Entretien avec M. Chneiweiss


Retour aux Sources



Dans notre cadre de notre cours « description de controverse, on s’attache à décrire la controverse sur l’utilisation de l’IC dans les tribunaux. On s’intéresse aux arguments pour ou contre l’utilisation de cette technique dans les tribunaux et qui intervient dans le débat, les acteurs qui sont en jeux dans cette controverse et voir ou on en est par rapport à la France et vis-à-vis des différents acteurs. On a essayé de répartir en différents point  historie que ce soit plus clair mais on pourra s’en éloigner, sauter d’un sujet à l’autre.

Il ne vaudrait mieux pas si vous voulez répondre à une question. Normalement vous êtes des étudiants scientifiques donc la démarche scientifique, c’est de partir d’une question à laquelle on ne peut pas répondre et vous aller reformuler la question jusqu’à trouver un moyen technique qui vous permette de questionner le monde réel par rapport à cette question et d ‘avoir un résultat, qu’il soit oui ou non. Si vous vous focaliser sur cette question, on va essayer de la mettre à l’épreuve, si on trouve les moyens techniques pour mais si on saute vers différents sujets on ne va pas y arriver

On va commencer par parler de la question technique, on a vu que du point de vue technique, c’est un peu flou. Où en est-on du point de vue technique en France aujourd’hui ?

Qu’est-ce que vous appelez technique ? Tout est dans la question technique. Devant un tribunal, ce qui est recherché c’est une preuve, ensuite cette preuve va avoir différents degrés de force. Si vous avez 10 personnes qui ont assisté à une scène et des enregistrements vidéo sous 10 aspects différents de la scène,  le degré d’évidence de la preuve est très fort. Parce que même si on met en cause un angle, on en a plusieurs et idem pour le témoignage et on peut confronter le témoignage avec les images. Lorsque l’on arrive sur la notion de l’aveu, est ce que la personne a reconnu ou pas la faute, vous êtes sur un degré qui judiciairement est fort mais qui sur le plan e l’évidence scientifique est faible parce que la personne peut dire vrai ou faux selon la façon dont l’aveu a été obtenu. Dans des circonstances particulières, la personne a pu être très troublée, on connait les histoires d’aveux qui cherchent à protéger une autre personne. On entre dans un degré d’évidence faible. Et il y a l’IC, si vous la prenez en tant que technique qui mesure l’activité cérébrale. L’évidence qu’elle mesure une AC est forte. Oui une imagerie fonctionnelle mesure une AC, mais est ce que cette AC est le reflet d’un énoncé vrai du sujet ? La réponse est simplement non. Vous avez une très forte technicité qui est auto démonstratrice dans sa qualité technique car vous prenez 10 personnes et  vous les mettez dans la même IRM, vous leur faites passer la même épreuve vous aurez 10 fois le même résultat. Donc est ce que l’IRM marche, la réponse est oui, est ce qu’on a un élément technique fort, oui, est ce que l’IRM est capable de détecter un énoncé vrai du sujet la réponse est non, est-ce que si elle en était capable elle serait un élément fort de preuve, la réponse est encore une fois non car un sujet pourrait être convaincu d’une vérité. Un enfant culpabilisé peut être convaincu de dire ce qui est vrai et étant convaincu l’AC de son cerveau sera celle de qqn convaincu de dire le vrai alors qu’il dit qqch de faux. Donc aux yeux du tribunal, la preuve ou l’évidence vont être qqch de faible donc on peut avoir des techniques fortes qui deviennent des éléments techniquement forts à l’appui d’une démonstration fausse car faible sur le plan judicaire. Vous comprenez en quoi il faut distinguer la technique de ce que l’on cherche à faire dire de la ethnique.


Si j’ai bien compris vous parler plutôt de l’interprétation de ce que l’on va pouvoir obtenir de l’IC, du fait que finalement on va soulever le problème de la relativité de la vérité dans le sens ou le sujet ne se mens pas a lui mais que forcement ce ne serait pas mesurer la vérité. Du coup ça peut paraitre fort comme question mais comment peut alors s’imaginer que l’IC pourrait toujours servir dans le cadre de la justice, est ce que ce serait un accompagnement ?

