Quel avenir pour l’anonymat ?

Si l’on observe un changement de mentalité au sein de la population au sujet de questions sociales comme le mariage pour tous, ou les questions de fin de vie, la même chose peut se produire pour la question de la levée de l’anonymat du don de gamètes. Ces changements de mentalité ont pu être causés par la levée de l’anonymat dans plusieurs autres pays européens, qui nous font nous demander pourquoi l’anonymat est encore en place chez nous. Le développement des tests ADN, illégaux en France, met en péril l’anonymat des donneurs, qu’ils le veuillent ou non.

Tout porte à croire que nous allons vers une levée de l’anonymat avec la révision des lois de la bioéthique de 2019 et de la possible ouverture de la PMA aux couples de femmes.

Tests ADN, l’irrésistible Pérennité du don mise en péril ? Qu’en pensent les autres pays ?

Des conséquences à redouter

©Sarah Kleinmann

Une majorité silencieuse ?

De nombreuses voix parmi les défenseurs de l’anonymat du donneur affirment que le débat n’a pas lieu d’être. En effet, pour eux, le désir de connaître son géniteur n’anime qu’une infime portion des enfants issus de dons. Du point de vue de psychanalystes comme Charlotte Dudkiewicz ou Pierre Levy Soussan, ces personnes, s’il ne faut pas négliger leur souffrance, appartiennent à une minorité ; et leur mal-être ne résiderait pas dans leur mode de conception mais dans le fait qu’ils l’aient appris très tard ou très mal. Et, dans ce cas, elles défendent qu’il serait illusoire de penser que l’accès à ses origines résoudrait ces problèmes.

« Environ 50 000 enfants sont nés grâce à une procréation avec gamètes d’un donneur en France et la très grande majorité d’entre eux ne portent absolument pas une telle demande »

[1]

Ainsi, légiférer pour une levée de l’anonymat ne répondrait au besoin que d’une faible proportion des personnes concernées par le don. Mais comme cette levée s’accompagne de potentiels risques, cela pourrait amener à pénaliser l’ensemble de cette population.

Quelles conséquences redouter ?

« La suppression de l’anonymat pourrait inciter à garder le secret et irait à l’encontre de la possibilité de connaître l’identité du donneur, l’enfant étant dans l’ignorance de son mode de conception. »

[1]

Tous les acteurs du débat s’accordent pour énoncer qu’il est primordial pour le développement de l’enfant que son mode de conception lui soit révélé. Or, redoutant que leur enfant accède à l’identité de son géniteur, les parents pourraient être amenés à lui mentir sur son origine, alors qu’il ne l’aurait pas fait en présence d’un anonymat total défendu par la loi.

Un exemple fréquemment invoqué pour cet aspect est celui de la Suède, pays où l’anonymat a été levé en 1985, dans lequel une étude réalisée dans les années 2000 fait état de seulement 18% de couples révélant leur mode de conception à leurs enfants [2]. La conséquence semble frappante : alors qu’ils en ont la possibilité depuis 2001, seul un enfant né d’un don a demandé l’identité de son géniteur. (voir Qu’en pensent les autres pays ? pour plus de précisions.)

« La nécessité d’un geste altruiste exclut toute motivation financière »

[3]

L’expérience des pays étrangers ayant opté pour une levée de l’anonymat amène également à redouter la fin du principe de gratuité du don. Aux États-Unis comme en Espagne, le don est subventionné. Et quand bien même le don dans le cadre fixé par l’Etat resterait gratuit, il y a un risque important de développement de « tourisme procréatif » – l’acte de se rendre dans un pays étranger pour réaliser un don – ou du recours à des banques étrangères faisant commerce du don, comme le site http://www.co-parentmatch.com créé en Angleterre peu après le changement de loi en 2005. La fin de la gratuité n’est pour beaucoup pas souhaitable, car elle change profondément les motivations du don, et peut entraîner des mensonges de la part du donneur sur ses informations personnelles, nouvelle source de risques pour la sécurité sanitaire.

