Entretien avec Pauline Vanel

 Pauline Vanel est  ingénieur chargée de développement dans l’association Bleu-Blanc-Coeur

 Verbatim

En 2012, nous avons déposé ce projet au niveau des Nations Unies qui nous ont agréé. Nous avons la seule méthodologie au niveau de l’élevage qui a été reconnu comme impactant sur les gaz à effet de serre en élevage. Donc tous les mois, les éleveurs ont une analyse de lait où l’on regarde le profil en acide graduée. Ils rentrent 4 données : production laitière, le stade de la création de la vache, le nombre de vaches qu’il traite et le niveau d’oméga 3 dans la ration de la vache pour faire tourner l’équation et ainsi calculer les non-émissions de méthane.

Pour l’instant c’est principalement pour le lait, tout cela est officiel et nous sommes audités par rapport à ça. Il y a 520 éleveurs qui sont dans cette démarche donc principalement des producteurs laitiers. Ensuite, nous nous sommes basés sur des études en collaboration avec l’INRA que nous avons monté en 2006. En fait on regardait la composition en acide gras surtout oméga 3 de plusieurs rations, et on s’est aperçu que celles qui contenaient le plus d’acide gras oméga 3 permettaient de réduire le méthane. Donc on le retrouve par exemple dans la graine de lin, la luzerne, ou encore l’herbe. On a fait cette étude sur les vaches laitières mais aussi sur les taurillons (jeunes taureaux) ou le bœuf. Sur ces deux derniers, on constate une réduction de l’ordre de 18% ce qui est énorme, et plutôt de l’ordre de 12 à 15% pour la vache laitière. Sur le bovin viande, nous n’avons actuellement pas monté de méthodologie, mais les études sont là pour prouver que cela quand même réduit les émissions de méthane.

 

L’association Bleu-Blanc-Coeur s’inscrit donc notoirement dans une démarche de réduction des émissions ?

En fait, avec notre cahier des charges qui imposent de mettre des sources riches en oméga 3, on diminue de toute façon la production de méthane. Donc l’idée, c’est valoriser le travail de nos éleveurs et de leur dire : voilà, vous jouez sur l’impact nutritionnel au niveau de la qualité de votre produit fini, et vous avez en plus un impact environnemental moindre parce que vous utilisez une ration qui intègre ces sources riches en oméga 3. C’est encore un plus pour eux.

Est-ce que c’est votre seule initiative par rapport aux émissions de gaz à effet de serre, ou est-ce que vous avez des projets comme des modifications structurelles à plus long terme ou des exigences supplémentaires par rapport aux éleveurs pour entrer dans l’association ?

 

Non, après pour nous, l’exigence par rapport aux éleveurs, c’est vraiment avec la présence de sources riches en oméga 3 dans la portion toute l’année, pas seulement en été où les vaches sont à l’herbe. C’est l’exigence numéro un que l’on a. Sur le long terme, l’idée serait de monter le projet qu’on fait en vache laitière sur le bovin viande, projet qui commence tout juste. Le fait est que sur le bovin viande, on peut avoir la quantité de méthane produite par le troupeau ou par l’animal en question, mais seulement quand il est mort : au niveau de la carcasse, quand on regarde le niveau de lipides qu’il y a dedans et la qualité des lipides et des acides gras. Pour le lait, c’est beaucoup plus simple parce qu’il y a une traite par jour, donc on fait une analyse et on a directement le résultat sur la bête vivante. Nous travaillons donc actuellement sur la possibilité de calculer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre par le troupeau vivant en routine, cela sans trop impacter sur le temps de travail de l’éleveur. Il faut savoir que par exemple si on fait des prises de sang, l’éleveur doit cloisonner sa vache, il y a les prises de sang, donc il y a pas mal de choses.

            Vous avez le sentiment que les éleveurs français sont concernés par l’impact environnemental de l’élevage ? Est-ce une vraie problématique actuellement ou pas plus que ça ?

Ceux que je côtoie oui, mais il faut savoir qu’ils sont dans la démarche Bleu Blanc Cœur et donc déjà sensibilisés à tout ça. Pour eux c’est encore un plus de communication. Après dans notre démarche éco-méthane, je parle toujours du lait, on est pas obligé d’être au cahier des charges Bleu Blanc Cœur pour entrer dans cette démarche. Avec un minium de source d’oméga 3 dans la ration, il y aura déjà un impact sur l’environnement même s’il y aura moins d’impact sur la qualité nutritionnelle du produit. Il y a actuellement 500 éleveurs qui sont entrés de plein gré dans cette démarche qu’on appelle la démarche éco-méthane mais qui ne sont pas au cahier des charges Bleu Blanc Cœur proprement dit. 500 éleveurs en un an et demi, donc ça a quand même bien marché. Et les fabricants d’aliment en parlent également, et expliquent qu’en changeant un petit peu la ration, les éleveurs peuvent avoir des gains et rentrer dans la démarche éco-méthane. Après, derrière cela, s nous leur offrons de la communication et c’est plutôt positif.

Concrètement, qu’est-ce cela apporte à l’éleveur ?

