Définition

Une définition controversée

Selon l’encyclopédie Larousse, est scientifique ce qui : « est relatif à la science en général ou à une science en particulier, par opposition à littéraire (exemple : La recherche scientifique) ou bien qui, dans le domaine de la connaissance, présente les caractères de rigueur, d’exigence, d’objectivité caractéristiques de la science ou des sciences (par exemple : une enquête vraiment scientifique) »

Ces définitions controversées sont au cœur même du problème de définition de l’Open Access en général. En effet, la déclaration de Budapest qui définit l’Open Access *, parle d’accès libre aux articles de revues soumis à la validation par les pairs, sans définir les domaines dans lesquels ces articles sont inscrits, ni la qualité de l’écrit en question (voir la question de l’efficacité de la validation par les pairs).

Ainsi, les acteurs de notre controverse débattent de la pertinence de l’Open Access dans des domaines qui ne sont pas historiquement reconnus comme « science », tels que les sciences sociales ou le journalisme de vulgarisation. Le mot « science » acquiert une notoriété au XXè siècle : il est définit comme l’ensemble des travaux permettant l’amélioration du savoir humain et de la technologie. Cette définition reste très vaste, très floue. Mais les travaux d’épistémologues sur ce sujet ne semblent pas réussir à tracer une démarcation fine entre science et non-science.

La démarcation entre science et non-science

Cette opposition à la littérature est intéressante et revient relativement souvent dans les discours sous forme d’opposition entre STM ( Sciences techniques et médicales ) et SHS (sciences humaines et sociales). Lors du séminaire « L’actualité de la recherche : Open Access et bibliométrie, les enjeux de l’édition scientifique » du 7 février 2014 à à Ivry sur Seine, co-organisé par la Mairie d’Ivry, MyScienceWork et la Bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie, nous avons eu la chance de rencontrer une membre de MyScienceWork (plate-forme de communication centralisée autour d’une base de données issues de l’Open Access), pour qui le savoir scientifique concerné par l’Open Access était prioritairement le champ des STM. Il nous a semblé lors de cette journée que pour tous les acteurs du champ STM, l’Open Access était un processus centré sur le savoir des STM et dont les sciences sociales seraient plus ou moins exclues. Est-ce pour autant dire que les SHS ne produisent pas un savoir scientifique ? Non, mais il est important de voir que lorsque l’on parle d’Open Access à ces acteurs, les exemples qui leur viennent à l’esprit sont tous issus du champ STM. La différence entre STM et SHS face à l’Open Access sera développée plus loin. Mais la question est ici de savoir ce qu’est le « savoir scientifique ». Cette interrogation est centrale pour des acteurs tels que Monsieur Parisot, de cairn.info (portail en ligne de revues de sciences humaines et sociales en langue française), qui  déclare :

Notre conviction, depuis le début de notre projet, est que, dans nos domaines, il n’est pas forcément souhaitable de vouloir segmenter ce qui est scientifique de ce qui ne l’est pas. C’est vrai que ce discours passe très mal à une époque où l’on aime évaluer et classer, mais il faut bien comprendre que si les choses sont parfois complexes et ambiguës, cela a souvent des raisons.

Ainsi, il élabore un argument permettant de réfuter toute accusation de non-scientificité des articles publiés sur cairn. L’objectif d’un éditeur n’est pas selon lui de séparer le savoir scientifique du reste, mais bien de faire circuler des articles au plus large public possible.

Il s’appuie sur des exemples de sciences humaines pour montrer à quel point la notion de « science » est caduque :

Les exemples ne manquent sur cette interpénétration entre les sciences dites humaines et les sociétés avec lesquelles elles sont en prise : Races et histoire par exemple, chef d’œuvre de vulgarisation de Claude Lévi-Strauss et succès éditorial notable, est-il un ouvrage scientifique ? Ses collègues anthropologues de l’époque auraient certainement répondu que non mais que dire maintenant de l’importance de ce travail pour l’anthropologie ?

En tant que regroupement d’éditeurs dans le domaine des sciences sociales francophones, il défend une conception du savoir très large, qui pourrait se passer de l’adjectif « scientifique », puisque cela permet à Cairn de conquérir de nouvelles revues, dont on ne sait pas bien si elles sont dans le champ scientifique ou non.