En même temps que vous posez la question vous venez d’y répondre. Ce que mesure l’IC c’est une AC mais elle ne peut pas mesurer le degré de véracité de l’évènement donc dans ce que cherche à faire la preuve judicaire qui est de trouver des arguments pour ou contre la culpabilité du sujet,  l’IC va seulement être une autre façon pour le sujet de parler. S’il dit « je ne suis pas coupable », et que vous faites son IC, vous verrez s’il est plus ou moins ému à l’évocation de sa culpabilité ou non. Qu’est-ce que ça veut dire pour ce sujet dans son AC le fait d’être plus ou moins ému, ça veut dire que c’est un pauvre type, un criminel classique, homme, on va pas dire sa couleur/religion pour rester politiquement correct. Prenons le criminel de base. Il a été maltraité depuis son enfance, il comparait devant le tribunal pour un crime qu’il n’a pas commis peut-être que si vous faites son IC, c’est l’IC de l’injustice qu’il perçoit à être de nouveau mis en accusation que vous allez enregistrer et pas du tout la réponse à la question que lui pose le juge : est-ce que vous avez tué Mme Michu ? Ce qu’il trouvera injuste, révoltant, c’est que l’on ose une fois de plus lui poser la question, lui mettre sur le dos le crime tout simplement parce que à chaque fois depuis qu’il a 3ans et qu’il était battu par son père alcoolique dans le ghetto où il était, on lui a toujours tt mis sur le dos y compris quand son père rentrait saoul du bouleau ou du chômage, jusqu’au fait que dès qu’un vélo était volé dans le quartier, on lui mettait sur le dos. Donc qu’est-ce que vous enregistrez ? Vous enregistrez l’AC d’un sujet qui a une histoire alors que vous voulez savoir si oui ou non, à un instant t la scène s’est produite. Pour ça, il faut revenir à mon champ truffé de caméra avec 10 cameras qui filment la scène sauf que vous avez vu l’un comme l’autre que les expert, ncis, ou ce que vous voulez et à chaque fois il y a une caméra qui a filmé et on a cru que… mais on avait pas vu qu’il y avait une autre caméra  et là il y avait l’autre voiture qui arrivait par derrière et on s’est pas rendu compte que ce qu’il regardait c’était pas le gars qu’il regardait mais un autre car il a été surpris par le reflet et si on fait la déconvolution des images on se rend compte c’est le postier ou le milkman l’assassin. Si vous n’avez pas vu ou revu 10 fois drôle de drame, vous verrez que c’est le laitier l’assassin et c’est pour ça qu’on dit c’est le laitier l’assassin.


Du coup le vrai problème d’utiliser l’IC dans les tribunaux c’est l’interprétation qu’on fait des images.

C’est la distance entre ce qu’on entend par vérité dans un tribunal, quand on cherche à faire une épreuve neuropsychologique vous répondez par oui/non, si c’est vrai/faux, si je vous montre un carré rouge, si vous me dites qu’il est rouge c’est vrai si vous me dites qu’il est vert, c’est faux, idem avec le carré vert. On a des tests simples dans une épreuve simple relativement neutre, si le sujet dit que le rouge est rouge et que le vert est vert, ça ne l’engage pas à grand-chose. Et puis il y a des situations complexes ou on demande au sujet son point de vue, sa vérité sur un évènement complexe dans lequel il est ou non impliqué. Donc il y a 3 catégories de vérités qui n’ont pas grand-chose à voir avec les autres. La vérité de votre test rouge vert elle n’a pas grand-chose à voir avec la vérité que veux le juge,  « est-ce que vous l’avez tué ou pas et éventuellement si vous l’avez tué, est-ce que vous avez des circonstances atténuantes ou pas ». Elle n’a pas grand-chose à voir avec la vérité de l’AC du sujet lui-même mis en accusation au moment où on va lui dire « est-ce que vous avez tué cette personne ou non » parce que la complexité de ce qu’il va penser/ressentir va être très différent du test rouge vert, donc il y a des outils, des instruments. Vous avez un thermomètre vous êtes capable de mesurer la température, la question fondamentale est si la température est le reflet de ce que vous percevez, il fait froid, il fait chaud, le fait que je vous dise que dehors il fait -5, fait que tout a l’heure vous perceviez le -5 mais comme vous étiez en retard vous le perceviez moins que si vous aviez dû attendre 15 min le bus, ou vous l’auriez pas du tout perçu pareil que si vous les aviez passé à attendre la femme de votre vie pour vous, enfin je pars du principe que … je n’ai aucun a priori, et c’est pareil pour vous on va dire l’homme de votre vie, mais ça ne me gêne pas du tout….


