3. Difficultés de vie sur Mars

Les technologies relatives à la vie des colons sur Mars sont celles pour lesquelles le plus d’informations sont disponibles.

Les modules seront de deux types :

Tout d’abord, les « Life Support Units », basées sur les technologies du module Dragon de SpaceX. Ces unités auront pour mission de fournir les ressources essentielles à l’établissement d’une colonie humaine sur Mars, à savoir de l’énergie, de l’eau, et de l’air respirable. Toutes ces ressources seront créées à partir des ressources disponibles sur Mars. Les méthodes qui seront mises en œuvre sont présentées sur le site officiel du projet :

  • L’énergie sera produite grâce à des panneaux solaires déployés à la surface de Mars,
  • L’eau sera récupérée à partir de la glace contenue dans le sol martien, la régolithe. Une partie de cette eau produite sera stockée, et l’autre servira à produire de l’oxygène,
  • Enfin, du diazote et de l’argon seront captés de l’atmosphère martienne et seront injectés, avec l’oxygène, dans les modules d’habitation pour recréer l’atmosphère terrestre.

Ces technologies sont regroupées sous le nom de « In-Situ Resource Utilization », abrégé en ISRU.

Les concepteurs du projet affirment que ces technologies ont déjà été mises au point, qu’elles sont déjà implantées dans l’ISS, et qu’elles sont opérationnelles :

 This system will be very similar to those units which are fully functional on-board the International Space Station.


-- Mars One   [1]

 

Ils se montrent très confiants quant à la fiabilité de ces technologies, et ce même si elles n’ont jamais été testées :

The systems to mine water from the soil and to mine Nitrogen, Argon, and Carbon dioxide from the atmosphere have never been tested in space. Mars is however not space because there is gravity and a thin atmosphere. Additionally, the processes are all more than 100 years old.


-- Mars One   [1]

 

Les éventuels candidats se montrent eux aussi confiants, les équipes du projet Mars One faisant preuve de transparence sur le sujet :

Parce que, quand on dit qu’on n’a pas besoin d’innovation majeure pour un aller simple, on n’a pas besoin d’innovation majeure : on a besoin de sophistications, de maturation de technologies existantes. On est d’accord, on n’a pas testé en conditions opérationnelles et encore moins sur Mars les systèmes ISRU etc… Mais, on est dans une approche incrémentale. […] Mars One est assez transparent vis-à-vis de ça mais on le lui reproche.


-- Jérémy Saget, dernier candidat français en lice pour le projet Mars One   [2]

 

La NASA se montre quant à elle plus réservée quant à l’avancée des technologies liées à l’ISRU, comme on peut le constater dans les pages du rapport Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration :

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Le deuxième aspect essentiel de la survie des colons du projet Mars One sur la planète rouge est le module d’habitation, appelées « Living Units ». Elles seront constituées d’enceintes gonflables, d’un volume de 500m³.

L’air et l’eau seront fournis par les « Life Support Units ». Encore une fois, l’équipe de Mars One affirme s’appuyer sur des technologies déjà existantes dans la mise au point de ces « modules d’habitation gonflables » :

 

The inflatable Living Unit will be built around existing technologies in use as Space Inflatables with such equipment as NASA's space suits and landing airbags on the three Mars rovers prior to Curiosity.


-- Mars One   [4]

 

Aucune autre précision n’est apportée sur le site officiel du projet : aucune information n’est donnée sur les fonctions précises que ces modules devraient remplir, comme par exemple la culture de plantes telles que le maïs, le blé… La seul élément précis de la présentation porte sur ce qu’ils appellent les « wet areas » (la » cuisine » et la « salle de bains »). Encore une fois, l’équipe technique du projet entend s’appuyer sur des technologies déjà existantes.

Les technologies à mettre en œuvre seront semblables à celles déjà utilisées durant le voyage : ce sont celles relatives au maintien de la vie, ou ECLSS. Encore une fois, l’équipe technique du projet entend s’appuyer sur des technologies déjà existantes, notamment à bord de l’ISS. Dans un rapport publié par des chercheurs et des doctorants du MIT , ils écrivent :

Based on the claim that the Mars One life support units will “be very similar to those units which are fully functional on-board the International Space Station”, we will assume that technologies with functions similar to the those onboard the International Space Station (ISS) United States Orbital Segment (USOS) will be used.


-- An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan, p. 1   [5]

 

Ces chercheurs entendent étudier dans ce rapport l’aspect technique de la mission, au niveau de la survie des colons sur Mars. Les informations transmises par l’équipe du projet Mars One étant très parcellaires, ils ne peuvent se baser que sur de telles déclarations pour mener leur étude.

