La voie platinum

Scénario scientifique
Modèle économique
Aspect technique

Scénario scientifique

La « voie platinum » se rapproche beaucoup de la « voie dorée« , voire est considérée comme une de ses sous-divisions. Elle est aussi considérée comme très proche, voire confondue, avec la « voie diamant« . Pourtant, la « voie platinum » semble revêtir une identité propre pour certains acteurs.

La « voie platinum » pourrait être définie par l’absence de paiement pour l’auteur et le lecteur. C’est pourquoi elle est jugée proche du « gold », mais la valeur ajoutée qu’elle propose ne porte pas sur le contenu de l’article mais sur des services. En France, ce modèle est représenté par le Cléo (centre pour l’édition électronique ouverte) et l’Inist.

Mais le modèle de Cain.info, qui a mis en place un système de « barrières mobiles » sur certains articles qui sont donc payants pendant un certain temps, peut aussi relever de cette définition, puisque ni l’auteur ni le lecteur ne paye le coût, grâce à l’intermédiaire qu’est la bibliothèque. Thomas Parisot, de cairn.info, ne se classe pas automatiquement dans une voie, mais nous explique son modèle :

Cairn propose en effet à l’ensemble des structures éditoriales avec lesquelles nous travaillons de déterminer – en fonction de leur contraintes économiques, juridiques ou autre – une période d’exploitation commerciale limitée dans le temps, appelée « Barrière mobile ». Cette barrière mobile est aujourd’hui de 3 ans en moyenne, durée au-delà de laquelle un éditeur ou un comité de rédaction permet donc la consultation gratuite des numéros proposés sur Cairn.info.

Le Cléo s’est engagé dans une autre « voie », sous-division du platinum, appelée « freemium » : c’est dire à quel point la diversité de l’Open Access crée un  besoin pour les acteurs de créer des noms de voies pour objectiver ces différents modèles et pouvoir argumenter sur la base de modèles plus ou moins stabilisés. Pierre Mounier exprime l’imbrication de ce modèle dans la voie gold par son côté « financement juste » :

Effectivement, nous on dit que le modèle freemium peut être classé dans les modèles gold parce que c’est un modèle de financement de la publication en libre accès, et effectivement c’est un modèle fair parce que l’objectif est d’obtenir une certaine justesse du système de financement qui n’empêche, ou plutôt qui fait que la pratique de diffusion des connaissances et le système de publication ne dépendent pas des capacités économiques ni du lecteur, ni de l’auteur. En fait, c’est cela qui est important. C’est pour ça que c’est vraiment fair.

Modèle économique

Ainsi donc, le Cléo propose un libre accès financé par ce modèle hybride : le texte intégral est en libre accès, avec des services à valeur ajoutée qui sont optionnels et payants! Ces services comprennent l’impression papier, le téléchargement PDF, les statistiques, des notices… C’est le modèle d’Open edition, plateforme qui édite Revues.org. Néanmoins, Monsieur Mounier nous indique que toute la plateforme n’est pas régie par le modèle freemium :

Sur la plateforme revues.org, il n’y a pas que les revues freemium ; c’est même une minorité les revues freemium. En fait, on accepte tous les modèles de publication, pourvu qu’ils reflètent un minimum le fait de se situer dans l’open access.

Ghislaine Chartron, du CNAM, nous montre toute la difficulté de tracer une frontière entre ces différentes voies :

Pour moi le platinum c’est du freemium. (…) C’est la même chose puisque le modèle freemium c’est bien l’idée de faire coexister deux versions, une gratuite, l’autre payante qui aurait une valeur ajoutée. Tout le pari du modèle c’est de se dire que ceux qui ont la version gratuite vont aller progressivement vers la version payante. » Elle établit cependant une petite distinction entre les deux modèles : « la valeur ajoutée n’est pas la même que celle concernant directement le lecteur final ce sont plus les statistiques disponibles, la normalisation en format mark des notices,.. La distinction platinium-freemium moi je la vois là.

Quant à Cairn.info, son modèle de barrière mobile rapporte de l’argent à cairn pour son travail éditorial (de traduction, de mise en page, de publicité), sur lequel Thomas Parisot insiste fortement tout au long de notre entretien et également une partie est reversée à la revue (voir notre article sur le financement ici). Ce n’est évidemment pas sans susciter l’indignation de certains auteurs, comme Maitre David Forest. Ce dernier avait cédé ces droits par une licence tacite à une revue papier, qui ne l’a pas informé de la mise en ligne sur Cairn de son article, de façon payante. Il s’insurge alors de ce manque d’information, qui fait que Cairn rend payant quelque chose qu’il a fait gratuitement, sans lui demander son avis. Néanmoins, lorsque nous confrontons cette position à Thomas Parisot, ce dernier assure que c’est à la revue de prévenir l’auteur et que si ce dernier est mécontent, il suffit de notifier Cairn qui retirera l’article de la mise en ligne immédiatement. Pour lui, le paradoxe d’un travailleur qui produit un article et n’est pas payé pour ce travail mais doit éventuellement payer (modèle auteur-payeur de la voie dorée), est inhérent au marché de la publication scientifique. L’auteur ne peut s’en plaindre puisque la publication est ce qui fait avancer sa carrière au final.