On va dire la personne de votre vie !

Oui on va rester politiquement correct. Et pourtant il fait toujours -5 dehors et puis ce n’est pas la même chose si vous êtes dehors pour 5min et si vous êtes un sdf dehors pour 1h. Ce n’est pas la même chose si vous êtes là et bien au chaud ou si vous êtes là et que vous vous dites mince j’ai encore une heure de transport après…


En fait il y a un peu de subjectivité dans le problème, de la relativité par rapport à la situation que l’on est en train de vivre ?

A partir du moment où vous parlez de qqch de social, et un tribunal c’est une construction social, vous ne pouvez parler que de subjectivité au sens étymologique du terme puisque vous parlez d’un sjt, le sjt juge, accusé, greffier, policier, etc. Vous parlez d’interactions de différents sujets entre eux, chacun ayant son point de vue, ses connaissances, son histoire, son vécu, ses attentes. Le juge attend un jugement finalement que le jugement soit un verdict d’accusation ou pas, ce n’est pas tellement son problème, car il a à juger de façon impartiale, le procureur attend un jugement de culpabilité, lui son attente c’est d’avoir un coupable, l’avocat attend un jugement d’acquittement, le condamné veut un jugement ou de reconnaissance d’innocence ou de circonstances atténuantes, chaque sjt va jouer sa partition dans cet opéra que représente le tribunal, chacun avec son histoire, ses enjeux, ses conflits d’intérêts qui  sont différents des autres, on est à 1000 lieux, c’est comme les carottes et les pommes de terre, du test rouge vert au laboratoire d’un sjt isolé du labo avec une IRM. Donc vous avez mis le doigt sur qqch d’essentiel qui est la différence entre l’objectivité de la technique, l’objectivité d’un test simple et la subjectivité d’un phénomène social.


Justement, on a bien la subjectivité du phénomène social mais par rapport à la personne qui va devoir analyser l’IC, est ce que la subjectivité joue aussi ici car elle va être analysée différemment  par deux personnes ou est ce qu’on a atteint aujourd’hui un niveau de précision ou de développement dans les technique que ça ne va pas affecter tant que ça le résultat ?

HC : c’est encore plus compliqué que ça. Disons que sur un nombre de tests encore relativement simples mais qui commencent à se sophistiquer, par exemple une librairie d’objets, on peut avoir un taux de reconnaissance, de congruence des épreuves, cad si le sjt passe la même épreuve deux fois ou un examinateur observe les résultats d’une expérience deux fois, on peut avoir des taux de congruences nettement supérieurs à ce que prédirait le hasard et on peut avoir des notions de l’ordre de 70% de congruence. Mais qu’est-ce que ça veut dire 70% en terme de dire oui c’était vrai, ou non c’était faux. A rien, ça sert à des épreuves techniques où on est capable de répéter l’épreuve 10fois et de dire ben oui 7 fois sur 10 on a pu prédire que cet évènement s’est produit.  Mais ça veut dire aussi que 3 fois sur 10 on s’est trompé, et pire, a priori on était pas capable de savoir dans laquelle des 10 épreuves on s’est trompé 3 fois or votre procès vous n’allez le faire une seule fois, vous allez pas faire 10 fois le procès, avoir 10 fois un verdict et être capable de vous dire « ah la cet IRM… j’ai 70% de succès donc je ne suis pas dans l’aléa mais alors sur les 10verdics, 7 sont bons, 3 sont mauvais, mais lesquels sont mauvais ou bons. On cherche à passer d‘une objectivité technique, on peut prédire qqch dans 70% des cas, à une prédiction qui veut se rapprocher d’une prédiction à 100%. Et c’est normal, c’est ça l’objectif scientifique, c’est de passer d’un test technique à une capacité de prédire. On observe ce qu’il s’est passé pour dire ce qu’il va se passer dans l’avenir. C’est ce qu’on fait avec le réchauffement climatique, on est capable de dire que compte tenu des éléments dont on dispose aujourd’hui, les 2 degrés dans le siècle qui viennent auraient explosé et on serait plutôt sur une tendance à  6 degrés. Ça c’est de la prédiction par rapport à ce que l’on sait, à la modélisation d’effet de serre et tout ça. On est capable de faire des prédictions. Mais quand vous dites sur une IC je suis capable de dire dans 70% des cas que cette personne est en train de penser à une chaise, une tv, une pomme, ça veut dire aussi que dans 30% il pense a autre chose, et ça appliqué à un verdict de culpabilité c’est un petit peu gênant, surtout que ce n’est pas aussi simple qu’une pomme et une chaise. Donc essayer de passer d’une objectivité statistique, aléatoire voire stochastique car vous si faites passer la même épreuve à deux jours, une semaine, un mois d’intervalle et vous n’avez pas les mêmes résultats, à une objectivité prédictive à 100%, alors que les moyens techniques ne le permettent pas. Et pourtant dans 100% des cas vous pourrez dire que c’est un individu que vous avez mis dans une IRM et que vous aurez des images. Oui des images vous en aurez mais vous n’aurez rien à en faire. Pour le tribunal en tout cas! Pour nous on en aurait besoin au labo, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Il a dit que ça c’était tout bidon….