Ils ont donc dressé un tableau précis des fonctionnalités que devrait remplir l’ECLSS de la base habitée sur Mars pour répondre aux besoins des colons, en s’appuyant sur les technologies déjà implantées sur l’ISS :

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Tableau extrait de  « An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan », p. 29   [5]

 

Pour rappel, les experts du rapport Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration affirmaient à propos des technologies relatives à l’ECLSS :

The U.S. and Russian ECLSS on the ISS have demonstrated rates of hardware failures that would be unsustainable on a Mars mission. […] There is still a large gap between current capabilities and the performance that would be needed for long-duration missions in space.


-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration   [6]

 

Par ailleurs, du fait de l’absence de magnétosphère sur Mars, les colons du projet Mars One seront continuellement exposés à des rayonnements cosmiques galactiques très énergétiques. La problématique de la protection contre ces rayons cancérigènes, déjà prépondérante durant le voyage resurgit ici, et se fait encore sentir sur Mars.

Ainsi, selon ces experts de la NASA, les technologies à mettre au point pour un mission de longue durée vers Mars sont encore loin d’être opérationnelles, et celles implantées sur l’ISS sur lesquelles les équipes du projet Mars One prétendent se baser sont inadéquates.

De manière générale, ils se montrent sceptiques quant à la mise au point d’un habitat viable pour des colons sur Mars, dans des délais aussi courts. Les problématiques liées à l’ECLSS et à la protection contre les rayonnements cosmiques sont traitées à part, et sont rappelées dans la partie sur les problèmes liés au voyage.

 

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Néanmoins, les chercheurs du MIT à l’origine du rapport An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan ont tenté de dresser une vue d’ensemble des technologies nécessaires au maintien de la vie sur Mars. En recoupant les déclarations de l’équipe du projet à la fois sur les « Life Support Units » et sur les « Living Units », ils aboutissent à ce schéma de fonctionnement plausible (puisque ne se basant sur aucune donnée précise de la part de l’équipe technique de Bas Lansdorp) du camp de base Mars One :

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Schéma extrait de  « An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan », p. 7   [5]

 

Il s’agit donc d’un système complexe. Ces chercheurs ont donc tenté de trouver les failles de ce modèle, à l’aide simulation sur la qualité de l’air, la quantité d’eau restante etc. Ils se sont ensuite intéressés au moment où les ressources deviendraient trop précaires et menaceraient la santé des colons. Ils se sont basés sur plusieurs critères d’échecs liés à des défaillances des modules d’habitation et de support de la vie :

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Tableau extrait de  « An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan », p. 5   [5]

 

En modélisant ces différents échecs pars des lois de probabilité (le détail de la modélisation mathématique est disponible dans le rapport : et n’est pas détaillée ici), il en concluent que la mort du premier membre de la colonie surviendrait au bout de 68 jours, conclusion fortement relayée dans les médias au moment de la publication du rapport. Ils tentent également de donner les raisons de cet échec :

A first simulation of the baseline Mars One habitat indicated that […] the first crew fatality would occur approximately 68 days into the mission. This would be a result of suffocation from too low an oxygen partial pressure within the environment. […] At the same time, the habitat would be put into a state of high fire risk due to the oxygen molar fraction exceeding the 30% safety threshold.


-- An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan, p. 10   [5]

 

Certains se montrent très critiques envers ces conclusions, notamment un candidat au projet Mars One :

L’histoire concernant l'oxygène, soit en excès (risque incendiaire au-dessus de 30%), soit si l'incapacité à sélectionner la pression (oxygène / azote / etc...) va créer une pression partielle en oxygène qui chute et une suffocation… Ce n’est pas pertinent. Mais c’est ça qui a été repris.


-- Jérémy Saget, dernier candidat français en lice pour le projet Mars One   [3]

 

Ces résultats sont cohérents avec les conclusions du rapport  « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration » d’experts de la NASA. Ils s’expriment à propos des technologies à mettre au point pour assurer la survie des colons sur Mars :

  • A propos de la protection contre les radiations cosmiques :

A suitable approach for providing adequate radiation safety has yet to be identified. […] The ability to provide the level of radiation safety required for a human mission to the Mars surface is so far beyond the state of the art.


-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration   [6]

 

  • A propos de l’ECLSS :

Substantial improvements are needed to extend the lifetime and increase the reliability of existing technologies and systems. […] Extraordinary resources and time would be needed to develop and validate the performance of closed-loop ECLSS that would operate reliably over long periods in space and on the surface of Mars.


