STM vs SHS

On a coutume de distinguer au sein du savoir scientifique deux branches : les sciences humaines et sociales, dites SHS d’une part, et les sciences techniques et médicales, dites STM d’autre part. Or il importe de garder à l’esprit que cette distinction est une objectivation savante de l’homme, une construction humaine, qui comporte le risque de fractionner arbitrairement le savoir. Tous les pays ne se sont pas mis d’accord sur une séparation des publications scientifiques commune, certains regroupent au sein d’une même branche des disciplines que d’autres séparent. Il nous est cependant paru pertinent d’opérer cette distinction et de parler en termes de sciences humaines et sociales et de sciences techniques et médicales du fait de leurs spécificités dans le cadre de l’Open Access. Nous allons voir en effet que le « monde des idées » se différencie de celui des « sciences dures » en de nombreux aspects.

Deux branches du savoir intrinsèquement différentes

La première différence se situe au niveau de la nature intrinsèque de ces sciences et de ce à quoi elles se destinent. En sciences dures, un article scientifique a besoin d’être lu rapidement. C’est le progrès qui est en jeu, comme ce peut être le cas d’un remède à trouver pour une maladie rare en médecine. Ce n’est pas la même chose dans le marché des idées, où la réflexion se sédimente et s’approfondit au fil des siècles mais ne soulève a priori pas d’enjeux importants. Paul Garapon, conseiller éditorial aux PUF, parle de cette différence constitutive :

Les deux marchés ne sont pas les mêmes ; certains auteurs qui ont publié des articles très scientifiques, les astrophysiciens, ceux qui s’occupent de la santé, ont besoin que tout de suite leur article soit approuvé. Ils participent à une mise en concurrence du marché scientifique. Il faut que ça aille très vite, il faut savoir comment soigner la mucoviscidose, le progrès est en jeu, tandis que dans le monde des idées, de Platon jusqu’aujourd’hui, il n’y a pas d’urgence.

Des marchés éditoriaux distincts

Un ouvrage en SHS est d’ailleurs généralement écrit par un auteur unique, qui mène sa réflexion de manière plus ou moins individuelle, quand il peut y avoir jusqu’à une centaine d’auteurs et d’interactions pour un seul article en STM. Quant à la diffusion, on trouve d’un côté de larges communautés de chercheurs et de l’autre un public plus restreint. La taille du marché éditorial n’est dans ces conditions pas la même. Lorsqu’il s’agit en SHS, pour l’essentiel, de petits éditeurs nationaux et vulnérables, on trouve en STM de grosses sociétés, parfois cotées en bourses avec des générations de profits importantes. Doriane Ibarra, bibliothécaire à l’Ecole des Mines le souligne :

Ce n’est pas du tout la même économie, les éditeurs en SHS sont beaucoup plus fragiles.

La différence se ressent d’ailleurs au niveau des tarifs, tel que le rappelle Ghislaine Chartron, professeure en Sciences de l’information et de la communication :

Quand on regarde le tarif des revues de sciences humaines c’est ridicule, c’est de l’ordre de 200 euros par an. Alors que les revues de sciences dures, même si ce n’est pas le même rythme de publication, peuvent aller jusque 50 000 euros par an.

Une offre adaptée aux spécificités des disciplines

A biens différents va correspondre une offre différente. Le travail de l’éditeur va être sensiblement différent. Paul Garapon, souligne la nécessité de protéger et d’accompagner un ouvrage en sciences humaines :

Dans le monde des idées, l’une des missions de l’éditeur, c’est de protéger le droit moral de l’auteur. Les idées se protègent, ce sont comme des brevets. (…) On a aussi une mission d’accompagnement de ces services publics.

Il en ressort une mise en page souvent plus importante pour les sciences humaines que pour les sciences dures, là où celle-ci reste assez minimaliste.

En tout état de cause, des durées d’embargo plus ou moins étendues ont été décidées, afin de prendre en compte les spécificités de chacun des domaines du savoir scientifique. En SHS, l’idée est de mettre des durées d’embargos assez longues pour protéger cette branche du savoir scientifique, qui n’a pas besoin d’être diffusé gratuitement et largement, simultanément à sa publication, et qui est plus exposé et plus vulnérable sur le long terme. Depuis la recommandation européenne du 17 juillet 2012, on parle de 6 mois d’embargo pour les sciences dures et de 12 mois pour les sciences humaines. Ghislaine Chartron rappelle toutefois qu’il s’agit d’: «une recommandation, et non d’une obligation ».

Il semble ainsi exagéré de prendre les arguments des sciences dures concernant la nécessité de tout publier en libre accès et de les appliquer aux sciences humaines. Il apparaît primordial de prendre en compte les spécificités de chacune des deux branches pour envisager un modèle de diffusion adapté. Ghislaine Chartron, résume le propos ainsi :

On parle et on compare des choses qui ne sont pas comparables. Ce qui compte finalement c’est la qualité de ce qui est produit. Je ne suis pas sure que le régime de la gratuité pour les sciences humaines soit la garantie de la qualité.

Graphique de la publication d’articles relatifs à  l’Open Access par domaine

Le graphique ci-dessous, obtenu par analyse de la base Web of Science, permet de voir que les « sciences dures » publient beaucoup plus sur l’Open Access que les SHS. Néanmoins, il s’agit d’une base d’articles qui s’adresse en priorité aux chercheurs de STM, il y a donc un biais. D’autant plus qu’aujourd’hui, il semble que le débat le plus actif concerne les SHS, notamment par rapport aux recommandations européennes (voir à ce sujet notre article ici)

(Cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Page suivante

Les commentaires sont fermés.