En fait quand on fait des tests d’IRM, est-ce que ça se passe comme avec un détecteur de mensonges : on pose des questions,  et on étudie la réponse du cobaye et on fait l’IRM pour voir comment son cerveau a réagi ou existe-t-il d’autres méthodes ?

Alors l’IRM, même avec des IRM de haut champ, compte tenu du faible rapport signal bruit de fond nécessitent la répétition de la tâche entre 50 et 100 fois et à partir de là, vous sortirez une image des zones qui sont plus activées que d’autres par rapport à la répétions des tâches et vous aurez des circuits qui seront plus impliquées dans la cognition, l’émotion et des choses comme ça. C’est tout ce qu’on regarde aujourd’hui. L’IRM au tribunal, c’est comme un relifting du détecteur de mensonges : on part du principe que si qqn ment, il sera plus ému, certains centres sont plus impliqués dans le fait que le cerveau détecte une anomalie entre ce qu’il fait et pense, ça s’activera plus que s’il dit la vérité. Ceci étant, on sait très bien que qqn qui dit une vérité qui le perturbe aura une activité de ces centres de détection d’erreur extrêmement forte. La preuve classique, désolé elle est très machiste, je vous la recommande, elle est au début dans le 2eme épisode de la première saison de Lie to me. Le truc c’est qu’ils font la démonstration de ça : un gars du service de renseignement quelconque, FBI, le parfait fonctionnaire gris à qui on demande «  comment vous vous appelez ? » , je sais pas, Jule, « votre nom ? », Dupont, le truc reste plat. Et à ce moment-là, il y a le gars de chez Lightman qui envoie son assistante et elle pousse le gars qui pose les questions, elle croise les jambes avec la jupe qui remonte, elle dégrafe un peu son corsage et dit : vous vous appeliez comment vous m’avez dit? Et le gars « chchchchchchc » des oscillations monstrueuses sur l’écran parce que le gars il n’est plus capable de répondre, il est en train de regarder la fille, très perturbé par la scène qu’il a devant lui…


Ça se passe réellement comme ça, à part dans les séries ? Vous arrivez à avoir de telles réponses ?

Bah bien sur si vous montrez quelque chose d’extrêmement perturbant, la personne est extrêmement choquée. C’est aussi ça la relativité, la difficulté sur les tests psychologiques  cad que moi je n’ai jamais passé l’épreuve mais j’ai lu des choses comme ça. Par exemple pour la détection des pédophiles, il y avait un test proposé qui montrait des enfants nus, il fallait voir si la personne réagissait ou pas. Moi, ça me perturberait beaucoup de voir des  enfants nus ; ce n’est pas pour ça que je suis pédophile mais ça me perturberait énormément, c’est quelque chose de gênant, d’agressif. Et ce que m’a répondu un capitaine de police c’est que justement, vous serez gêné et mal à l’aise alors que les pédophiles  ne réagissent pas. Bon, là c’est votre interprétation de ce qu’est un pédophile. Vous voyez on est là dans le projectif d’un sujet sur un autre sujet et on essaye d’utiliser des images ou des mesures, le détecteur ça peut être par ex la transpiration au niveau des mains « quand on est ému » qui change la conductance, le petit courant électrique qui peut passer au niveau des mains, ça c’est le détecteur de mensonge classique. Aujourd’hui, c’est le repérage de certaines zones cérébrales impliquées dans les émotions ou la détection d’erreur ou de mensonges. Mais cela montre simplement que la personne n’était pas à l’aise, pas bien,  émue, gênée, perturbée au moment où on lui a posé telle question. Et donc après, c’est de nouveau la subjectivité du «  quand on pose dix fois la même question, de dix façons différentes, si la personne répond dix fois la même réponse, c’est  vraiment qu’on peut être sûr de… » Ca c’est une pétition de principe, c’est un apriori, c’est ce qu’on croit de…


