Toxicité

Au-delà de la question de son efficacité dans le sevrage, il est important de se demander à quel point l’e-cigarette est nocive pour la santé, et en particulier de comparer sa toxicité à celle du tabac traditionnel. S’il semble y avoir un consensus pour dire qu’elle est moins nocive que le tabac, ce qu’affirme B.Dautzenberg dans son rapport cité dans « L’E-cigarette, substitut idéal? », un article du Monde de 2013, d’autres études soulignent que l’e-cigarette n’est pas totalement inoffensive, ce qui pousse des experts comme Yves Martinet à penser que remplacer l’addiction au tabac par l’addiction à la nicotine de l’e-cigarette serait tout aussi nocif toujours d’après le même article. C. Hill, également cité dans cet article, affirme que les dangers causés par le fait d’inhaler pendant de nombreuses années des parfums additifs et autres produits chimiques sont encore peu connus, ce qui témoigne d’un manque de données à long terme de la communauté scientifique sur la question.

On observe donc que des conclusions divergentes, couplées à un manque de recul, font qu’il est difficile de donner une réponse définitive à cette problématique. il faut pourtant des éléments sur lesquels les décideurs puissent s’appuyer, entre autres pour décider du statut réglementaire de la e-cigarette.

Des études qui affirment la nocivité de la e-cigarette

DES RISQUES POUR LA REPRODUCTION ET LES GENCIVES

D’après N. Benowitz, professeur de médecine à l’université de Californie à San Francisco, cité par R. Mulot dans « La nicotine, alliée et poison du vapoteur, Sciences et Avenir », « l’e-cigarette favorise probablement les maladies cardio-vasculaires et infectieuses et est probablement toxique pour la reproduction. »

En septembre 2015, La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) constatait de « nombreuses anomalies » dans 90% des e-liquides utilisés. 6% de ces produits étaient même qualifiés de « dangereux » d’après un article du journal Sud Ouest : « La cigarette électronique est-elle dangereuse pour la santé ? Ce que l’on sait » .  Plus encore, d’après le Journal of Cellular Physiology également cité dans cet article, après une journée de vapotage, 18% des cellules d’épithélium de gencives seraient mortes ou mourantes, 40% après deux jours et 53% après trois jours, alors que chez le non-fumeur, seules 2% d’entre elles meurent naturellement…

Des effets nocifs sur les cellules buccales? Ce serait le cas d’après cette étude américaine.

DES RISQUES IMPORTANTS CHEZ LES JEUNES

Le rapport du Surgeon General, rédigé par le Service de Santé Publique américain, indique que la nicotine contenue dans l’e-cigarette peut causer des dommages graves à l’adolescent et au nouveau-né s’il y a consommation durant la grossesse. Ses utilisateurs peuvent être exposés à divers produits chimiques, comme des VOC (composés volatiles). On ne comprend pas encore très bien comment la santé est affectée par le fait de chauffer des composants sous forme d’aérosols (solvants, agents de goût) cependant.

Récemment, un article publié dans la revue Science News For Students révélait « un bilan inquiétant sur les effets de l’e-cigarette : saignements de bouche et de la gorge chez les jeunes vapoteurs, action inflammatrice des vapeurs d’e-cigarette sur les cellules buccales, corrélation entre le fait de vapoter régulièrement et les chances de contracter une bronchite chronique (« la toux du fumeur » connue des consommateurs de tabac) et d’autres symptômes similaires à ceux visibles chez les fumeurs ». L’auteur a notamment déclaré que les scientifiques ont trouvé des « traces de métaux toxiques dans les e-liquides et ceux-ci pourraient, une fois chauffés, devenir nocifs même s’il reste à prouver que ces composés chimiques sont bien inhalés par les utilisateurs. »

Au niveau national, le rapport du Haute Conseil de Santé Publique (HCSP) (2014) stipule que les effets de la nicotine sont les mêmes que pour la cigarette : c’est une substance addictive, avec des effets néfastes et positifs, toxique pour les enfants.

LA NOCIVITE DE CERTAINES SUBSTANCE MISE EN EVIDENCE

Quant au matériel et aux e-liquides, il est dit que le diacétyle (présent en 2015 dans de nombreux liquides) est toxique et à l’origine de pathologies respiratoires, alors qu’il n’est pas toxique en ingestion.