-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration   [6]

 

  • A propos de autres problématiques liées à l’habitat :

Substantial resources and time would be needed to upgrade and validate the performance of habitat systems that would operate reliably over long periods in space and on the surface of Mars.


-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration   [6]

 

Il faudrait ainsi à la fois du temps et des moyens conséquents pour pouvoir mettre au point des technologies fiables, aux yeux de la NASA du moins.

 

Le responsable des programmes d'exploration du système solaire au CNES, quant à lui, se montre encore plus virulent envers le projet Mars One et sa faisabilité :

Ils n’ont pas les ressources pour vivre. Ressources, c’est à dire: l’eau, la nourriture, l’électricité… Ils n’ont rien de tout ça.  Non mais Mars One, c’est pas sérieux. Voilà. C’est de la télé-réalité, au sol. Mais ça restera au sol.


-- Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire au CNES   [8]

 

Il reste un dernier élément, crucial dans la réussite ou non du projet : il s’agit de l’aspect psychologique de cette mission. En effet, les colons seront amenés à vivre dans un environnement confiné, potentiellement durant une longue période. Cette problématique se sera déjà faite sentir lors du voyage [lien vers la partie problèmes pendant le voyage]. Mais c’est véritablement lors de la phase de colonisation que l’aspect psychologique de la mission jouera. Les réactions individuelles mais aussi la synergie de groupe déterminera en grande partie l’issue de la mission.

Différentes réactions individuelles au stress et à l’isolement on été identifiées :

- des modifications de la personnalités durant la mission,

- anxiété,

- dépression,

- insomnie,

- productivité réduite,

- psychose, maladies psychosomatiques…

De même, des réaction interpersonnelles ont été identifiées :

- désir accru d’intimité,

- tensions et conflits entre membres du groupe,

- perte de cohésion au sein du groupe de colons, et entre les colons et l’équipe basée sur Terre…

Autant de facteurs pouvant compromettre le succès de la mission, et, qui plus est, tendent à s’intensifier à mesure que la mission avance.

 

Des études d’isolement ont été menées sur une petite équipe, comme par exemple lors de missions de longue durée en Antarctique comme le signalent les chercheurs de la NASA, auteurs du rapport « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration » :

Psychosocial issues could affect the behavior and performance of astronauts on long-duration exploration missions. Studies of personnel in isolated and confined extreme environments (crews of nuclear submarines, groups wintering over in Antarctic research stations, and astronauts) suggest that psychosocial issues can substantially reduce crew performance, health, and well-being. The effects of psychosocial issues on the crews of deep-space missions could be more severe than those documented in the studies above because of reduced prospects for escape and safe return to Earth in case of spacecraft emergencies, the ineffectiveness of real-time two-way communication with friends and family because of time delays, and the longer duration of the mission, which exacerbates all the stresses associated with living and working in a confined space with minimal privacy, barely adequate facilities for personal hygiene, the physiological effects of weightlessness, and so on.


-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration,Committee on Human Spaceflight, p.148   [6]

 

Il s’agit d’une composante assez incertaine de la mission, le comportement d’un individu étant foncièrement imprévisible. Le processus de sélection pourra cependant écarter les candidats les plus fragiles psychologiquement, qui auraient pu compromettre la mission.

 

Lire la conclusion de cette partie :

Difficultés techniques - Conclusion


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 Sources :

[1] « Life Support Unit ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/technology/life-support-unit  (28/05/2015).

[2] « Mission Feasibility ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/mission/technical-feasibility (28/05/2015).

[3] Entretien avec Jérémy Saget, dernier candidat français en lice pour le projet Mars One.

[4] « Living Unit ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/technology/living-unit (30/04/2015).

[5] Do S., Ho K., Schreiner S., et al. “An independant assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan”. 65th International Astronautical Congress, 26/09/2014 - 03/10/2014, Toronto, Canada. p. 1, 5, 7, 10, 29. Disponible sur : http://web.mit.edu/sydneydo/Public/Mars%20One%20Feasibility%20Analysis%20IAC14.pdf (28/05/2015).

[6] National Research Council. « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration », 06/2014, p. 148, 124. Disponible sur : http://www.nap.edu/openbook.php?record_id=18801&page=R1 (28/05/2015).

[7] Entretien avec Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire au CNES.

 

 Images :

• Tableaux de l'état actuel des problématiques techniques, classées, avec code couleur.
Tirés de : National Research Council. « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration », 06/2014. Disponible sur : http://www.nap.edu/openbook.php?record_id=18801&page=R1 (28/05/2015).