Entretien avec Vincent Robert

vincent robert

Vincent Robert est Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Developpement (IRD), basé à Montpellier. Il travaille depuis 30 ans sur le paludisme. Il a une formation de chercheur et de biologiste, il est spécialisé dans l’étude des maladies à vecteur (moustiques et plus précisément anophèle pour le paludisme).

 

1- Où en est-on aujourd’hui de la lutte contre le paludisme ? En Afrique ? En Asie ?

La lutte est très ancienne, aujourd’hui (2015), elle est quasiment au point mort. Le moment crucial a été les années 2000. Le paludisme touche surtout les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Avant les années 2000, il y avait environ 2 millions de morts par an. Nous sommes descendu à 600 000. C’est extrêmement encourageant ! Cet important progrès est dû à quatre faits majeurs. C’est la conjonction de ces quatre éléments qui a permis ce progrès :

  • crédits importants : Bill Gates a beaucoup donné sous la pression de lobby américains. Le Programme du président américain et l’Union Européenne ont aussi été contributeurs. Ces fonds ont été répartis entre les différents programmes. Les services nationaux de chaque pays africains ont ainsi gagné en moyens et en efficacité.
  • apport technologique : les moustiquaires imprégnées mises au point par les labos pharmaceutiques sont bien plus efficaces que les moustiquaires classiques. (L’équipe de l’IRD a prouvé en 1984 leur efficacité). Il est difficile de réaliser ces moustiquaires pour plusieurs raisons : les insecticides traditionnels sont souvent dangereux pour l’homme, il faut donc travailler avec les laboratoires qui produisent ces insecticides pour créer des produits adaptés à l’homme. Leur efficacité est notamment due à un effet de masse : les nombreuses moustiquaires tuent beaucoup de moustiques. Ainsi, même la population qui n’utilise pas les moustiquaire est protégée. Peu d’africains ignorent que le paludisme se transmet par les moustiques et que d’importants progrès ont été fait au niveau de l’information auprès des populations à risque.
  • bon médicament : La découverte de l’artémésine: l’OMS préconise de l’associer à d’autres médicaments pour obtenir des tri-thérapies très efficaces. Ces conseils de l’OMS sont confirmés par tous et ne sont pas controversés. L’artémésine est bien plus puissante que la quinine.
  • diagnostique : le paludisme est très difficile à identifier. Avant les années 2000, il fallait réaliser des frottis sanguins. « Les infirmiers de brousses étaient peu compétents et déclaraient un cas de paludisme à chaque fièvre. C’était contre productif mais pas trop grave. On s’est ensuite rendu compte que ça favorisait les développement des résistances. » Aujourd’hui, un test immunologique avec des bandelettes de papier existe, il est très fiable.

Les résultats de ces 15 dernières années sont très encourageants, la mortalité et le nombre de cas ont chuté. Mais on observe des dérives : « beaucoup de responsables de lutte contre le paludisme dans les pays touchés claquent de l’argent dans des bêtises : gros 4×4, logement de luxe. »

 

2- Existe-t-il des vaccins contre le paludisme ?

Il n’y a pas de vaccin à l’heure actuelle mais il y a énormément de tests en cours. Le meilleurs vaccin est mauvais mais pourrait permettre de rendre le virus non mortel.

 

3- Comment gérer l’incompatibilité entre la lutte contre le paludisme et la rentabilité pour les firmes pharmaceutiques ?

Il y a bien pire. Certaines maladies comme la drépanocytose sont complètement négligées. Le paludisme n’est pas abandonné par les laboratoires pharmaceutiques.

 

4- Y a-t-il responsabilité de l’homme dans la propagation du paludisme ?

L’homme est responsable à 100% du paludisme dans le sens où les anophèles (moustiques porteurs) sont dépendants des humains : ils vivent là où nous vivons. Il y a une importante proximité entre l’homme et le moustique. Ensuite l’homme est responsable de la lutte qu’il met ou non en place : s’il manque des milliards de dollar pour lutter efficacement, c’est uniquement parce que nous voulons utiliser cet argent pour faire autre chose. La déforestation a des effets différents en Afrique et en Asie. Les moustiques ont besoin d’eau stagnante (sans courant ni mouvement) au soleil (besoin de chaleur) pour se reproduire. En Afrique, la déforestation favorise l’apparition de zones humides marécageuses ensoleillées ce qui favorise le paludisme. En revanche en Asie, on constate l’effet inverse : les forêts sont remplacées par des rizières mais seuls les moustiques sains se reproduisent dans ces rizières. Les moustiques porteurs du paludisme ne s’y reproduisent pas. Les moustiques vecteurs sont en fait sectorialisés : ils sont différents en Afrique et en Asie. Le réchauffement climatique devrait en théorie favoriser le paludisme : le cycle de vie du moustique est favorisé par une augmentation de la température et son habitat peut être amené à s’étendre à des zones encore exemptes de paludisme. Mais en pratique il n’y a pas encore de lien évident, les chercheurs alarmistes sont rares. Il n’y a pas vraiment d’enjeux la dessus. Il y a tellement d’autres facteurs que la simple élévation de la température n’est pas trop inquiétante.

 

5- Quel est le rôle des médias ? Voit-on une manipulation de la cause du paludisme ?

Comme dans tous les sujets, il s’agit d’identifier qui a tort et qui a raison : on parle de problème d’expertise. Mais il n’y a pas de manipulation de la part des médias, les contestations sont très minoritaires; bien que les médias soient  très à la recherche des controverses, mais il n’y a « pas d’utilisation médiatique global du paludisme », c’est « anecdotique ». Nous sommes dans une « dynamique positive ». « Je connais beaucoup de monde et j’ai beaucoup travaillé sur le paludisme, je pense qu’il n’y a pas de manipulation médiatique à grande échelle, j’y engage mon nom. Il y a peut-être quelques cas isolés mais c’est anecdotique ».

 

Autre :

« Je suis assez satisfait de l’ordre des choses », « Il y a une vraie coordination, la stratégie est simple », « Tout le monde est d’accord la dessus, nous sommes dans cycle positif actuellement, il n’y a pas de problème car ça marche bien », « quand ça marche bien, chacun sait ce qu’il faut faire donc pour le moment ça roule », « Les systèmes de santé locaux sont efficaces et compétents », « Les ONG sont aussi particulièrement efficaces », « Tous les petits dispensaires locaux font un travail formidable d’information et de prévention. »

 

OMS :

« Ils ne sont pas si loin de la réalité que ça », « J’étais très sceptique au début de ma carrière, je les voyait comme des fonctionnaires qui voulaient garder leur poste. J’ai réalisé par la suite qu’ils sont compétents et bien informés. »