Efficacité du sevrage

Depuis sa sortie en 2004, la cigarette électronique a été vendue comme un produit pour sortir de l’addiction liée au tabac. Toutefois, la question du sevrage n’a toujours pas eu de réponses claires. Bien que depuis 10 ans de nombreuses études sur la question ont été réalisées, leurs résultats ne vont pas dans le même sens. Or, le sujet de l’efficacité dans la lutte anti-tabac est une question centrale de la controverse. L’e-cigarette doit donc nécessairement réduire le nombre de fumeurs et faire attention à l’inverse, à ne pas l’augmenter.

Diminuer le nombre de fumeurs

LES INSTITUTIONS PUBLIQUES RESTENT TRÈS PRUDENTES

Devant l’arrivée grandissante de la cigarette électronique dans nos rues, le HCSP a réalisé un rapport en 2014 qui reprend de nombreuses études menées mondialement, pour déterminer ses effets sur la santé mais surtout sur sa capacité de sevrage tabagique. Ce rapport dévoile que 82% des vapofumeurs (utilisateurs simultanés d’e-cigarette et de tabac) ont baissé leur consommation de cigarettes traditionnelles mais aussi que l’année 2014 a été une année de baisse des ventes de tabac et de traitements anti-tabac.

Ainsi, il parait donc logique de penser que ces acheteurs se sont tournés vers l’e-cigarette qui était en plein essor à ce moment-là. De plus, ce rapport du HCSP met en exergue un changement de vision des professionnels de la santé vis-à-vis de l’e-cigarette. Ces derniers la voient désormais comme un produit de sevrage à part entière et n’hésitent plus à la conseiller à leurs patients.

SI CERTAINES ETUDES MONTRENT DES RÉSULTATS POSITIFS, AUCUNE TENDANCE CLAIRE NE SE DESSINE

On peut également mentionner une étude italienne réalisée par le Centro por la prevenzone E curra del tabagismo en 2011 pour étudier les modifications des habitudes de consommation de tabac de fumeurs réguliers sous l’influence de l’e-cigarette. Malgré le fait que l’échantillon soit réduit (40 individus), les résultats pourraient se montrer révélateurs de la qualité du sevrage de la cigarette électronique. Cet échantillon comportait des fumeurs réguliers âgés de 18 à 60 ans fumant plus de 15 cigarettes par jour depuis plus de 10 ans. Après 24 semaines d’utilisation combinée de cigarettes électroniques et cigarettes traditionnelles, 32,5% ont diminué de moitié leur consommation de cigarettes, 22,5% ont entièrement arrêté de fumer. La cigarette électronique permettrait donc bien d’au moins réduire la consommation de cigarettes même si les résultats sont plus mesurés que ce qu’avancent d’autres acteurs.

A plus grande échelle, une étude néo-zélandaise publiée en 2013 par le Pr. Bullen a analysé le comportement d’un échantillon plus large. Lors d’un entretien avec Ivan Berlin, ce dernier a affirmé que cette étude est « l’une des seules à grande échelle faites sur le sujet de la cigarette électronique » avec plus de 650 fumeurs. Elle a consisté à suivre ces individus de 40 ans sur une période de 3 mois en les séparant en 2 groupes : l’un avec un patch de nicotine et l’autre avec une cigarette électronique.  Au terme de l’étude, le groupe doté de cigarettes électroniques présentait 13,1% d’arrêts complets de la cigarette contre 9,2% pour le groupe doté de patchs.

L’AVIS DE PROFESSIONNELS DE SANTE

De son côté, le Pr. Dautzenberg soulève un ultime problème que peu d’études précisent et qu’il a notamment abordé lors de notre entretien avec lui: les vapofumeurs reviennent rapidement au tabac. En effet, comme ces derniers n’arrêtent pas réellement le tabac, ils considèrent plus l’e-cigarette comme un gadget. Elle leur permet de pouvoir vapoter dans des lieux où ils ne peuvent pas fumer normalement. Au début, ils diminuent leur consommation par l’attrait de la nouveauté mais retombent rapidement dans le tabac. Il semble donc nécessaire que les fumeurs passent exclusivement à la cigarette électronique pour pouvoir sortir rapidement et durablement de la dépendance à la cigarette. Cependant, la figure ci-dessous montre que les vapofumeurs démontrent une envie d’arrêter la cigarette sensiblement plus élevée que les fumeurs classiques. On pourrait cependant objecter qu’il faudrait refaire la même étude quelques mois plus tard pour confirmer si l’envie de fumer s’est réellement concretisée, ce qui permettrait d’affirmer ou non la thèse du Pr. Dautzenberg.

D’après le rapport de l’INPES 2014

CONCLUSION

Il faut prendre du recul par rapport aux différentes études sur le sujet car celles-ci pourraient présenter certaines limites.

