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Interview de Christian Walter.

Le problème des mathématiques en finance est vaste, comment pensez-vous pouvoir l’aborder ? Selon vous d’où vient le problème ?

CW : Tout d’abord il me semble intéressant de revenir sur l’importance du vocabulaire. Quand vous dites « défaut de payement » savez vous de quoi vous parlez ? Ce n’est pas un défaut mais un risque de non remboursement. Pour voir cela il y a deux écoles : les nominalistes et les non-nominalistes. Les premiers pensent que les mots ne comptent pas, seul ce qui est derrière importe alors que les seconds affirment qu’en changeant les noms des choses, on peut changer la vision du monde. Le nominalisme en finance fait qu’on ne sait pas de quoi on parle, le problème c’est qu’on a détaché la finance du monde réel, grâce aux maths. Les maths sont intermédiées par les cultures (langues), et les financiers utilisent leur « jargon » et ne se rattachent pas au monde réel. Ce qui importe ce n’est plus d’être précis. Ceci se retrouve encore plus marqué en France où les professeurs de finance n’ont pas accès au monde professionnel. En physique il y a un monde réel derrière les cours théoriques, pas en finance, on fait des singes savants qui maitrisent des concepts mais ne se réfèrent pas au monde. Mais c’est un problème qui reste assez français, pas global.

Mais pourtant les problèmes comme la dernière crise ne viennent pas que de la France, bien au contraire…

CW : Tout à fait, selon l’école américaine le monde est incertain, la question est alors : qu’en fait-on ? Comment pense-t-on cette incertitude ? Pour cela on a choisi un modèle brownien. Tout est réduit à deux variables (espérance, variance) mais c’est faux, la finance n’est pas brownienne. Et on remet en cause ceci que depuis trop peu de temps. Aujourd’hui on pense encore qu’il existe une limite continue de l’évolution, dans laquelle on pourrait alors toujours couvrir les risques « à la limite ». Mais le monde financier résiste au modèle brownien, c’est l’écart entre modèle et la réalité et qui explique les pertes. Il faut supprimer cette vision brownienne dans les modèles, il a été montré qu’il existait d’autres modèles biens meilleurs. Des modèles qui ne sous évaluaient pas les risques, ils ont toujours été rejetés par les américains, il serait peut être temps de les utiliser. Mais les politiques aussi ont une représentation brownienne de la finance. Par exemple, Guénot pense qu’il faut rajouter de la morale dans la finance mais ne dit jamais que l’on va changer les modèles. Donc selon lui l’outil mathématique est globalement neutre, c’est ce qu’on en fait qui est bien ou mal, mais pas en finance, on se trompe de cible.

Mais si les modèles ne peuvent que faillir dans la représentation de l’incertitude pourquoi ne pas réduire ces modèles ? D’autre part la formule de David Li n’est-elle pas celle qui est allée trop loin ?

CW : Les modèles mathématiques passent dans la finance par performivité. S’ils sont utilisés c’est qu’ils présentent un intérêt pour celui qui les utilise, donc on en aura toujours besoin. D’autant plus qu’il faut toujours un calcul, établir un prix de marché c’est déjà effectuer un calcul, la finance est faite de ça, sans les calculs mathématiques, pas d’échanges. Pour ce qui est de David Li, il a simplement utilisé une distribution gaussienne pour calculer des corrélations. On parle de risque de couplage, il faut lier le risque de non remboursement d’un individu à celui des autres. Li propose comme modèle de risque les copules, il faut les choisir et ce choix est terriblement engageant. En choisissant des copules gaussiennes tout devient mathématiquement plus simple. Grâce à ces copules on a prêté énormément d’argent en pensant réduire les risques, mais ils sont toujours là ! En fait on ne peut pas faire concret et simple, ce que j’appelle le virus B c’est justement de croire que cette copule est gaussienne. Pour résoudre les problèmes de la finance, il ne sert à rien de réguler, de taxer, il faut changer le modèle.

Tout devient alors un problème d’éthique ou de morale ?

CW : Des modèles concurrents n’ont pas été acceptés. Dans tous les cas on en revient au monde. David Li, mais également Scholes et tous les inventeurs de modèles ne diront jamais qu’ils se sont trompé, on ne peut pas les punir et cela constitue un autre problème. La société SMABTP (assurance dans le BTP) a traversé la crise sans problèmes parce que justement j’y avais retiré les éléments browniens dans les calculs. De toute façon on donne aux gens des règles du jeu qui sont pathogènes ! Mais je le répète il n’y a pas de finance sans maths. En reprenant la théorie des 4 causes d’Aristote (matérielle, formelle, efficiente et finale), le modèle serait la cause formelle de l’échange. Et dans ces modèles qu’est-ce qui va avoir de l’importance ? C’est moins la syntaxe que la sémantique.

Et alors, les maths ont-elles tué la finance ?

CW : Non, à condition qu’on ait dans les maths une bonne vision de l’incertitude.

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GILLET, LETOURNEAU, MAGNIEN, MARCILHACY, VYARAVANH-GIRARD