C’est un peu essayer de mettre une norme sur l’être humain, mettre les êtres humains dans des cases alors que ce n’est pas vraiment possible.

En croyant que parce que vous allez réussir à mettre un numéro, ça va vous apporter plus de preuves que si vous ne mettiez pas de numéros. Cad le fait que vous ayez mis votre accusé dans l’IRM ne le rendra ni plus accusé ni moins accusé qu’avant l’IRM. Simplement, vous aurez une image en plus qui sera interprétée comme les aveux qu’il a fait ou pas fait, comme le fait qu’il a dit qu’il était là mais que par le billet de train qu’on a trouvé il n’était pas là donc il y a un truc qui ne colle pas. Vous voyez,  pas plus.


Et justement par rapport à ce que vous disiez, ça ne pose pas le problème de l’intimité par rapport au fait qu’on va avoir un résultat par rapport à la réaction de la personne mais en même temps est ce qu’il faut demander à la personne avant de le faire, est ce qu’on ne va pas tomber sur des détails qu’on ne cherchait pas forcément à la base mais qu’on va interpréter à notre façon ? Il n’y a pas ce problème là aussi rien que par rapport à l’avis public ?

J’aimerais arriver à vous le faire dire plutôt que de le dire parce que dans la façon dont vous posez la question vous partez déjà du principe qu’on peut lire dans vos pensées. Si vous écoutez et adhérez à ce que je vous ai dit, on va regarder une activité cérébrale que vous aurez face à telle épreuve où vous serez plus ou moins émus, de la même façon que je vous regarde et en vous regardant je pénètre dans votre intimité ou en tout cas peut être que mon discours ou mon attitude dit quelque chose de vous qui peut vous gêner ou pas, l’IRM du fait de dire que vous étiez plus émus ou moins émus, c’est la même chose. Le fait de regarder et ensuite plaquer ou non une interprétation cad dire « ah vous étiez émus vous n’auriez pas du ou vous avez souri là vous n’auriez pas du etc. » c’est ni plus ni moins intime. Il faut effectivement faire très attention à cette espèce de schéma social qu’on cherche à plaquer toujours avec cette vision prédictive. Hier, c’était la génétique. On allait lire le grand livre de la vie. On peut séquencer mon génome on ne saura rien de mon intimité, de qui je suis. Si vous prenez une goutte de sang et aujourd’hui pour 1000 euros vous pouvez avoir les 3 milliards de bases de mon génome. Vous pourrez dire des choses par ex c’est un homme, probablement blanc et déjà vous ne pouvez pas en être sûr mais simplement dire il y a une forte probabilité pour cela. Eventuellement il a telle ou telle maladie rare. Mais vous ne pouvez pas connaitre mon âge, mon orientation sexuelle, ma philosophie, ma religion. Vous ne pouvez rien dire de mon intimité de ce qui fait l’humanité de ma personne. Avec l’IRM vous allez voir que quand je réponds à telle ou telle question je réfléchis plus ou je suis plus impulsif ; vous allez dire que ce jour-là, à cette heure-ci, il a répondu de telle manière sur n=1 cad que je ne lui ai pas posé la question 10 fois un mois avant et un mois après pour me rendre compte que ce même jour son fils se faisait opéré ou son père n’était pas bien  et il avait l’esprit complètement ailleurs quand je posais la question. Vous ne saurez rien de mon intimité.


Ma question c’était aussi sur comment le public, les gens verront cette technique comme une invasion de leur intimité. Les gens ont tendance surtout quand il est question de nouvelles techniques scientifiques  de se dire que c’est une invasion à leur intimité et de ce fait, si ces mêmes personnes seront amenées à subir ces tests, elles devront donner leur accord ? Ça se passe comment concrètement ?