Madame Chartron, du CNAM, évoque aussi la place des ouvrages de vulgarisation dans l’Open Access, comme un moyen de réaliser le transfert entre la communauté des scientifiques et la société : « ce transfert passe aussi par la réécriture de la science par rapport à un public cible qui n’est pas un public capable de jargonner. », ce qui justifie un travail éditorial de grande ampleur. La savoir concerné par l’Open Access s’étendrait donc aux articles de vulgarisation du savoir scientifique.

L’égalité du point de vue du droit

Maître David Forest, avocat et rédacteur de chroniques de droit, résume tout le paradoxe de cette question du savoir scientifique en estimant que « L’Open Access porte sur des œuvres scientifiques » mais dans certains domaines, il est « difficile d’apprécier le caractère scientifique » de l’article. Néanmoins, en tant qu’avocat, il se désintéresse de cette question puisque les œuvres de l’esprit, scientifiques ou non, sont protégées par le même droit d’auteur. Le droit envisage donc le savoir scientifique en accentuant sur le terme « savoir », comme produit issu de la réflexion personnelle d’un individu qui détient des droits sur cette recherche dès lors qu’elle est formalisée. Cette conception en biais par rapport au savoir scientifique entraîne une argumentation accentuée sur les droits d’auteur et non sur l’importance de la circulation d’une science.

La notion de temporalité

Monsieur Garapon, conseiller éditorial au PUF, s’appuie lui aussi sur le droit d’auteur pour conforter sa position et aborde le savoir scientifique d’une façon plutôt originale. Il préfère ainsi distinguer au sein du savoir scientifique deux catégories : l‘article scientifique qui doit circuler rapidement et qui est au coeur de l’Open Access s’oppose aux « idées » qui proviennent d’un processus plus lent qui justifie le marché éditorial traditionnel. Pas d’opposition scientifique/littéraire comme dans le Larousse donc, mais plutôt une conception différente selon la temporalité du savoir produit. Cette définition lui permet de justifier sa position dans le champ éditorial face à l’Open Access qui serait dans la rapidité et n’accompagnerait pas les « objets de connaissance ».

Le savoir scientifique est analysé par les différents acteurs de façon très diverse, ce qui explique en partie qu’ils ne parlent pas tous de la même chose au travers du « mot-valise » (Thomas Parisot) qu’est l’Open Access. Le contenu qui circule grâce à l’Open Access et que nous appellerons ici « savoir scientifique » est tour à tour perçu comme : des connaissances en sciences dures, des connaissances touchant toute la société, des droits d’auteur, des articles à faire paraître rapidement… Il est envisagé sous l’angle idéologique face aux monde des idées, sous l’angle marchand pour les éditeurs, sous l’angle de la propriété intellectuelle pour les auteurs et juristes, sous l’angle des critères de scientificité… Il découle de ces définitions variées du savoir que l’argumentation et la position des acteurs face à ce qu’ils perçoivent comme de l’Open Access soient différentes.

La savoir comme un objet sacré

Enfin, les acteurs pour lesquels le savoir est presque quelque chose de sacré, sont très favorables à sa circulation dans le cadre de l’Open Access. Dans un entretien  du 5 juin 2006 accordé à R. Poynder, Harold Varmus s’exprime ainsi :

I believe that science is one of those activities that improves the state of the world (…) and once you realise how important publication is in the series of acts that constitutes the doing of science, and once you understand the incredible transformation of that publication process that the Internet, and software, and the whole digital world, now promises it is hard not to be pretty passionate about trying to make that part of the scientific universe work more effectively.

(Poynder, Richard. “Open and Shut?: Interview with Harold Varmus.” Accessed April 6, 2014. http://poynder.blogspot.fr/2006/06/interview-with-harold-varmus.html, consulté le 22 mars 2014)

H. Varmus a reçu un prix Nobel de médecine en 1989 et sa passion pour la science le pousse à co-fonder la « Public Library of Science » (PLOS, anciennement PLoS1), pouvant se traduire par « Bibliothèque scientifique publique ». C’est un projet américain à but non lucratif de publication scientifique anglophone à accès ouvert fonctionnant sur la base de licences libres qui traduit l’intérêt de Varmus pour l’Open Access. On peut penser que cet intérêt découle directement de sa définition du savoir comme un bien sacré, voire bien universel ?

* : le lecteur prendra note que nous avons fondé notre réflexion sur la définition de l’Open Access procurée par la conférence du Budapest, qui place l’article de revue scientifique en position centrale. Nous n’aborderons donc pas ici l’Open Access revendiqué pour des objets tels que la musique ou la peinture.

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