La publicité programmatique

La diffusion de la publicité sur Internet a connu un tournant majeur avec le début de l’utilisation d’un nouveau processus : le programmatique.  Grâce à des algorithmes et au traitement des données collectées, l’espace publicitaire est automatiquement alloué aux annonceurs selon le type de contenu à publier et le public visé. La publicité programmatique fait référence aux démarches de publication publicitaire s’appuyant sur des processus automatisés de vente et d’achat d’espace. Elle est donc le produit résultant de l’utilisation des processus programmatiques par les annonceurs est éditeurs. La publicité programmatique offre un meilleur ciblage et donc un gain économique aux annonceurs, mais permet également de répondre aux attentes des internautes qui souhaitent, à défaut de ne pas supprimer la publicité, disposer de contenu plus pertinent et moins invasif. Toutefois, le programmatique soulève également de nouveaux problèmes, concernant notamment l’opacité des processus automatiques utilisés et les fraudes. Cela est à l’origine de fortes tensions entre les annonceurs et les éditeurs, mais également entre les éditeurs eux-mêmes. 

Un peu d’histoire…

Au commencement, lorsqu’un annonceur souhaitait diffuser une publicité sur Internet, il s’adressait directement à un éditeur en lui transmettant sa publicité et en le payant pour qu’il la fasse apparaître sur son site. L’utilisation et l’accès aux données d’audience de l’éditeur étaient alors limités : l’annonceur devait les acheter auprès de l’éditeur.

En 1996 sont apparues les premières régies publicitaires. Elles sont des intermédiaires entre annonceurs et éditeurs et interviennent majoritairement sur les flux de vente d’espaces publicitaires. Les régies agissent pour le compte des éditeurs : elles collectent leurs espaces publicitaires et les vendent aux annonceurs après avoir procédé à un « matching ». À la différence des médias traditionnels, les régies publicitaires sur Internet utilisent des serveurs de publicité. Ceux-ci fournissent un logiciel aux annonceurs et aux sites web pour délivrer les publicités tout en permettant de les compter, d’optimiser l’inventaire de l’éditeur et de suivre efficacement les campagnes.  

L’arrivée du programmatique

En 2005 voient le jour les Ad-Exchanges, plateformes automatisées d’achat et de vente d’espace publicitaire. Elles mettent en relation des acheteurs (agences publicitaires, agences média, annonceurs) avec des vendeurs (éditeurs, régies publicitaires) et permettent l’achat d’espace publicitaire via une vente aux enchères en temps réel. Il s’agit de la forme de programmatique la plus répandue : le RTB (Real-Time Bidding). Cette automatisation et optimisation de l’allocation d’espace publicitaire marque le début du programmatique, qui a connu une véritable envolée en 2015.

Aux Ad-Exchanges se sont ajoutés 2007 les DSP (Demand-Side Platforms) et les SSP (Supply-Side Platforms) qui permettent respectivement aux annonceurs et aux éditeurs de gérer automatiquement plusieurs Ad-Exchanges. Ils sont les moteurs techniques essentiels de la publicité programmatique. Les DSP sont notamment chargées de placer des enchères automatiquement sur les inventaires (liste de leurs espaces publicitaires disponibles à la vente). Quant à elles, les SSP permettent aux éditeurs de monétiser leur inventaire publicitaire.

Le programmatique fait intervenir dans une large mesure l’utilisation des données. Celles-ci concernent le profil des utilisateurs et leurs comportements de navigation sur Internet. On parle actuellement « d’économie de l’information personnelle » pour désigner cette économie entièrement fondée sur la capacité à récolter, traiter, gérer et utiliser les données personnelles des internautes.

« Programmatic trading is a form of data driven (or big data) technologies, for example instrumental applications that take advantage of massive or intensive data management. »

Immaculada J. Martinez-Martinez, Juan-Miguel Aguado, Yannick Boeykens, « Ethical implications of digital advertising automation: the case of programmatic advertising in Spain », 2016

Néanmoins, bien que ces données offrent des possibilités de ciblages inédites pour les annonceurs, elles ne sont pas toujours traçables et les processus programmatiques sont très opaques aux utilisateurs courants d’Internet. Les trois auteurs de l’article « Ethical implications of digital advertising automation: the case of programmatic advertising in Spain » (1) s’intéressent aux questions éthiques soulevées par ce phénomène, concernant les implications psychologiques, culturelles et sociales pour les internautes. Elles découlent notamment de la libre disposition des données personnelles et du manque d’information dont disposent les utilisateurs au sujet du programmatique et de l’usage de leurs données. L’étude révèle une confrontation entre les intérêts économiques des professionnels du programmatique, interrogés par les auteurs de l’article, et le droit des internautes de suivre et contrôler leurs données. En effet, la majorité des participants à l’étude considère les données personnelles collectées avant tout comme une ressource à valoriser économiquement, mettant de côté la nécessité d’informer correctement les internautes et de leur permettre de suivre leurs données.