Il y a deux questions. La première est que toute intervention sur une personne nécessite déjà l’accord de la personne. L’autre chose, c’est comment le public va prendre ça ? Moi je vous ai dit du point de vue scientifique ce qu’il en était, cad qu’il n’y a aucune atteinte réelle a l’intimité.  Ensuite, comment nous en tant  que groupe social on l’interprète, c’est justement votre sujet, c’est la question de la vie de la cité. Mais je pense que Socrate a eu des réponses plus pertinentes sur comment on vit ensemble par rapport à des événements. Ce sont des questions qu’on se pose depuis plus de 3000 ans et je pense que le cerveau des humains du temps de Socrate et le nôtre, il n’a pas beaucoup changé.


Si on part de l’hypothèse que l’IRM serait amenée à être utiliser dans les tribunaux, qui devrait effectivement faire passer les tests ? Des sociétés privées ? C’est le juge qui les demanderait ?

D’ailleurs y a-t-il déjà des processus industriels ou politiques mis en place pour essayer d’introduire cette technique comme preuve dans les tribunaux?

Là encore vous posez des tas de questions à la fois on va essayer d’y apporter des éléments de réponse. Est-ce qu’il y a des groupes qui cherchent à mettre en place ces techniques ? Oui. Vous avez des policiers qui veulent des preuves donc qui sont convaincus que ça peut marcher. Vous avez des compagnies qui veulent vendre des machines ou des logiciels, éventuellement des gens qui ont fait la même école que vous, ou dans d’autres pays. Vous avez aussi un appareil judiciaire ou surtout un appareil politique qui s’alimente de la démonstration de la preuve ; il faut aboutir à un verdict objectif juste et la preuve est un élément fondamental du verdict objectif juste. Donc il y a beaucoup de choses qui concourent là, sinon vous vous ne poseriez pas la question. Maintenant, est-ce que c’est en œuvre ? Heureusement non.


Pas en France en tout cas ?

En France c’est strictement interdit et même aux Etats Unis où ça a été testé dans quelques cas c’est considéré comme un élément parmi d’autres et puis il y a toujours ce cas indien dramatique mais enfin tout ça c’est un épiphénomène. Alors, à l’avenir il y a une tendance de vouloir toujours plus de solidité technique. Donc, il est sûr qu’à l’avenir il y aura toujours plus de demande pour utiliser ce type de technique et on cherchera toujours à dire « ce qu’il vous a raconté là c’était vrai il y a 10 dix ans ça ne marche pas du tout mais maintenant ça marche beaucoup mieux ». On verra dans 10, 20, 50 ans ce qu’il en sera. Dans l’état actuel des connaissances, je pense que même dans 10 ans ce que je vous ai dit là restera juste.


Parce qu’en fait quel que soit le degré de précision de la technique, on n’arrivera toujours pas à définir ce que c’est la vérité ; c’est ce que vous disiez au début.

Exactement. On arrivera, au fur et à mesure des recherches, au fur et à mesure de l’évolution de la précision technique, à avoir des machines qui sont capables d’analyser de plus en plus précisément des  processus de la pensée : reconnaitre un mot, reconnaitre un objet. On passera des 70% de tout à l’heure à 80%, 85%. C'est-à-dire qu’on sera capable de dire « à ce moment vu l’image cérébral qui est en train de se former, vous êtes en train de penser à un sport ».


Mais du coup par rapport à la loi du 7 juillet qui annonce que l’imagerie cérébrale pourrait être utilisée dans les domaines « médical, de la recherche et judiciaire » est-ce que le mot judiciaire c’est déjà un premier pas ?


Vous pouvez déjà nous parler de la loi sur la bioéthique ?

Vous voulez vraiment qu’on y passe toute la nuit ? (petit rires) on va encore donner un quart d’heure… alors, les lois de bioéthique on y reviendra une autre fois si vous voulez… mais par rapport à ce paragraphe, il a été ajouté pour dire que compte tenu de l’utilisation sociale des neurosciences, il fallait qu’il y ait des analyses qui soient faites de façon régulière par l’agence de la bioéthique de façon à justement mettre en garde contre l’utilisation abusive de ces techniques hors du champ scientifique ou médical. Et puis ce champ judiciaire a été rajouté mais bon voilà on est dans le pays où on est, et on a la majorité parlementaire qu’on a. Peut-être que dans quelques semaines les choses pourront être de nouveau révisées. J’ai bien dit peut être, et peut être que le mot judiciaire sautera mais il y a beaucoup d’autres paragraphes de la loi qui sauteront aussi.


