Controverse - Refroidir la Terre ?
Refroidir la Terre ?

Acteurs "contre"  
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La géoingénierie est source de débat. De nombreux scientifiques et personnages publics se montrent sceptiques vis-à-vis de la faisabilité et de l’efficacité d’une solution de géoingénierie pour contrer les effets du réchauffement climatique, à un tel point qu’il nous semble difficile de les répertorier de façon exhaustive. Ainsi il est préférable de regarder les grandes lignes d’argumentation qui s’opposent aujourd’hui à la géoingénierie et d’examiner les acteurs qui les ont formulées pour la première fois. Il nous faut cependant distinguer deux types d’argumentation : celle s’opposant au développement de la science et des technologies qui sous-tendent les méthodes de géoingénierie et celle s’opposant à une éventuelle mise en application de ces méthodes.

Le premier argument qui revient dans tous les forums et arènes où le sujet fait débat, est que la géoingénierie ne fait que masquer l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère en cachant l’effet direct le plus visible, à savoir l’augmentation de la température moyenne sur terre, sans proposer de solution au vrai problème : les émissions de CO2.

Il est difficile de proposer un acteur étant à l’origine de cette remarque, car elle est acceptée par tous ceux qui ont à faire à la géoingénierie en général, les précurseurs des méthodes inclus. C’est donc plutôt un fait et c’est la position de chaque acteur vis-à-vis de celui-ci qui compte.

Nous pouvons tout de même citer un acteur important, le GIEC (IPCC ou Intergovernmental Panel on Climate Change), groupement de scientifiques des principaux pays développés de la terre, qui a pour tâche l'évaluation du risque de changement climatique causé par les humains. Dans leur publication "Rapport Climate Change 2001: Mitigation", et dans la partie du rapport qui parle sur la géoingénierie [http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg3/176.htm] nous trouvons une phrase qui résume l’argument : "Unlike other strategies, geo-engineering addresses the symptoms rather than the causes of climate change.

Ensuite, une série d’arguments sont présentés de façon plus spécifique à certaines méthodes, notamment les plus viables et celles dont l’étude scientifique a été plus poussée, à savoir l’augmentation de la réflexion des rayons solaires dans la stratosphère par le biais d’injections d’aérosols.

Ainsi les climatologues Damon Matthews, de Concordia, et Ken Caldeira, de la Carnegie Institution, ont utilisé un modèle du système climatique de la Terre afin de simuler la réaction du climat terrestre à un déploiement de la méthode d’injection de sulfate dans la stratosphère pour obtenir un résultat étonnant : Si on ne réussit pas à appliquer cette méthode correctement ou à maintenir (indéfiniment) son intensité alors ceci pourrait résulter en un réchauffement violent et rapide qui serait pire que celui qu'on aurait évité jusque là. Dans un article du NewScientist Environment, on résume leur résultat ainsi : « failing to correctly deploy or maintain such a scheme would result in sudden warming – which would be worse than the long-term warming that had been avoided because of its swiftness. ». Ce qui a des sérieuses conséquences car dans aucun cas les méthodes de géoingénierie sont faites pour êtres appliquées de façon ininterrompue jusqu’à la fin des temps.

Dans la même ligne d’argumentation de mise en garde contre les effets d’une injection d’aérosols artificielle, nous trouvons une autre étude [http://www.agu.org/pubs/crossref/2007/2007GL030524.shtml] menée par Aiguo Dai, scientifique du National Center for Atmospheric Research (NCAR)) et Kevin Trenberth, chef du département d’analyse climatique au National Center for Atmospheric Research de la Nouvelle Zélande, qui conclue que le sulfate dans l'atmosphère peut avoir des effets catastrophiques dans le cycle de l'eau, en provocant une diminution des précipitations qui pourraient mener à des périodes de sécheresse. En effet ils disent, en vertu de leurs résultats, que “Creating a risk of widespread drought and reduced freshwater resources does not seem like an appropriate fix”.

Les risques des effets collatéraux de la méthode proposée par Paul Crutzen sont aussi signalés par le climatologue français du collège de France, Edouard Bard, lors d’un entretien publié dans Le Monde sous le nom de « La tentation de refroidir la planète ». Il s’appuie sur ses études de l’éruption du Pinatubo pour affirmer que l'injection d'aérosols perturberait un phénomène naturel appelé oscillation arctique, ce qui provoquerait des réchauffements locaux en hiver dans certaines régions, le refroidissement se concentrant sur d'autres, ce qui peut perturber le complexe système climatique mondiale comme il est arrivé, localement (dans la mer rouge), après l’éruption du gigantesque volcan. De cette façon il prône plutôt pour un travail scientifique considérable impliquant climatologues, océanographes, géologues, astronomes, biologistes, agronomes avant de penser à appliquer des méthodes de géoingénierie.

