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LA CRISE DE 1987

10 ans avant la retentissante faillite de LCTM, conseillée par Myron Scholes et Robert C. Merton, des critiques de leur modèle avaient déjà jailli et ouvert la voie à des recherches sur d’autres formes de modélisation.

Le déclenchement du krach.

Après une longue augmentation du taux de change du dollar entre 1979 et 1985, les pays du G7 décident d’orchestrer un repli du dollar. En 1987, ces mêmes pays décident de stabiliser le dollar. Mais l’économie américaine, alors en plein boom, connait une forte augmentation du cours des actions. Du fait de ces tensions, à partir de janvier 1987, les taux d’intérêts augmentent. Il devient ainsi plus rentable de disposer de bons du trésor que d’actions alors que celles-ci comportent un risque plus élevé. Le krach est inévitable. Il intervient le 19 octobre par la révélation d’un déficit commercial plus important que prévu aux Etats Unis et le relèvement des taux de la banque centrale allemande. La grande originalité de cette crise est son confinement à la finance. En effet malgré son ampleur l’économie réelle ne fut pas touchée (sans doute grâce à la prompte réaction d’Alan Greenspan, gouverneur de la FED depuis quelques mois seulement).

Black & Scholes dans ce Krach.

Bien que le modèle brownien ne soit pas la cause de cette crise. Il y a tout de même contribué. La pierre d’achoppement du modèle qui fit vaciller la finance mondiale est la conception d’une continuité des cours et de la volatilité. D’après George Soros : « Si il y a un montant exceptionnel de « dynamic hedging »(ou réserve dynamique) à faire dans la même direction alors les variations de prix peuvent devenir discontinues. Cela soulève le spectre de la dislocation de la finance. Ceux qui ont besoin de s’engager en dynamic hedging, mais ne peuvent exécuter leur ordres, subissent des pertes catastrophiques. C’est ce qui est arrivé en 1987. » L’une des hypothèses de base de la théorie de Black-Scholes est ainsi remise en cause en temps de crise. Mais ce n’est pas la seule. Dès 1989, Clarkson et Plymen critiquent l’hypothèse de stabilité et la rende responsable de l’amplitude des troubles du black Monday.

Certains observateurs accordent pourtant une part beaucoup plus centrale des théories de Black, Scholes et Merton dans le déroulement de cette crise. D’après Rama Cont, directeur de recherche en probabilité au CNRS, c’est la technique de « l’assurance de portefeuille » qui est la cause du chaos de 87. Dans un article de Pour la science de janvier 2009, il y décrit précisément son interprétation du processus.

« Un grand nombre de gérants de fonds américains s’étaient mis à utiliser cette nouvelle technique de gestion. Elle consiste à diminuer les parts dans un fonds lorsqu’il baisse en valeur et à les augmenter lorsque sa valeur remonte, dans des proportions précises calculées à partir de la volatilité du fonds. Selon les hypothèses du modèle de Black-Scholes, cette technique permet d’assurer le gérant contre la baisse de son fonds. Mais elle conduit à une spirale d’instabilité : en octobre 1987, une baisse initiale des prix a provoqué des ordres de vente, ce qui a engendré une nouvelle chute des prix, ce qui a à son tour accéléré le flux des ordres de vente donc accéléré la chute des prix... jusqu’au krach du 19 octobre. Aucune nouvelle économique particulière ne déclencha la crise: ce sont les stratégies de gestion des opérateurs de marché qui ont amorcé la chute du marché. »

Les différents acteurs, malgré des points de vue différents sur le rôle du tout jeune modèle de Black-Scholes, tirèrent des enseignements semblables sur la nature des marchés financiers : La probabilité d’évolution brusque des cours avait été largement sous-estimée Il est impossible de construire une option sur le marché d’échange en achetant le marché lui-même (en effet, quand vous avez le plus besoin de vendre, c’est précisément le moment où tout les intervenants vendent) Malgré ces conclusions partagées sur le fonctionnement des marchés, les manières d’envisager sa modélisation furent très différentes.

Les conséquences de la crise sur le modèle de Black-Scholes

La grande majorité des acteurs choisit de conserver la conception du mouvement brownien et ne chercha qu’à perfectionner les éléments concernant la continuité des cours et la constance de la volatilité. Le modèle était atteint, mais pas vaincu. Les adeptes de la conception brownienne permirent au modèle de survivre dans des formes qui pendant plusieurs années se révéleront efficaces et rentables. Cette mutation est assimilée par Christian Walter à celle d’un virus qui, confronté à un environnement difficile, évolue pour survivre. Cette mutation est capitale tant pour le modèle que pour la place qu’il occupe dans la littérature spécialisée. En effet, une fois que l’une des hypothèses fondatrice a été revue, s’agit-t-il toujours du modèle, d’un modèle parent ou bien d’un modèle différent ? Les documents, tant journalistiques que professionnels, qui nous furent accessibles ne permettent pas de clore cette question. Aujourd’hui encore, l’existence même de Black Scholes reste en suspend. Est-ce une formule désuète ou le centre d’un modèle tout puissant ? La seule certitude est le noyau brownien sur lequel il s’appuie. Face à cette solution d’évolution dans la continuité, plusieurs voix s’élevèrent pour prôner une rupture radicale. Il fallait remplacer le noyau brownien beaucoup trop « sage » par une modélisation du hasard incluant les périodes de forte volatilité. La principale alternative avait déjà été décrite en 1963 par le mathématicien Mandelbrot. Il choisissait d’inclure la non-linéarité des cours en revoyant les hypothèses de stabilité. Dans ce modèle fractal, le temps est divisé en deux types de périodes :les périodes calmes et les périodes de chaos.

Sources :

Controverse Mathématiques & Finance. Haut de page.
GILLET, LETOURNEAU, MAGNIEN, MARCILHACY, VYARAVANH-GIRARD