Ainsi, les vapeurs ne sont pas inoffensives mais il n’y a pas assez d’études pour vraiment comparer les risques de mortalité liés au tabac et à la cigarette électronique. Dans la thèse du docteur A.Lahoueri, celui-ci a observé une prévalence d’expérimentation de la cigarette électronique maximale chez les individus ayant un niveau de perception de leur état de santé comme  « mauvais à très mauvais ». En revanche, la fréquence d’expérimentation la plus basse est observée chez les participants qui jugent leur état de santé comme « bon à très bon ». L’auteur reste prudent en disant que l’interprétation de ces résultats interdit tout lien de causalité mais donne un premier aperçu des potentielles motivations pour expérimenter la cigarette électronique et l’adopter à long terme. On observe donc une grande précaution chez ces auteurs qui mettent en garde contre les dangers de la e-cigarette.

La e-cigarette moins nocive que le tabac pour la plupart des experts

Bien qu’elle ne soit pas inoffensive, la e-cigarette est considérée par la majorité des experts comme moins dangereuse que la cigarette

LA COMPARAISON AVEC LA CIGARETTE CLASSIQUE

Une majorité des utilisateurs réguliers considère l’e-cigarette comme un produit moins dangereux que le tabac, comme le suggèrent deux études américaines de 2017, intitulées « Daily users compared to less frequent users find vape as or more satisfying and less dangerous than cigarettes, and are likelier to use non-cig-alike vaping products » et « Perceived risk and benefits of e-cigarette use among college students » . De fait ils sont rejoints par la majorité de la communauté scientifique, mis à part certains chercheurs américains qui semblent plus réticents à la démocratisation de celle-ci. Ainsi nous avons au cours de notre investigation souvent entendu dire qu’ « elle est 95% moins nocive que la cigarette traditionnelle ».

D’après le Public Health England, cité dans l’article de Sud Ouest précédemment évoqué, « les exhalations de cigarette électronique contiennent 8 fois moins de nicotine que les exhalations de cigarettes. »

D’après l’INPES, par rapport au tabac, consommé par combustion, les e-liquides présentent l’intérêt de supprimer ou de réduire significativement les risques de survenues de graves pathologies, principalement des cancers. B.Dautzenberg affirme de même dans un entretien qu’il nous a accordé : « Dans l’e-cigarette, il y a zéro particule alors qu’une cigarette, c’est un milliard de particules. Il y a zéro monoxyde de carbone alors qu’une cigarette apporte à peu près 10 milligrammes de monoxyde de carbone. Il y a zéro cancérogène dans l’e-cigarette… ». Sur ce dernier point il est rejoint par N.Benowitz toujours d’après l’article de R.Mulot. A.Flahault explique que l’e-cigarette ne libère pas de goudron ni de monoxyde de carbone qui sont les composés les plus nocifs de la cigarette traditionnelle. Ce dernier considère de plus que la nicotine seule est encore moins dangereuse que la caféine comme il est rapporté dans un article des Echos: « Le faux procès de la cigarette électronique ». Cependant, l’utilisation de la cigarette électronique par un non-fumeur reste déconseillée par l’INPES.

Les effets nocifs de la cigarette sont dus à la libération de composés comme le monoxyde de carbone, mais la nicotine en soi n’a pas d’effets plus nocifs sur le corps que la caféine.

LA E-CIGARETTE ET LES RISQUES DE MALADIE CHRONIQUES

Une étude menée par des chercheurs grecs publiée par le Hellenic Journal of Cardiology sur les diverses recherches disponibles sur le sujet a poussé les auteurs à répondre que peu d’études ont décrit des effets immédiats sur les paramètres cardiovasculaires, et que bien que l’e-cigarette augmente la pression du sang et le pouls, ses effets sont moins marqués que la cigarette. Le fait que l’e-cigarette permette une réduction des risques par rapport au tabac est repris par A.Flahault, d’après le même article des Echos, qui explique que l’e-cigarette réduira les cas d’infarctus, d’AVC, de bronchites chroniques et de cancers du poumon. Quant aux autres effets directement visibles de l’e-cigarette sur le corps, lors d’une étude de six mois menée sur 40 fumeurs réguliers, une équipe de chercheurs italiens a pu constater des irritations de la bouche et de la gorge chez certaines personnes au début de l’étude, mais ces symptômes ont totalement disparu à la fin de la 24ème semaine. Ainsi, d’après ces chercheurs, l’e-cigarette n’aurait pas d’effets secondaires majeurs (« Effect of an electronic nicotine delivery device (e-Cigarette) on smoking reduction and cessation : a prospective 6-month pilot study. »).

