Mutations du travail

Mutations du travail

Ce projet de loi est apparu alors que le monde du travail semble connaître de profondes mutations : désindustrialisation (4.5 millions d’emplois industriels en France en 1980 contre 2.6 millions en 2008), uberisation (mise en contact directe des professionnels et des clients grâce à l’utilisation des nouvelles technologies), transition numérique… Le rapport Combrexelle insiste sur l’inadaptation du Code du Travail actuel à ces mutations : « Le second exemple [de nouvelle problématique des relations du travail] tient à l’économie digitale dont les responsables soulignent, de façon récurrente, l’inadaptation, voire l’archaïsme, de notre droit du travail au regard des spécificités de ce secteur en pleine révolution. L’utilisation des outils numériques et leurs conséquences sur le travail (mobilité, articulation des temps et outils personnels et professionnels, droit à la déconnexion, etc.) est un domaine encore peu régulé par le code du travail ».[1] Ces acteurs considèrent donc que ces modifications rendent nécessaire une réécriture du Code du Travail.

Certains acteurs contestent cependant l’ampleur de ces mutations. « Je ne voudrais pas qu’on surestime l’ampleur des changements de l’uberisation » nous a par exemple confié Anne Eydoux, qui justifie son propos par des chiffres : il y avait 20% d’emplois indépendants au début des années 70 contre 10 à 11% aujourd’hui. Elle attribue la « remontée très récente et de faible ampleur de l’emploi indépendant » à la loi de 2008 qui encourage l’auto-entrepreneuriat et non à une révolution numérique. L’existence même de ces mutations (et donc la nécessité d’une modification de la loi) est donc un sujet controversé.

L’uberisation permet des gains financiers importants (pas de licence de taxi par exemple dans le cas d’Uber, peu d’infrastructures …), mais le faible encadrement des conditions de travail provoque des critiques. Des chauffeurs Uber sont ainsi allés jusqu’à dénoncer un “esclavage moderne” le 14 décembre 2016. “Je n’ai plus de vie de famille, de vie sociale : je ne fais que travailler et dormir” confie ainsi un chauffeur à la matinale d’Europe 1 ce jour-là.

Des mutations comme l’apparition des nouvelles technologies ou la suppression du repos dominical ont tendance à  mener à une omniprésence du travail dans la vie de l’actif, omniprésence encore peu ou mal encadrée. La loi El Khomri répond à ce problème à travers la création d’un droit à la déconnexion – un blocage des mails pendant certaines heures par exemple.

L’apparition du chômage de masse est également une mutation non négligeable du monde du travail : le taux de chômage (selon la définition du BIT) est passé de 3.3% à 9.9% entre 1975 et 2015. L’étude des chiffres du chômage ramène à la récurrente question de la définition du chômage, de l’inactivité… Cette question devient encore plus légitime avec les nouvelles formes de travail susmentionnées (uberisation, multisalariat…). Le droit actuel du travail a ainsi été rédigé dans un contexte de plein emploi, mais les rapports remis au gouvernement en 2015 et début 2016 considèrent qu’il ne peut être efficace dans la probable forme future du travail, marquée par le numérique ou le multisalariat.

Ces modifications ont donc rendu obsolète le Code du Travail pour les acteurs les plus réformistes. Le Code affirme par exemple que “le Contrat à Durée Indéterminée est la forme normale et générale du travail”, alors que plus de 80% des embauches se font en contrat à durée déterminée en 2016. Jean-Denis Combrexelle explique cette obsolescence : le Code du Travail devait encadrer la “situation de subordination que caractérisait le louage d’ouvrage” [2], mais n’est aucunement prévu pour les nouvelles formes du travail. Les formes de contrat favorisées (CDD, Intérim) sont jugées plus flexibles par les employeurs, qui ne veulent risquer la signature d’un CDI dans un contexte économique maussade.

  1. Combrexelle, J.-D. (2015). La négociation collective, le travail et l’emploi. Consulté à l’adresse  http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_rapport_missionjdc_08092015.pdf
  2. Combrexelle, J.-D. (2016). Droit du travail : le défi français de la réforme. Le Débat, (191), 58‑66. Consulté à l’adresse  http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DEBA_191_0058

 

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