En effet, face à ce nouvel objet qui ne cesse de se renouveler, il est difficile de mettre en place un protocole expérimental rigoureux qui rende véritablement compte de la complexité du problème actuel. Ainsi, il n’est pas rare que des acteurs pointent les lacunes de certaines expériences. Par exemple, un point intéressant soulevé par Charly Pairaud lors d’un entretien est la flexibilité dans l’utilisation de l’e-cigarette, qui reste très personnelle. Ceci pose problème dans le cadre d’une expérience où il est souvent tenté de normaliser les sujets afin d’exploiter plus facilement les résultats.

Le vapoteur contrôle la quantité de fumée inhalée lors d’une bouffée, la fréquence d’utilisation de l’e-cigarette, la teneur en nicotine de l’e-liquide ce qui rend difficile la normalisation des études

Limiter l’apparition de nouveaux fumeurs

Dans le cadre de la lutte anti-tabac, l’autre grand défi de la cigarette électronique est également de limiter l’apparition de nouveaux fumeurs.  En effet, partant du principe que certaines personnes seraient prédisposées à fumer, l’objectif serait de les rediriger vers l’e-cigarette plutôt que le tabagisme. Ainsi, le développement commercial que connaît actuellement la cigarette électronique (apparition de nouveaux goûts, facilité d’utilisation, adaptabilité des e-liquides aux profils des utilisateurs) permet de pouvoir atteindre un maximum de  potentiels fumeurs selon le Pr. Dautzenberg comme il l’a expliqué lors de notre entretien.  Ceci peut s’illustrer par le fait que 60% des jeunes utilisent l’e-cigarette sans nicotine. Ainsi, ceux-ci ne recherchent pas réellement un substitut des produits du tabac mais de son plaisir, donc plus l’attrait de l’e-cigarette grandit, plus celui de la cigarette diminue.  

Cependant, un autre phénomène entre en jeu : c’est l’effet passerelle. En effet, certaines études montrent que la cigarette électronique pourrait avoir l’effet inverse de celui escompté : elle pourrait en réalité se révéler être une porte d’entrée vers le tabagisme.  Ainsi, alors qu’elle a initialement été créée dans le but de lutter contre le tabagisme, la cigarette électronique pourrait en réalité augmenter le nombre de fumeurs. C’est en tout cas ce que révèlent certaines études selon Ivan Berlin.

d’après le dossier de Swaps « Santé, réduction des risques et usages de drogues » n°86, 1er trimestre 2017

Malgré tout, beaucoup d’acteurs se montrent plus sceptiques concernant ce phénomène. Par exemple, la thèse de M. Lahoueri basée sur les données de la cohorte Constances montre qu’en termes de pourcentages de personnes touchées, ce phénomène reste négligeable à l’échelle nationale. Le graphique ci-dessus provient d’un article écrit par B.Dautzenberg et a été réalisé à partir de son étude Paris sans Tabac. Il permet à ce dernier de conclure que « la cigarette électronique n’est pas une porte d’entrée mais plutôt un concurrent, avant il n’y avait que le tabac, maintenant les adolescents font la comparaison. »

De leur côté, des chercheurs l’Université de Buffalo ont émis l’hypothèse que l’effet passerelle serait dû au fait que la cigarette puisse procurer plus de plaisir que l’e-cigarette. Or, ils ont eux-mêmes réalisé une étude réfutant cette théorie à l’aide de suivis par questionnaire d’un grand nombre de sujets. Ainsi, partant de leur hypothèse initiale, l’effet passerelle n’existerait pas.
S’il fallait conclure à partir des données existantes actuellement, il serait plutôt tentant de rejoindre l’avis de la plupart des experts de santé français cités ci-dessus, qui est que l’e-cigarette a réellement une vertu de sevrage, même s’il faut rappeler que beaucoup de protocoles expérimentaux à ce sujet sont sujets à critiques au sein de la communauté scientifique. La page « Toxicité » traite de cette autre problématique qui est à la source de nombreux débats puisqu’elle remet en cause la pertinence de certaines données.
Les résultats globalement positifs concernant le rôle de la e-cigarette dans le processus de sevrage en font une alternative intéressante aux patchs et autres médicaments notamment grâce au fait que l’utilisateur n’a pas à suivre une prescription bien définie et peut donc moduler ses doses de nicotine à sa guise, et également au fait que la e-cigarette n’a pas le statut de médicament mais celui de produit de tabac. Le fait qu’elle ne soit pas un médicament permet de donner une connotation tout autre, moins « dramatique », au fait de vapoter. Cependant son statut de produit du tabac pourrait être une entrave à son développement en tant que produit du sevrage. Dans la page portant sur « La régulation de l’e-cigarette », sont donnés des éléments expliquant la situation actuelle sur le statut de cet objet, qui est en perpétuelle rediscussion et qui est au cœur de cette controverse.