« Money corrupts. If you feel you can make £200 a week for four months, you might hide things about your health. »

[4]

         De plus, la fin du principe d’anonymat pourrait avoir pour conséquence une baisse du nombre de donneurs, déjà trop faible pour assurer la demande en France, toujours plus élevée chaque année ; et soulève de nombreuses questions sur l’avenir du don de gamètes. Aussi, les files d’attente de presque deux ans en Angleterre poussent-elles le pays à s’interroger sur l’augmentation du nombre d’enfants par donneurs, ou l’augmentation de la gratification compensatoire accordée lors d’un don, alors qu’en 2005 la banque de sperme du pays ne comptait que 9 donneurs inscrits. [5]

« Si l’anonymat était levé, 60 % des hommes renonceraient à donner leur sperme. »

[4]

Enfin, si les parents gagnent la possibilité de choisir leur futur donneur, cela entraînerait une sélection basée sur ses caractéristiques physiques et intellectuelles, qui pourrait s’apparenter à de l’eugénisme positif.

« L’anonymat permet non seulement qu’il ne soit pas saisi par l’argent, mais encore d’éviter toute démarche de sélection de leur donneur par les couples »

[6]

[1] Bujan, Louis. (2010). Anonymat et don : un projet de loi sans vraies réponses, mais avec de trop nombreuses questions. Basic and Clinical Andrology, 20(4), 239‑242.
[2] Gottlieb C, Lalos O, Linblad F (2000) Disclorsure of donor insemination to the child: the impact of Swedisch  legislation in couple attitudes. Hum Reprod 15: 2052–6
[3] La Fédération française des Cecos, Kunstmann, J.-M., Jouannet, P., Juillard, J.-C., & Bresson, J.-L. (2010). En France, la majorité des donneurs de spermatozoïdes souhaite le maintien de leur anonymat. Basic and Clinical Andrology, 20(1), 53‑62.
[4] Campbell D (août 2010) Egg and sperm donors may get thousands of pounds in fertility plan. The Guardian.
[5] Elgot, J. (août 2015). UK sperm bank has just nine registered donors, boss reveals. The Guardian. Consulté à l’adresse https://www.theguardian.com/science/2015/aug/31/britains-national-sperm-bank-wants-men-to-prove-their-manhood
[6] Legras, C. (2010). L’anonymat des donneurs de gamètes. Laennec, 58(1), 36

L’enfant au centre du débat

©Sarah Kleinmann

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la volonté de lever l’anonymat ne fait pas l’unanimité même parmi les enfants issus d’un don de gamètes. Les arguments avancés dans les deux sens du débat s’appuient sur le respect et la protection de l’enfant, tout en s’opposant cependant.

D’un côté, il s’agit d’éviter de perturber l’enfant avec un géniteur qui n’est pas son père. On ne veut pas prendre le risque d’immiscer en lui une confusion entre le lien biologique et le lien familial.

Préserver l’anonymat du donneur permet d’empêcher l’enfant de s’attacher à un individu ne souhaitant pas s’engager dans la vie de ce dernier, éviter de le mettre dans une situation de rejet du donneur difficile à vivre psychologiquement.

C’est pourquoi, par exemple, la personne de l’ADEDD que nous avons interviewée prévient que si l’anonymat vient à être levé, il faudra en conséquence développer des organismes et des méthodes  pour accompagner les enfants frustrés par la découverte de leur donneur. Cette personne est issue d’un don de gamètes et nous a concédé que de nombreuses questions avaient germé en elle quand elle l’a appris, après ses 20 ans.

D’un autre côté, on peut soutenir que l’enfant souhaite en connaître plus sur son donneur car celui-ci est étroitement lié à sa conception même, donc représente une partie de son histoire. Quand bien même son lien avec le donneur n’est-il que biologique, connaître celui qui lui a transmis ses caractères a un poids important dans la construction personnelle de l’enfant. Pour se construire, se découvrir soi-même et évoluer, il est bon de comprendre précisément son origine.

