Congrès Américain de la Advisory Commission on Weather Control (Commision de Conseil sur le Contrôle du Climat). |
1955 | Publication par le magazine Fortune d'un article de von Neumann qui envisage clairement la manipulation du climat comme une arme. Il explique: "Microscopic layers of colored matter spread on an icy surface, or in the atmosphere above one, could inhibit the reflection-radiation process, melt the ice, and change the local climate." |
1957 | Vers la fin des années 50, les Etats-Unis commencent à penser à l'utilisation de la modification du climat comme arme pour la guerre froide. Ceci est dû principalement au fait qu'ils se rendent compte des efforts Soviétiques dans ce domaine et plus généralement au fait que la possibilité d'une supériorité scientifique des Soviétiques (lancement de Sputnik en 1957) leur fait peur. D'ailleurs en 1957, Henry Houghton, le Directeur du Département de Météorologie du MIT résume ces peurs par les phrases suivantes:
"Man’s material success has been due in large degree to his ability to utilize and control his physical environment. [...] As our civilization steadily becomes more mechanized and as our population density grows the impact of weather will become ever more serious. [...] The solution lies in [...] intelligent use of more precise weather forecasts and, ideally, by taking the offensive through control of weather" De l'effort Soviétique il dit: “I shudder to think of the consequences of a prior Russian discovery of a feasible method for weather control. Fortunately for us and the world we were first to develop nuclear weapons [...] International control of weather modification will be as essential to the safety of the world as control of nuclear energy is now.” Il conclut par ces termes: “Basic research in meteorology can be justified solely on the economic importance of improved weather forecasting but the possibility of weather control makes it mandatory” |
1958 | - Des propositions sont faites par des scientifiques russes pour l'injection d'aérosols métalliques dans des orbites pas très éloignées de la terre afin de former des anneaux à l'image des anneaux de Saturne afin de chauffer et d'illuminer le Nord de la Russie tout en faisant de l'ombre aux régions équatoriales, ce qui rendrait leur climat plus tempéré. - Bien qu'aux Etats-Unis, on s'intéresse plus à une modification du temps (weather) plutôt qu'à une modification à grande échelle du climat, en 1958, le chef de la recherche météorologique au United States Weather Bureau fait allusion dans un article de Science à l'utilisation d'explosifs nucléaires dans le but de réchauffer le climat arctique via la création de nuages glacés réfléchissant les radiations infrarouges (infrared reflecting ice clouds). - Le congrès des États-Unis finance de façon directe l'expansion des recherches pour le contrôle des pluies. |
1960 | En Russie, une expérience inédite pendant l'hiver de 60-61 a fait disparaître des nuages sur une étendue de 20.000 km2. A cette époque (les années 50 et 60), l'intérêt des russes pour la modification du climat atteint son paroxysme. L'une des preuves palpables de cet intérêt est la publication en Russie en 1960 de Man Versus Climate dont le dernier paragraphe est le suivant: "Our little book is now at an end. We have described those mysteries of nature already penetrated by science, the daring projects put forward for transforming our planet, and the fantastic dreams to be realized in the future. Today we are merely on the threshold of the conquest of nature. But if, on turning the last page, the reader is convinced that man can really be the master of this planet and that the future is in his hands, then the authors will consider that they have fulfilled their purpose." |
1961 | Au 22ème Congrès du Parti Communiste Soviétique, le développement des méthodes de contrôle climatique a été considéré comme l'un des problèmes les plus urgents de la science Soviétique. |
1964 | Les premières propositions de refroidir la planète pour contrer le réchauffement climatique dû aux progrès industriels ont été faites en 1964 à la fois par les Soviétiques et les Américains. |