Chaque éleveur qui entre dans cette démarche reçoit un panneau de ferme avec le logo Bleu Blanc Cœur et marqué « engagé dans la démarche environnementale Bleu Blanc Cœur ». Ceux qui ont seulement Bleu-Blanc-Coeur sont véritablement au cahier des charges et s’engagent donc au niveau nutritionnel et environnemental. De plus, ils ont également un compteur qui, utilisant les 4 données dont nous avons parlé précédemment, les traduit en kilos ou tonnes de CO2 économisés, le CO2 parle plus aux gens que le méthane, ou en hectares de soja en moins, enfin nous leur donnons plusieurs équivalences. De cette manière, s’ils veulent communiquer auprès de leurs familles, par exemple, ils peuvent le faire avec leur compteur individuel.

Que pensez-vous de la solution du méthaniseur, structure qui permet de transformer le méthane en électricité ?

Nous sommes une association qui prône le retour à une alimentation santé. Donc pour nous, l’aspect important est véritablement l’alimentation des vaches. Le cahier des charges parle toujours de l’alimentation. Nous ne souhaitons pas intervenir dans un domaine où l’on s’y connait moins. Après c’est au choix de l’éleveur, si il veut y aller, nous n’avons rien contre.

Etes-vous en contact avec des scientifiques ?

Oui, avec l’INRA, l’Institut de l’Elevage et des privés. Après, nous avons aussi des gens plutôt dans le marketing, parce qu’on fait de l’amont jusqu’à l’aval, jusqu’au marketing du produit.

Ces techniques et la recherche vont-elles être suffisantes, à terme, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou ne faudrait-il pas changer radicalement les structures de production ou réduire celle-ci ?

Déjà, nous, à notre échelle, nous travaillons sur l’alimentation. Les ruminants représentent 5% des gaz à effet de serre en élevage, ce qui est quand même énorme. A long terme, le but serait que tous les élevages puissent bénéficier de cette alimentation. Nous souhaitons donc les sensibiliser, et c’est aussi pour ça que nous sommes dans les salons grand public et professionnels.   De plus, la production française diminue, les structures commencent à se regrouper, donc de toute façon il y aura moins d’élevage en France.

Pourriez-vous nous parler un peu des crédits carbone?

On a été reconnu par les Nations Unies, donc aujourd’hui toutes les réductions d’émissions de gaz réalisées par les éleveurs peuvent être vendues sur le marché des crédits carbone. Actuellement, ce marché oscille entre 50 centimes et 3 euros pour une tonne de CO2. Les éleveurs en moyenne économisent 1,5 à 2 tonnes de méthane par an (x21 pour obtenir en CO2). Nous nous sommes dit que donner 10 euros à la fin de l’année aux éleveurs ne servirait à rien, mais voulant tout de même les valoriser, nous avons mis en place l’idée du panneau ferme. Maintenant, nous sommes en train de monter un pilote d’une trentaine d’éleveurs qui auraient le droit de bénéficier de réductions sur un catalogue de produit. Moi, j’essaie de trouver des fournisseurs pour ce catalogue qui acceptent de mettre une réduction sur leurs produits ; et les éleveurs, pour compenser la réduction d’émissions de gaz, paient en kilo de C02. On leur débite donc des kilos de C02 à chaque fois sur un compte. Il n’y a pour l’instant que des éleveurs éco-méthane. Nous n’avons pris que 30 éleveurs parce que nous voulions voir après si ça marchait et si on pouvait le développer partout, comme c’est un catalogue en ligne sur internet. J’ai essayé de prendre un panel représentatif de producteurs, des jeunes, des plus vieux, célibataires ou pas, afin de voir comment chacun se comporte pour remplir les données, et après aller instinctivement sur le catalogue ou pas. Je les ai suivis au départ pour leur expliquer, et maintenant cela marche en routine depuis 4 mois. Nous allons bientôt faire un bilan pour voir combien de kilos ont été débités et si les producteurs sont contents.

Quels sont les produits proposés ?

J’ai auparavant posé des questions aux éleveurs pour savoir ce qui les intéressaient. Il ne faut pas non plus que le fournisseur se dise que personne n’a commandé ces produits. Ce qui les intéressait, eux c’était vraiment des produits de consommation propre, que ce soit des produits pour chez eux, la ferme ou même des produits bleu blanc cœur.

Au niveau des changements d’alimentation, il y a de plus en plus de monde ?

Moi je m’occupe particulièrement des producteurs et des fabricants d’aliments. Au niveau des fabricants d’aliments, c’est aussi eux qui font le relai : je leur explique la démarche puis c’est eux qui prennent le relai auprès de l’éleveur, c’est un moyen de différenciation pour eux parce qu’il y a quand même de la concurrence, et de fidélisation avec le panneau, l’accompagnement autour, il y a de la communication donc l’éleveur se sent un peu moins seul. Voilà comment on arrive à avoir 500 et quelques éleveurs.

Les éleveurs continuent à s’inscrire dans une démarche environnementale malgré les problèmes économiques ?

En fait, quand vous mettez les trucs en oméga 3 dans la ration des animaux à dose cahier des charges bleu blanc cœur, il y a des gains zootechniques sur les animaux : meilleure fertilité, plus de lait, meilleur santé animal, donc ils y gagnent, sinon il n’y aurait pas d’éleveurs dans la procédure. Donc les vendeurs d’aliments les proposent à des éleveurs qui cherchent un peu plus de technicité et de bienfaits sur l’animal.

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