En effet la sociologue Irène Théry souligne dans son article Don de gamètes, cellules reproductrices humaines : qu’est ce qui justifie l’anonymat ? [1] que certaines personnes « ressentent un malaise dans l’idée qu’une partie de l’histoire de leur conception est manquante et qu’elle se résume à une éprouvette contenant un matériau biologique. »

« Il ne s’agit pas seulement de connaître son patrimoine génétique, mais de pouvoir s’inscrire dans une lignée humaine. »

— Irène Théry

Et ce, sans parler des risques de maladies génétiques qui pourraient concerner l’enfant à son insu.

Aussi ne suffirait-il pas de délivrer des informations non personnalisantes, d’une part parce que cela ne satisferait pas tous les besoins évoqués ci-dessus, d’autre part parce que cela risquerait au lieu de satisfaire la curiosité de l’enfant de l’attiser plus encore et de ne donner lieu ensuite qu’à une plus grande frustration et sentiment d’injustice.

[1] Irène Théry. (février 2018). Don de gamètes, cellules reproductrices humaines : qu’est-ce qui justifie l’anonymat ?. L’Humanité, Tribune Idées.

L’équilibre familial menacé ?

©Sarah Kleinmann

« L’anonymat permet à chaque personne qui a recours à ces techniques de trouver sa place : l’enfant – qui a deux parents et pas trois –, les parents et les donneurs »

— Christophe Masle, président de l’Association des enfants du don.

Selon une étude menée par les CECOS, 90% des parents ayant recours à un don sont pour le maintien de l’anonymat [1]. Comment expliquer un avis si catégorique ?

De nombreux témoignages de parents ou d’enfants semblent évoquer la menace potentielle que le donneur pourrait exercer sur l’équilibre de leur famille. La peur que le parent génétique supplante totalement pour l’enfant celui qui l’a élevé semble assez illusoire, mais les familles craignent toutefois que la présence de cette « troisième personne » puisse fragiliser leurs liens.

Nombreux sont les témoignages, de parents comme d’enfants, allant dans ce sens : «Je pense qu’il est très difficile pour un père d’accepter sa stérilité. Ma famille a néanmoins réussi à s’épanouir parce que mon père a été rassuré de savoir qu’il serait mon père à part entière sans risque qu’un jour une tierce personne s’immisce dans notre vie. » [2]

Il n’est pas ici question que le donneur s’affirme comme « vrai » parent de l’enfant, ce dernier n’ayant aucune filiation juridique avec lui, mais les personnes concernées redoutent surtout que cela créé de la confusion, que cela nuise à la stabilité de la famille.

« Pour mon père, ça a été très dur d’assumer sa stérilité, alors je n’imagine pas comment il aurait pu vivre dans l’ombre d’un donneur. »

[3]

Des psychologues soulignent également une position difficile pour les parents, qui peuvent avoir l’impression de manquer de légitimité, ou qui ont peur que leurs enfants ne les reconnaissent pas comme ce qu’ils sont.

« [Si mes enfants] me parlaient de la donneuse comme de leur « vraie maman », ça me tuerait. »

[3]

Dans ces cas, l’anonymat du donneur et sa réduction au simple acte du don, bien que très généreux, permettrait de diminuer son impact au sein de la famille.

Néanmoins ces ressentis sont très subjectifs et dépendent fortement des individus, il convient de rappeler que dans une grande majorité des cas, les familles construites autour d’un don n’ont aucun de ces problèmes et arrivent très bien à s’accepter et s’épanouir dans leur spécificité.

[1] Merviel, P., Cabry, R., Lourdel, E., Brzakowski, M., Maerten, I., Berthe, E., Hermant, A. (2011). Faut-il vraiment lever l’anonymat des dons de gamètes en France ? Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 39(2), 67‑69.
[2] Intervention de l’A.D.E.D.D. à la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. | Association des enfants du don. (s. d.). Consulté en avril 2019, à l’adresse https://www.adedd.fr/2011/01/intervention-de-la-d-e-d-d-a-la-commission-speciale-chargee-d%e2%80%99examiner-le-projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique/
[3] «L’histoire de l’infertilité de mes parents, c’est aussi la mienne». (2012, juin 14). Consulté en mai 2019 , à l’adresse Libération.fr : https://www.liberation.fr/societe/2012/06/14/l-histoire-de-l-infertilite-de-mes-parents-c-est-aussi-la-mienne_826056

Une question d’équilibre

Parmi les différents acteurs de cette controverse, chacun a un point de vue différent sur la question de la levée de l’anonymat et les conséquences qui en découleraient.