1965 | Le problème du climat lié aux émissions de CO2 a été vraiment formulé la première fois en termes modernes en 1965 dans un document intitulé Restoring the Quality of Our Environment publié par le comité de conseil scientifique Johnson’s Science Advisory Committee. A l'aide de données environnementales (quantité de CO2 dans l'atmosphère, utilisation de l'énergie fossile, etc.) le rapport prédit, entre autres, le phénomène de réchauffement climatique. La seule solution suggérée à l'impact "délétère" du CO2 sur le climat de la planète est la géo-ingénierie : “The possibilities of deliberately bringing about countervailing climatic changes therefore need to be thoroughly explored.”. Le rapport considère notamment de modifier l'albedo de la surface de l'eau de mers et océans par l'intermédiaire de particules réflechissantes et flottantes : "A 1% change in reflectivity might be brought about for about $500 million a year... Considering the extraordinary economic and human importance of climate, costs of this magnitude do not seem excessive.". La réduction de la consommation de l'énergie fossile n'est pas mentionnée comme solution du problème. |
1966 | A partir de cette année, les spéculations théoriques américaines à propos de modifications environnementales comme arme de guerre ont commencé à être mises en pratique pendant la guerre du Vietnam. En effet, les Américains ont lancé pendant cette guerre une campagne d'injections de particules dans les nuages qui a consisté en 2600 missions aériennes et dont le budget s'élevait à 3,6 milliions de dollars par an. Cette campagne s'appelait le projet "Popeye" |
1967 | Avec le projet "Popeye", les américains ont réussi cette année à prolonger la mousson obligeant l'armée nord vietnamienne à s'enliser dans la boue. |
1970 | Modélisation du réchauffement terrestre et confirmation de l'effet de serre par le grand climatologue James Hansen. |
1970 | Les deux études menées par le MIT respectivement en 1970 et 1971 The Study of Critical Environmental Problems, et Study of Man’s Impact on Climate reflètent une forte rupture avec l'optimisme suscité par les rapports des années 60 concernant la géoingénierie. Le rapport de 1970 lance un appel à la réduction de la consommation de l'énergie fossile en préconisant comme unique alternative l'énergie nucléaire. Aucun des deux rapports ne suggère des mesures pour contrer l'influence humaine (la géoingénierie). Au contraire,le rapport de 1971 considère la géoingénierie comme une menace environnementale du fait qu'on ne maitrise pas encore les effets secondaires de telles manoeuvres : “like so many human endeavors, cloud seeding is showing evidence of unexpected side effects” . |
1972 | La révelation au public de ce programme a suscité un mécontentement général des Américains et a conduit à un Traité International : the Convention on the Prohibition of Military or Any Other Hostile Use of Environmental Modification Techniques. Le refus croissant de la modification du climat dans la deuxième moitié des années 70 est du à trois facteurs :
- la réaction violente contre l'utilisation de l'arme climatique par l'armée américaines - la croissance du mouvement pour l'Environnement - le fait que les scientiques se sont rendus à l'évidence du manque d'efficacité de l'injections de particules dans les nuages. A la fin des années 70, les scientifiques abandonnent un peu leur engouement pour les modifications climatiques. |
1976 | Signature d'une convention de l'ONU ("Enmod") sur "l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires" qui donne un coup d'arrêt bienvenu aux recherches sur les "armes climatiques". |
1977 | Le rapport de la NAS intitulé Energy and Climate (NAS77) a marqué le début d'une chaîne de rapports sur l'effort en matière de changements climatiques induits par le C02. Contrairement aux rapports SCEP70 et SMIC 71 et à l'image du PSAC65, la géoingenierie est mentionnée. Ainsi, la géoingénierie fait son retour dans le milieu de la recherche scientifique américaine et c'est ce que montre la quatrième question listée dans l'introduction du NAS77 : “What, if any, countervailing human actions could diminish the climatic changes or mitigate their consequences?”. Plusieurs, possibilités sont examinées dans ce rapport. Parmi elles : Fertilisation de la surface des océans avec du phosphore, augmentation de l'abedo planétaire (rappelant les idées du PSAC65) et un reboisement massif avec par conséquent une préservation de la biomasse forestière. Cependant, le NAS77 est moins optimiste que le rapport de 1965 à propos de la géoingénierie et propose une solution hybride qui s'appuie sur l'utilisation de ressources renouvelables d'énergie. |
