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Compte rendu d'interview

Romain Delacretaz
CEO de l'Institut de la Bourse


De prime abord, cette crise est elle due à l'usage croissant des mathématiques dans la finance?
R.D.: Tout d'abord si on consulte les résultats des traders sur l'année 2009 ceux qui ont le mieux réussi travaillent tous sur des fonds quantitatifs et utilisent donc massivement les outils mathématiques. Par exemple James Simons du fond Renaissance qui avec son équipe de mathématiciens engrangea plus de 2,5 milliards de dollars. C'est grâce à son usage de la finance quantitative qu'il reste le meilleur trader de la planète en augmentant ses gains par rapport aux années précédentes malgré la crise. La finance quantitative n'est qu'un outil qui d'ailleurs ne présente que 15% des volumes. Elle n'est donc pas une cause de la crise. On peut comparer la finance quantitative à la météorologie. Le but est de prévoir les évolutions futurs en fonction des comportements antérieurs et de modèles mathématiques subtils. Mais ce n'est pas la météorologie qui est responsable des intempéries. Pour preuve prenons les variations du cours du S&P500. On constate clairement que la différence la crise due à l'implosion de la bulle internet et celle que nous vivons actuellement sont extrêmement semblables, tant dans l'amplitude que dans la vitesse d'évolution. Et pourtant entre les deux la finance quantitative s'est considérablement développée.

Le développement de la finance quantitative n'a donc aucune action sur les cours.
R.D.: Sur les cours assez peu. Par contre avec le développement des outils mathématiques, les transactions se font automatiquement et le volume des transactions augmente très vite plusieurs années. Cette courbe montre l'évolution hebdomadaire du volume d'opérations sur le tracker du Nasdaq depuis 2001. On constate ainsi que lors de la crise précédente aucune augmentation significative des volumes ne peut être constaté au contraire de l'automne 2008. Une autre conséquence de la mathématisation de la finance est l'augmentation de la volatilité, et ce surtout pendant les périodes de forte tension sur les marchés. Sur l'évolution de l'indice de volatilité du marché américain on constate qu'à chaque époque de crise la volatilité augmente fortement. Mais l'augmentation vécue pendant les événements de 2008 fut sans commune mesure avec ce que nous avons vécu précédemment. Pour conclure la finance quantitative a sans doute contribué à accentuer l'amplitude et la la rapidité de diffusion de la crise mais en aucun cas à l'engendrer .

Pourtant cette crise semble avoir plus de conséquences sur l'économie que l'explosion de la bulle internet.
R.D.: La crise de de 2008 est aussi grave pour les banques que ne le fut celle de 2001 pour les entreprises du secteur de l'internet. L'unique différence est que les banques ont une place centrale dans l'économie . Les conséquences furent donc plus palpables pour la population. En observant les indices des banques et les indices de sociétés de nouvelles technologies, il est aisé de comprendre le parallèle.

La graphique supérieur représente les variations du NASDAQ (indice des nouvelles technologies) depuis 20 ans. La seconde représente l'indice des banques depuis 10 ans

Les crises sont un phénomène naturel de régulation du marché. Tous les 6 ans environ une nouvelle crise plonge le monde financier dans un marasme vite oublié car la croissance reprend toujours très vite. Les crises sont donc prévisibles. Ce que l'on ignore c'est le domaine qui va être touché.

D'après vous, l'avenir de la finance quantitative n'est donc pas compromis.
R.D.: Pas du tout. Bien au contraire elle prendre un essor majeur durant les prochaines années. Ces avantages sont indéniables. Elle permet de diminuer au maximum le poids de l'émotion chez les traders.

Comment expliquer la crise que nous traversons?
R.D.: L'élément déclencheur est bien entendu le gel des prêts interbancaires causé par l'effondrement du marché immobilier aux États-Unis. Mais ceci n'est pas la cause profonde de cette crise. L'explication est une mauvaise interprétation des modèles et un excès de confiance de certains intervenants. Ceux qui utilisaient des modèles aveuglement et sans comprendre leurs limites furent ceux qui sombrèrent dès les premiers mois de la crise. A l'inverse même sur les marchés les plus touchés comme celui des subprimes, les traders avisés augmentèrent leurs profits. John Paulson engrangea ainsi pour son fond plus de milliards de dollars grâce à des prises de position baissières sur les grandes banques internationales et surtout grâce à ses achats massifs de CDS sur les valeurs financières
Il faut savoir que depuis plusieurs années se développe les marchés non régulés. De plus de transactions se font en dehors des places de marché conventionnelle.
Un place de marché comme le NYMEX à New York a la responsabilité de s'assurer de la sécurité des transactions effectuées. Elle demande donc à ceux qui sont fragiles de fournir la somme qui permettrait de remplir les conditions du contrat si l'intervenant venait à disparaître. Sur ces places de marché le défaut de paiement est donc impossible.
Par contre sur les marchés OTC (over the desk) qui se font de gré à gré, cette sécurité n'existe pas.
Les intervenants y sont moins scrupuleux et le risque de défaut de paiement est relativement fort.
Des acteurs qui ne présentent pas assez d sécurité pour opérer sur les marchés classiques se reportent donc sur ces marchés OTC. Les CDS (credit default swap) étaient des produits OTC. On a ainsi crée des produits dérivés sur des sous-jacents qui n'avaient pas de valeur. Cela revient à parier sur de l'argent qui n'existe pas.

Comment endiguer ce phénomène?
R.D.: La solution est purement politique. Certains gouvernement souhaitent mettre en place des taxes sur les opérations de marché. Mais taxer la partie saine de la finance ferait fuir les capitaux vers les marchés OTC accentuant ainsi les risques d'effondrement. La réelle solution serait de réguler les marchés OTC en limitant au maximum leurs domaines d'action. Pour cela les états européens devraient s'inspirer de l'attitude américaine qui interdit de nombreuses formes de produit OTC. La logique de spéculation en Europe est moins saine que celle pratiquée aux Etats-Unis.

Une évolution radicale des modèles mathématiques vous semble donc inutile.
R.D.: Les modèles évolueront progressivement. Il ne reflète en aucun cas une réalité. Ils ne sont que des outils pour anticiper l'avenir. Si ceux qui sont actuellement en cours ne sont plus assez efficaces, ils disparaitront et d'autres modèles émergeront.

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GILLET, LETOURNEAU, MAGNIEN, MARCILHACY, VYARAVANH-GIRARD