Pierre Mounier cherche à se prévaloir de toute critique concernant l’argent que reçoit revues.org par grâce à ce modèle :

Les revenus du freemium ne sont pas destinés véritablement à nous financer, nos plateformes ou infrastructures mais sont destinés à financer on va dire plutôt le secrétariat d’édition, secrétariat de rédaction des revues, ou en tout cas à participer à ce financement parce que je vais répondre à la critique que je n’ai pas lue mais que j’entends, et pour laquelle j’ai quand même des réponses. Nous, en tant qu’infrastructure, nous sommes financés sur des financements récurrents de l’État, par nos quatre tutelles, CNRS, EHESS, Aix-Marseille Université, Université d’Avignon, et par des financements directs venant du Ministère qui financent l’infrastructure. Malgré tout, ces financements servent à financer l’infrastructure mais ne permettent pas de financer le développement de services supplémentaires, et en particulier le fameux service freemium que l’on propose aux bibliothèques.

D’ailleurs, Pierre Mounier et Thomas Parisot justifient l’argent que leur plateforme gagne par le temps qu’il font gagner au chercheur lorsqu’ils cherchent les meilleurs articles dans leur champ. Pierre Mounier déclare :

Ce qu’il faut absolument comprendre, c’est que la ressource la plus rare disponible pour un chercheur est le temps. C’est cela que l’on vend, et non pas l’accès à l’information. Ce que l’on vend, c’est le fait qu’un chercheur ait accès sans se poser de questions, transparent, rapide, à du téléchargement de PDF.

Thomas Parisot ajoute :

La période durant laquelle la revue est commercialisée permet le financement de l’ensemble des activités d’édition, de valorisation, de communication et éventuellement de traduction liées à un fonctionnement du titre dans de bonnes conditions. On retrouve ici l’idée de qualité, qui ne peut être envisagée sans moyens pour mettre en oeuvre des dispositifs efficaces à ce niveau, moyens humains et/ou financiers qui sont de moins en moins mis à la disposition des revues par les institutions publiques.

Il formule le concept « d’économie de l’attention » : il  faut payer désormais pour attirer l’attention du public, qui a peu de temps et beaucoup d’offres, ce qui justifie le travail de l’éditeur et de la plateforme comme Cairn. C’est ainsi qu’il s’exclame :

La gratuité pour le lecteur est-elle cette panacée que certains appellent actuellement de leurs voeux, quitte à en payer le prix fort ? Si l’objectif est de développer la visibilité, le fait de mettre un texte en accès gratuit sur internet suffit-il, ou sont-ce toute une série de travaux pour lesquelles l’investissement d’acteurs est nécessaire qui vont pouvoir aider à mettre en contact connaissances et lecteurs ?

Aspect technique

Ainsi, dans la « voie platinum », ce n’est pas l’auteur ni le lecteur qui paient… Mais il faut alors un intermédiaire-payeur. C’est ici le rôle des bibliothèques, qui doivent souscrire un abonnement pour que leurs chercheurs ou étudiants aient accès aux services proposés par les plateformes.

Pierre Mounier l’explique clairement :

Ce n’est jamais le lecteur qui paye une plus-value directement. Les valeurs ajoutées données sont plus pour séduire les bibliothèques afin qu’elles s’abonnent

Néanmoins, selon Ghislaine Chartron du CNAM, l’intérêt des bibliothèques pour ce modèle n’est pas certain :

J’ai le HTML, je peux lire, pourquoi est-ce que j’irai en plus acheter la version payante à la bibliothèque? Ça ne marche que si la bibliothèque est dans la poche de revues.org, que si elle le soutient. Mais le lecteur, le lecteur final, il a que faire d’une version où il y a des statistiques. Il s’en fiche de tout ça. Donc ce n’est pas gagné d’avance le freemium

La bibliothécaire des Mines que nous avons rencontré, Doriane Ibarra, est plus nuancée sur ce point mais elle avoue que sa bibliothèque n’a pas explorée cette voie :

C’est intéressant mais c’est vrai qu’on ne l’a pas explorée en pratique.

Alambic.hypotheses.org est un blog, lancé par la bibliothèque numérique de Clermont-Ferrand, qui est alimenté par des professionnels de la Bibliothèque Clermont Université. Sur ce blog, Olivier Legendre publie en 2011 un article « Cherche modèle économique désespérément ». Il revient sur le modèle platinum et notamment sur l’intérêt qu’une bibliothèque peut y trouver :

La faiblesse du modèle tient à la question que se pose toute bibliothèque quand elle en entend parler pour la première fois : “Pourquoi payer pour ce qui est gratuit ?”. Pour que le modèle vive, il faut qu’à cette question puisse être répondue : parce que vous ne paierez pas cher, parce que ce n’est pas gratuit de publier de la science et que si les bibliothèques ne financent pas l’accès libre, c’est Elvire qui en profite. Le modèle s’appuie donc sur une forme de contribution volontaire (qui ne paie pas perd — et qui contribue gagne — assez peu) et repose sur un engagement politique des institutions de recherche en faveur de l’Open Access, engagement facilité par la modicité des sommes demandées.

Le modèle platinum propose donc de trouver un financement qui sorte du financement par l’auteur ou par le lecteur, et propose une version hybride, alternative, où le texte brut est en libre accès mais où certains services sont payants. Cela rend une place centrale aux bibliothèques, qui pourraient être ici l’intermédiaire-payeur.

Les commentaires sont fermés.