1983 | La géoingénierie dans sa forme la plus récente et la plus moderne commence à être traitée dans le rapport NAS83. Le rapport parle de la possible séquestration du CO2 dans les écosystèmes terrestre et océaniques et évoque l'enfouissement d'arbres sous la mer afin de rendre cette capture du CO2 permanente. Il est mentionné dans le rapport à propos de la géo-ingénierie que : “in principle weather and climate modification are feasible; the question is only what kinds of advances [...] will emerge over the coming century” et que : “[the] interest in CO2 may generate or reinforce a lasting interest in national or international means of climate and weather modification; once generated, that interest may flourish independent of whatever is done about CO2”. Le rapport NAS83 traite aussi des conséquences politiques que peut avoir la possibilité d'une action unilatérale sur le climat. Ce rapport a lancé dans les années 80 puis 90 un tas d'autres rapports donnant lieu à un ramassis de considérations et d'évaluations de la géoingénierie. |
1990 | Le chercheur John Latham du Centre national de recherche atmosphérique, à Boulder, au Colorado, suggère la méthode d'augmentation de l'Albedo des Nuages en les blachissant. Son article : Control of global warming paru dans Nature 347. 339-340 n'est pas très bien reçu par la communauté scientifique. Cependant à partir de cette année un réseau scientifique se développe pour explorer l'idée. Pour en savoir plus : Augmenter l'albedo des nuages. |
1991 | Eruption du volcan philippin Pinatubo en juin avec des énormes rejets de gaz soufrés. Cette explosion a révélé que la dispersion dans la haute atmosphère de quelques 10 millions de tonnes de soufre, formant des aérosols de goutelettes d'eau pleins d'acide sulfurique a créé un voile réfléchissant les rayons solaires qui a abaissé la température terrestre de 0,5 degrés pendant plusieurs mois. |
1992 | Le rapport NAS92 se concentre lui sur des analyses détaillées des options disponibles dans un chapitre spécial intitulé "Geoengineering". Le rapport contient par exemple une taxonomie (classification) en trois catégories des stratégies de réponses au problème du réchauffement. Les coûts de ces stratégies sont évalués et comparés presque héroïquement (pour ce qu'on en savait à l'époque) dans ce chapitre. Les quatre options qui ont été analysées sont les suivantes : reforestation, fertilisation des océans (avec du fer) , modification de l'albedo (avec des miroirs mis dans l'espace ou avec des aérosols injectés dans la stratosphère ou la troposphère) et retrait des CFC (chlorofluorocarbones) atmosphériques (les plus destructeurs de la couche d'ozone). Le rapport appelle à la réalisation d'expériences sur de petites échelles spatiales et à une étude des effets secondaires. Le chapitre se termine par : “perhaps one of the surprises of this analysis is the relatively low costs at which some of the geoengineering options might be implemented” et : “this analysis does suggest that further inquiry is appropriate.” |
1997 | Edward Teller, pionnier du traitement global des problèmes (participant du projet Manhattan qui élabora la première bombe atomique, un des pères de bombe à hydrogène, instigateur du bouclier spatial antimissile) est l'un des premiers scientifiques de renom à prôner l'usage de la géo-ingénierie dans le Wall Street Journal ("The planet needs needs a sunscreen", 17 octobre) . Déjà, comme Paul Crutzen, il préconisait l'envoi de particules réfléchissantes - soufre, aluminium - dans la stratosphère pour combattre le réchauffement planétaire. |
1998 | On découvre les idées d'Edward Teller dans l'ouvrage Geoengineering. A climate change Manhattan Project publié par l'université Stanford. On y trouve une mise en garde contre la "lenteur" et "l'inefficacité" du processus engagé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à la conférence de Kyoto. "Le moment est maintenant arrivé d'étendre notre horizon politique pour y inclure la géo-ingénierie comme une alternative sérieuse aux régulations inefficaces et controversées" |