LA CIGARETTE ELECTRONIQUE PROBABLEMENT JAMAIS INNOFENCIVE

Le tabac est un produit qui n’apporte pas de plaisir en soi, sauf lorsqu’on y est dépendant, contrairement aux drogues ou à l’alcool par exemple. C’est une drogue que le corps rejette naturellement, notamment avec des irritations de la peau, de la gorge, etc. ce qui pousse le Pr.Dautzenberg à la qualifier de « drogue sans intérêt ».

Le tabac n’est pas une substance procurant du plaisir sans que l’on y soit accro comme l’alcool, le cannabis, etc. et le corps la rejette naturellement.

« Dans tous les cas, la nicotine est un produit mauvais pour la santé, même à faible dose » nous a rappelé Marie Zins au cours d’un entretien. Dans les faits, il apparaît que l’e-cigarette ne sera jamais inoffensive : même si l’on ne tient pas compte des autres produits chimiques présents dans les e-liquides, la nicotine seule reste dangereuse, notamment en irritant la peau d’après le Pr.Dautzenberg. Ce dernier ajoute également : Dautzenberg, « On sait que la e-cigarette sera toujours toxique, elle ne sera jamais purement inoffensive, mais cela reste beaucoup mieux que de fumer. ». Cela reviendrait donc à remplacer un mal par un moindre mal : « Je préfèrerais une société accro à l’e-cigarette plutôt qu’ accro à la cigarette » conclut-il. De même, l’INCa souhaite un transfert du tabac vers la cigarette électronique pour que les gens arrêtent de fumer. Cependant, d’après Ivan Berlin l’e-cigarette ne peut être qu’une transition dans le but d’une amélioration de la durée et de la qualité de la vie, et puisqu’elle n’est probablement pas sans aucun risque pour la santé, rester éternellement vapoteur n’est pas satisfaisant. (l’entretien qu’il nous a accordé est disponible ici.)

Qu’en est-il des personnes qui combinent à la fois cigarette et vapotage?

D’après Antoine Deutsch, dans l’entretien qu’il nous a accordé « la durée est puissance quatre ou puissance cinq fois plus importante que la quantité », et il faut donc se méfier lorsque l’on compte une consommation de tabac en paquet-année et ne pas croire que la durée et la quantité de tabac fumé ont un poids égal. Pour lui, il ne faut certes pas décourager les fumeurs qui veulent diminuer, mais leur faire comprendre qu’il faudra aller à l’exclusivité, sinon leur gain est minimal.

Le fait de fumer ne serait-ce qu’une cigarette par jour accroît tout de même le risque de voir se développer des maladies cardiovasculaires et pulmonaires par rapport au non-fumeur.

On peut également se demander si, par analogie avec le tabagisme passif, il existe un vapotage passif. Sur ce sujet, Antoine Deutsch est catégorique : pour lui c’est un « non-sujet de santé publique » car les chercheurs ont déjà peu de données sur l’e-cigarette en elle-même, donc il n’y a aucun intérêt à se pencher sur le vapotage passif. Il rappelle que 45 000 décès liés au tabac sont dus au cancer alors que 250 seulement sont liés au tabagisme passif. Par analogie, le vapotage passif aurait donc un effet négligeable.

Des résultats différents et un manque de recul

DES ETUDES LE PLUS SOUVENT CRITIQUABLES ET CRITIQUÉES

Au vu de ces avis divergents, il est intéressant de voir comment ces études peuvent être remises en question, ce que font les acteurs de chacun des camps. Tout d’abord, I.Berlin a insisté lors de notre entretien sur le fait de différencier les études toxicologiques (basées sur des valeurs chiffrées comme la quantité de formaldéhyde dans les fumées), des études épidémiologiques (basées sur les conséquences biologiques sur le corps humain). De plus, beaucoup d’études se basent seulement sur l’expérience des utilisateurs et donc sur du qualitatif.

Nombre de débats font rage autour des protocoles expérimentaux des différentes expériences. Ainsi le Pr. B.Dautzenberg prend en exemple une étude réalisée sur des souris qui avait établi des liens entre l’e-cigarette et le cancer de la gorge. Pour cela les scientifiques avaient fait inhaler aux souris 6000 bouffées par jour, ce qui est impossible pour un utilisateur de cigarette électronique. Les conclusions de cette étude ne sont donc pas utilisables selon lui. De même A.Flahault critique vivement l’étude de l’INCa, en remettant en question le protocole expérimental. Il affirme que, de toute façon, les chiffres trouvés (concentration en composés cancérigènes) restent bien inférieurs à ceux du tabac.