Toutefois, les internautes ne sont pas les seuls impactés par l’opacité des processus programmatiques. Les annonceurs ont à la fois accès à une nouvelle technologie servant leur modèle économique, mais sont également confrontés au revers de la médaille concernant la hausse des fraudes.

Le point de vue contrasté des annonceurs

Les annonceurs ont de plus en plus recours à la publicité programmatique, qui offre une capacité inédite d’optimisation de leurs campagnes publicitaires. Raphaël Grandemange, membre de l’Unecam (Union des entreprises de conseil et achat média), rend compte de cette nouvelle tendance :

« La principale force du programmatique, c’est son efficacité pour toucher une cible bien identifiée […]. Puisqu’il est particulièrement difficile d’accrocher l’internaute avec une pub vidéo, mais que les vidéos sont de plus en plus populaires sont Internet, les annonceurs sont en demande de technologies de ciblage plus pertinentes. »

Raphaël Grandemange, « La publicité programmatique, l’arme fatale des annonceurs », La Tribune, 2016

Au service des annonceurs œuvrent notamment des agences média, telles que Publicis. Elles les conseillent sur la diffusion de leurs campagnes publicitaires et les aident à optimiser la façon d’investir leur budget publicitaire. Les agences média ont également un rôle de médiation entre les annonceurs et les régies publicitaires : elles sont chargées de négocier l’achat d’espaces publicitaires auprès des régies pour le compte de leurs clients annonceurs.

« Aujourd’hui 95 % du marché publicitaire est géré par les agences, seuls 5 % d’annonceurs n’ont pas d’agence média. »

Alan Ouakrat, Jean-Samuel Beuscart, Kevin Mellet, « Les régies publicitaires de la presse en ligne »

Cependant, depuis l’avènement de la publicité programmatique, les annonceurs sont aussi victimes de fraudes et de manque de transparence sur le devenir de leurs publicités. Il s’insurgent contre les revers des pratiques automatisées introduites avec l’avènement du programmatique :

« De nombreux annonceurs ont dépensé de l’argent pour des pubs invisibles aux yeux des internautes ou ont été victimes d’adstacking, c’est-à-dire l’empilement de pubs sur un même espace, ce qui réduit la visibilité de l’annonce et donc son impact auprès de la cible. »

Sylvain Rolland, « La publicité programmatique, l’arme fatale des annonceurs », La Tribune, 2016

Les fraudes dont peuvent être victimes les annonceurs recourant au programmatique représentent un manque à gagner économique non négligeable. La législation évolue dans ce sens, afin d’assurer un environnement plus sécurisés aux annonceurs.

Toutefois, des menaces pèsent aussi sur certains éditeurs quant à leur capacité à s’imposer et se maintenir sur le marché de la publicité programmatique.

Les éditeurs enthousiastes mais inégaux

Les éditeurs sont majoritairement très favorables à la publicité programmatique. En effet, la diffusion de publicité sur les espaces qu’ils possèdent constitue une importante source de revenus et le programmatique permet d’optimiser la publication de tels contenus.

« Du côté des éditeurs, comme les sites des journaux, le programmatique séduit, car il s’affirme comme l’une des réponses aux adblockers, ces logiciels de blocage de publicités, dont l’usage se répand comme une traînée de poudre. »

Sylvain Rolland, « La publicité programmatique, l’arme fatale des annonceurs », La Tribune, 2016

Toutefois, les éditeurs ne sont pas tous à égalité et une partie du débat se situe également entre les “petits éditeurs” et les plus “grands”, qui n’ont pas tous le même poids dans le processus programmatique. En effet, leur renommée et leur capacité d’investissements financiers jouent des rôles importants dans les possibilités de se démarquer sur le marché du programmatique. Il en résulte une nette polarisation entre quelques grands éditeurs détenant une grande majorité des parts de marché et une multitude de « petits » en partie délaissés.

 

Les points de friction

Les fraudes, fléau des annonceurs

Inégalités entre petits et grands éditeurs

 

Parce que revenir en arrière est aussi un choix

Les champions du ciblage informatique

 

Pour découvrir l’autre nœud de la controverse

Pollution et intrusion

 

(1) : « Ethical implications of digital advertising automation: the case of programmatic advertising in Spain », Inmaculada J. Martínez-Martínez, Juan-Miguel Aguado and Yannick Boeykens, mars-avril 2017