Donc juste une petite dernière question par rapport à l’utilisation de l’imagerie cérébrale comme outil pour la justice, par rapport à la psychiatrie est-ce que ça pourrait être un complément ou plutôt une substitution ?

A vrai dire je ne vois pas bien la question. Ceci étant, l’imagerie cérébrale est utilisée pour investiguer la manière dont le cerveau fonctionne et puis bien sûr on essaye de comprendre comment le cerveau fonctionne autrement dans un certains nombres de maladies neurologiques ou lésions du cerveau, la maladie de parkinson par ex. Donc là on va voir le cerveau fonctionner d’une certaine façon. Ça peut aussi être des maladies mentales. Dans la dépression le cerveau ne va pas fonctionner de la même manière que chez un sujet normal. Dans la schizophrénie le cervelet qui est très impliqué dans la coordination et l’apprentissage du mouvement, est très perturbé. Donc aujourd’hui on ne sait pas vraiment comment un cerveau schizophrène, donc un trouble de l’idéation qui se situe plutôt dans le cortex pré frontal provoque des anomalies de fonctionnement plutôt impliquées dans la coordination du mouvement. Donc, ça c’est encore aujourd’hui des outils qu’on utilise parfois comme bio marqueurs par ex chez un sujet qu’on sait être schizophrène tel ou tel traitement va améliorer son fonctionnement cérébral. De là à l’utiliser dans un usage non médical, là encore c’est utiliser déjà des processus qui sont très expérimentaux, utilisés uniquement dans des contextes médicaux particuliers très spécialisés comme ici par ex parce qu’on a des psychiatres très formés, des machines de très haut niveau. On ne pourrait pas l’utiliser à autre chose déjà qu’on ne peut pas dire grand-chose réellement au-delà des recherches qu’on peut faire mais si c’était utilisé à un autre usage alors là on ne pourrait vraiment rien dire du tout.


En fait la question de Marine c’était si jamais on pourrait trouver un moyen de l’utiliser de manière à ce que le jugement soit juste ; est –ce que ça viendrait en complément ou en substitution de la psychiatrie qui est utilisée dans les tribunaux actuellement ?

Ça pourrait être un complément oui.            


Parce qu’en plus en théorie ceux qui analyseraient les IRM ça serait les psychiatres ?

Ça serait plutôt des neuroradiologues mais effectivement il y a ce cas classique qu’on avait mentionné à l’audition de cet homme à Marseille d’une cinquantaine d’années artisan qui se plaignait de maux de tête. On lui fait une IRM et on voit qu’il n’a pas de cerveau, son cortex cérébral c’était un petit mm et le reste était rempli d’eau. Et donc si on allait regarder l’image comme ça on dirait que ce n’est pas possible. Comme quoi vous voyez vous avez comme ça des images spectaculaires.


Mais il n’avait vraiment pas de cerveau alors ?

Il avait un cerveau qui s’était réduit à cause de l’hydrocéphalie ; ça c’était fait progressivement sur 30 ou 40 ans que tout s’était réorganisé sur une lame de tissu qui au lieu de faire les 3 ou 4 cm normaux, faisait 2mm mais ça ne fonctionnait pas si mal.


Mais ça ne fonctionnait pas pareil ?

Vous savez personne ne le saura jamais parce que vous n’avez qu’un individu comme ça donc tout ce qu’on peut constater c’est que ce monsieur, jusqu'à ce qu’on lui fasse son IRM on le considérait comme relativement normal à part qu’il se plaignait de maux de tête de temps en temps.


Donc si on conclut, vous êtes complètement contre ?

Pour aller vite, oui je suis totalement contre. Mais je suis totalement contre parce qu’on ne parle pas du même sujet et qu’on essaye de faire dire à la science quelque chose qu’elle ne peut pas dire ; ni qu’elle interroge ni qu’elle est capable de dire. C’est pour ça que oui je suis totalement contre. C’est vraiment une instrumentalisation au sens propre de la science mais dans ce qu’elle n’est pas capable de dire.


Merci beaucoup….