Les enfants nés du don réclament le droit de connaître leur origine, comme le donneur fait partie de leur histoire même s’il ne fait pas partie de leur vie. Ce manque dans leur histoire peut être source de souffrances psychologiques.

À l’opposé, les donneurs restent en majorité pour l’anonymat, argumentant que leur acte est avant tout altruiste et qu’ils ne souhaitent pas entrer dans la famille de l’enfant. Les soutenant, les CECOS craignent que sans la garantie de l’anonymat, de nombreux donneurs prendraient peur et que le nombre de dons – déjà largement insuffisant face au nombre de demandes – diminuerait d’autant plus.

La population devient pour sa part plus ouverte sur ces sujets et est en faveur d’une levée de l’anonymat, notamment pour des raisons médicales. Cependant certains argumentent qu’une levée de l’anonymat pousseraient les parents à mentir à leur enfant sur leur mode de conception – ce qui nuirait encore plus à l’enfant, notamment s’il le découvre une fois adulte.

Avec ces différents profils, tous impactés à leur manière par la levée de l’anonymat, comment faire pour assurer l’équilibre global entre un équilibre familial, un équilibre identitaire pour l’enfant et l’équilibre d’un modèle français ?

menacé L’équilibre familial L'enfant au centre du débat Des conséquences à redouter

Que dit la loi ?

©Sarah Kleinmann

Les principes éthiques restent constants tout au long des révisions des lois de la bioéthique : 

Le don est soumis au consentement du donneur. Dans le cas du don de gamètes, les donneurs doivent être en couple et leur conjoint(e) doit aussi donner son consentement, révocable à tout moment.

Le don est gratuit : pas de rémunération, cependant les donneurs bénéficient de la  prise en charge des frais occasionnés par le don.

Le don est anonyme. De plus, aucune filiation ne pourra être établie entre l’enfant issu du don et le donneur ou la donneuse.

« Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait le don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Il ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’en cas de nécessité thérapeutique »

— Article L1211-5 du Code de la santé publique

La loi de 2004 définit les conditions à réaliser pour pouvoir être donneur de gamètes. Ce dernier doit être âgé de moins de 45 ans pour les hommes, moins de 37 ans pour les femmes. L’opération est sensiblement plus lourde pour une femme que pour un homme et le don est aujourd’hui limité à 10 enfants pour un même donneur.

Elle précise aussi qu’il est interdit de concevoir des embryons à partir d’un double don de gamètes : une partie des gamètes doit provenir d’un des membres du couple. Finalement, la loi de 2004 a prévu la création de l’Agence de biomédecine.

La révision de la loi de 2011 a permis de redéfinir les règles du don. Toute référence au statut juridique des couples (ainsi que la mention d’une durée de vie commune minimale pour les couples non mariés) a été supprimée. De plus, la possibilité que le donneur majeur n’ait pas procréé a été introduite en 2016 pour élargir et rajeunir le vivier des donneurs potentiels.

« L’assistance médicale à la procréation (AMP) est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple dans trois situations :
— une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée
— le risque de transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité
— le risque de transmission à l’un des membres du couple, lors de la conception de l’enfant, d’une maladie d’une particulière gravité. »
Rapport de 2018 de l’Agence de Biomédecine [1]

Ces situations ont été définies lors de la loi de 2004.

Les couples bénéficiaires de l’AMP doivent être formés d’un homme et d’une femme, tous deux en âge de procréer et vivants. Toute démarche d’AMP peut être interrompue par le décès d’un membre du couple, ou encore par une requête en divorce ou en séparation de corps, ou la révocation par écrit du consentement d’AMP par un des membres du couple.

[1] Agence de la biomédecine. (janvier 2018). Rapport sur l’application de la loi de la bioéthique.