Par ailleurs, il faut également relier l’étude à son contexte géographique : ainsi quand nous lui avons parlé, le Pr. Dautzenberg critiquait le rapport du Surgeon General, où l’on observe une vive inquiétude vis-à-vis de cette tendance, car selon lui les lobbies du tabac ont pris le contrôle aux Etats-Unis, ce qui remet en cause l’objectivité de l’étude. Rappelons également que l’historique de la consommation du tabac dans ce pays est bien différente de celle de la France : le nombre de fumeurs et notamment de jeunes fumeurs est bien plus faible en proportion que dans l’Hexagone.

 

ATTENDRE D’AVOIR DU RECUL OU AGIR ?

De nombreux experts tels que Y.Martinet aiment réaliser une analogie entre l’e-cigarette et l’amiante dont on avait découvert les effets néfastes après un siècle d’utilisation, pour pointer le fait que des données sur le long terme sont nécessaires, et qu’on ne peut tirer de conclusions formelles pour le moment. De fait, B.Dautzenberg et Antoine Deutsch rappellent que le recul nécessaire pour déterminer si un produit a des effets cancérigènes ou non est de l’ordre de la trentaine voire la cinquantaine d’années, là où la e-cigarette existe seulement depuis une dizaine d’années.

Les experts réalisent souvent une analogie avec l’amiante pour souligner le manque de recul sur la situation actuelle

Le vrai débat est alors, de savoir s’il faut attendre ou non avant de se prononcer, c’est à dire d’appliquer un principe de précaution en se basant sur les premières études que l’on a, ou agir dans l’urgence. B.Dautzenberg avance que « les premières analyses faites ne montrent pas de substance cancérigène à un tel niveau qui permette de dire que la cigarette électronique n’est pas un produit cancérigène », (extrait de notre entretien) mais il insiste sur le fait que « cela reste très embryonnaire comme recherche ». De fait, nombre de chercheurs affirment que les études sur sa nocivité et son utilisation dans le sevrage tabagique ne sont pas encore assez poussées. C’est pourquoi le HCSP invite au renforcement du dispositif observationnel français du tabagisme, à la réalisation d’études épidémiologiques et cliniques robustes sur la cigarette électronique, ainsi qu’au lancement de recherches en sciences humaines et sociales sur cette question.

 

 

DE NOMBREUSES SUBSTANCES DONT NE NOUS CONNAISSONS PAS ENCORE LES EFFETS

Concernant la dangerosité des éléments contenus dans la solution, un article publié dans le Monde en 2013 intitulé « Interrogations face au succès de l’e-cigarette » explique que le propylène glycol et le glycérol, présents dans les e-liquides, sont des substances utilisées dans les domaines de l’alimentaire, du cosmétique et du pharmaceutique, mais on ne connaît toujours pas leurs effets sur les voies respiratoires d’après l’article.

Selon Marie Zins, la portée de ce problème dépasse le domaine du scientifique : c’est un problème qu’elle qualifiait lors de notre entretien de « politique et citoyen » auquel les scientifiques ne peuvent pas répondre car ils s’attachent avant tout à un principe de neutralité intellectuelle, et ne peuvent réagir qu’en présence de preuves solides et établies. Elle remarque également que même à faible dose, la nicotine peut être nocive, en rappelant que la plupart des produits toxiques ont des effets sur la santé sans seuil, et met en garde : « Il ne faut pas dire que ce que l’on ne voit pas n’existe pas. »

Conclusion

En conclusion, il reste un flou sur les effets à long terme de l’e-cigarette, notamment car certaines études présentent des résultats contradictoires. Néanmoins, il y a un consensus général pour dire que les risques de l’e-cigarette sont largement inférieurs à ceux du tabac, avis partagé par une grande partie de la communauté scientifique et des institutions publiques. Il est alors intéressant de voir que le débat dépasse les portes de la communauté scientifique et implique les acteurs de la sphère politique, tout cela sans oublier le poids que les lobbies (du tabac, de la pharmacie) peuvent avoir lors des prises de décision : tout cela est traité dans la page suivante : Quel statut pour l’e-cigarette ?