A ceci s’ajoute le risque de pluies acides liées au sulfate présent dans les nuages, qui est accepté par le monde scientifique comme étant un fait. De nombreux retours d’expérience liés aux éruptions volcaniques le montrent. Depuis 1992, un comité américain ayant la mission d’étudier les implications du réchauffement climatique, le Panel on Policy Implications of Greenhouse Warnming Comittee on Science, signale dans la partie de leur rapport sur la géoingénierie [http://books.nap.edu/openbook.php?isbn=0309043867] l’importance du choix des aérosols utilisés dans les méthodes de réflexion solaire pour éviter les pluies acides : « The cloud stimulation option should be examined further and could be pursued if concerns about acid rain could be managed through the choice of materials for cloud condensation nuclei ». Hervé le Treut, climatologue et directeur de recherche au CNRS de Paris s’inscrit aussi dans cette ligne de pensée.

Finalement, Donald Wuebbles professeur et directeur de la School of Earth, Society, and Environment à l’ University of Illinois ainsi que John Foley, professeur de sciences atmosphériques et océaniques à l’ University of Wisconsin ont montré independament (cf. « Influence of Geoengineered Climate on the Terrestrial Biosphere » dans la Revue Environmental Management) que la réduction de la quantité de soleil disponible pour réaliser la photosynthèse, conséquence de l’implémentation des méthodes utilisant des aérosols, entraîne une réduction de la biomasse des plantes ce qu'implique une diminution du CO2 consommé et donc peut indirectement faire augmenter les niveaux de CO2 à cause de ce qu’ils appellent le "feedback mechanism" des plantes : « blocking some sunlight would decrease plant growth, but that would also decrease uptake, which would give a positive feedback on the amount of carbon dioxide in the atmosphere, which could lead to more climate change. »

Tous ces arguments contre l’implémentation de la méthode d’injecter du sulfate dans l’atmosphère sont repris, entre autres, dans un article assez récent (juin 2008) par Alan Robock, professeur du département des sciences environnementales à l’université de Rutgers, intitulé « 20 reasons why geoengineering may be a bad idea ». Il rajoute d’autres arguments, comme la dégradation de la couche d’ozone liée à l’augmentation d’aérosols en suspension ce qui entraînerait une augmentation des rayons UV dangereux, ou le fait que la présence d’aérosols sulfatés dans le ciel entraîne inévitablement un blanchissement de la couleur du ciel ce qui pourrait avoir une forte influence sur l’opinion publique.

Il soulève aussi d’autres remarques, cette fois ci impliquant la totalité des méthodes de geoingénierie. Ainsi, le fait de masquer les effets des émissions de carbone implique que les hommes pourraient continuer à polluer sans subir les conséquences en termes d’augmentation de la température mais par contre les océans continueraient à s’acidifier endommageant toute sa biodiversité.

L’aspect « global » des méthodes est aussi une contrainte. En effet comment mettre d’accord toutes les nations du monde sur la température moyenne globale à laquelle on voudrait stabiliser le climat ? La Russie pourrait vouloir quelques degrés supplémentaires que les Etats-Unis, etc. Dans tous les cas, l’implémentation d’une méthode implique nécessairement un consensus politique sans précédent.

Finalement, un argument contre le développement des sciences qui étudient la géoingénierie et ses technologies est aussi évoqué : le risque d’utilisation militaire de ces connaissances. Il faut dire que Alan Robock n’est pas à l’origine de tous les arguments qu’il présente mais fait plutôt un travail de synthèse. Ainsi nous retrouvons cette peur de mauvaise utilisation des technologies dès 1999 dans un rapport du Parlement européen, intitulé « Rapport sur l'environnement, la sécurité et la politique étrangère » [http://www2.europarl.eu.int/]. En effet, dans le rapport on fait référence à « une nouvelle menace militaire particulièrement grave pour l'environnement et la santé humaine au niveau planétaire » en faisant allusion à un article publié par l'US Force appelé « Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025 » qui en résumé est un rapport élaboré en 1996 pour l’US Air Force insiste sur la nécessité pour l’aviation américaine d’intervenir localement sur le climat, soit pour accroître la visibilité en supprimant les nuages ou le brouillard, soit au contraire en encourageant la formation d’instabilités, pour générer à son profit des nuages ou des tempêtes...

Nous nous apercevons donc des nombreux enjeux que suscite la géoingénierie, surtout les méthodes faisant intervenir des aérosols artificiels pour augmenter la réflexion solaire, qui sont considérés comme les méthodes qui ont le plus de chances d'être un jour mises en oeuvre.

Avant de penser à implementer une méthode de géoingénierie il faudra donc montrer que nous pouvons surmonter tous les problèmes évoqués précédemment.

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