2000 | Mise en place du Bureau de modification du temps chinois. Cette décision a eu lieu suite à la visite de Jiang Zémin (l'ancien président de la république populaire de Chine) à Moscou. Ce dernier fut très impressionné quand les autorités russes réussirent à faire pleuvoir pour nettoyer un ciel chargé juste avant une grande parade - une tradition héritée du régime soviétique qui ne se souciait guère d'éventuelles retombées chimiques sur la population (des doutes persistent en effet sur l'innocuité des iodures d'argent). Le gouvernement chinois investit 50 millions de dollars par an dans le Bureau de modification du temps. |
2002 | Publication de simulations de la méthode "Augmenter l'Albedo des Nuages" de J. Latham |
2004 | - Le professeur John Schellnhuber, une des figures de la recherche climatique en Grande Bretagne, affirmait le 11 Janvier au quotidien Guardian: "La politique actuelle sur le climat semble ne pas fonctionner. (...) Des projets préventifs à grande échelle sont nécessaires" - Lors de la conférence de géoingénierie en Angleterre (hébergée par le MIT et le Tyndall Centre for Climate Change Research), Latham présenta encore une fois sa méthode et obtint le consensus sur le fait que son idée est assez plausible et à soutenir. |
2006 | - A propos des propositions relevant de la géo-ingénierie, Ralph J. Cicerone, le président de l'académie nationale des sciences américaines, chimiste renommé, déclarait le 27 juin au New York Times: "Nous devrions intégrer sérieusement ces idées dans notre façon de penser" - Paul J. Crutzen, Prix Nobel de Chimie 1995, reconnu pour ses travaux sur l'altération de la couche d'ozone, publie en août dans la revue Climate Change un article saisissant intitulé: "Renforcement du réfléchissement terrestre par injection du soufre dans la stratosphère". L'éruption du volcan philippin Pinatubo lui sert de réflexion expérimentale en grandeur nature. Crutzen propose d'imiter les grands volcans en envoyant chaque année grâce à des ballons et des fusées des millions de tonnes de soufre dans la stratosphère afin de réduire l'entrée des rayons solaires et de ralentir le réchauffement terrestre. Cet article a secoué la communauté des sciences de la terre et les réactions pleuvent. Pour en savoir plus : Injection de SO2 dans la stratosphère - Déclaration dans un communiqué (le monde 29 septembre) du grand climatologue James HANSEN: "Si le réchauffement atteint au total 2 ou 3 °C, nous verrons probablement des changements qui feront de la terre une planète différente de celle que nous connaissons." Il ajoutait sur la chaîne ABC News: "Ces idées d'ingénierie planétaire constituent un domaine que tout scientifique sérieux approche avec une précaution extrême. Mais nous sommes sur le fil du rasoir. Nous avons seulement dix ans pour inverser les émissions de carbone. Voilà pourquoi on trouve des scientifiques pour penser à ce genre de solution". |
2007 | Après la volée de critiques essuyée après la publication de son article dans Climate Change, Paul Crutzen répond en juin dans Research*eu, le magazine de l'Espace européen de la recherche: "Je suis un spécialiste de la couche d'ozone. Nos premières évaluations dans l'affaire du "trou" se sont avérées grossièrement sous-estimées... Une surprise similaire ne pourrait-elle pas venir du réchauffement?" C'est donc par esprit de précaution espérant que nous "n'aurons jamais à utiliser la géo'ingénierie" que Paul J. Crutzen la soutient. Il répond aussi à ses collègues qui parlent d'ultra solution, de probables pluies d'acide sulfurique, d'agression à la couche d'ozone et de formation de cirrus en haute altitude renforçant l'effet de serre. Il reconnaît que beaucoup d'inconnues demeurent mais se défend de jouer à "l'apprenti sorcier". Conscient de l'état d'urgence où nous sommes parvenus, il affirme avoir voulu mobiliser la communauté scientifique sur ces questions, afin que des recherches concrètes soient lancées. Surtout, les financements trouvés. "Je pense que nous allons trouver un consensus pour financer l'acquisition de connaissances... et que d'autres solutions de géo-ingénierie vont être examinées." |