Une mise en contexte de la controverse

Bien que pouvant prêter à sourire au premier abord, la question de la sensibilité animale demeure néanmoins une question importante en ce qu'elle soulève de nombreux problèmes biologiques, mais également éthiques et surtout juridiques.

        En effet, si l'on s'en tieLa sensibilité des agneauxnt à la définition première du Code Civil, l'animal est un « bien meuble » dont la sensibilité semble être totalement ignorée. Cette première définition de l'animal, héritée du concept d'animal-machine proposé par Descartes, ne semble plus être en accord avec notre conception actuelle de l'animal. Plus que de simples biens de production, la plupart des animaux semblent dotés d'une conscience cognitive relativement poussée leur permettant d'être sensibles à leur environnement et d'appréhender la souffrance.
Par ailleurs, suite à l'individualisation des mœurs l'animal de compagnie peut être dans notre société le seul compagnon d'une personne. Comment ne pas alors prendre en compte sa sensibilité ? Par ailleurs que doit-on comprendre dans cette notion de sensibilité ? S'agit-il d'une simple conscience de la souffrance ? Aux yeux des scientifiques, il existe trois degrés de sensibilité : la nociception (capacité à réagir à un stimulus), la douleur et la souffrance.
Pour la plupart des associations de défense des animaux : tous les animaux capables de ressentir la souffrance sont des êtres sensibles et doivent être reconnus comme tels par la loi. Cela peut amener à définir une notion de bien-être animal (« animal welfare » en anglais) qui est le résultat d'une prise en compte de cette sensibilité et qui vise à chercher à n'infliger aucune souffrance évitable à l'animal (i.e étourdir les bêtes avant de les abattre par exemple...).

 

         Cette question de la sensibilité animale a été abordée dès le XIXe siècle et a abouti à quelques changements de la loi afin de mieux appréhender cette notion complexe. Cependant ces changements restent minimes et l’intérêt pour le sujet est relativement récent. Il a fallu ainsi attendre 1982 pour observer un réel intérêt de la part de la communauté scientifique sur ces questions de la souffrance animale (« animal suffering » en anglais) et du bien-être animal (« animal welfare »). Avant cette date, il existait bien sûr quelques publications, mais elles restaient marginales, comme le montre le graphe ci-dessous .

         La plupart des articles scientifiques publiés sur le sujet dans les dix dernières années sont essentiellement des articles vétérinaire (40%), de neurosciences (20%) ou de zoologie (12%) (Source Web of Knowledge). Cela peut traduire un intérêt utilitariste de l'animal : il serait l'objet d'études en raison des questions soulevées par l'expérimentation animale. En ce qui concerne les bases plus généralistes (telles que Cairn.info), leur analyse montre que la plupart des articles sont des articles de sociologie ou de psychologie. La répartition des articles entre 1977 et 2012 montre une répartition très différente selon les années. Il y a ainsi peu d'articles avant 1990 (seulement 3) et de nombreux articles entre 2007 et 2011 (en moyenne 120 par an).

         D'autre part, en ce qui concerne les articles scientifiques, si seulement  150 articles ont été publiés dans le monde sur le sujet en 1994, ce sont plus de 500 en 2012, sans que la proportion globale d'articles émis dans le même temps augmente considérablement !


 

Nombre d'articles traitant de "animal welfare" par année (sur Web of Knowledge):
Nombre d'articles traitant de "animal welfare" par année

Nombre d'articles traitant de "animal sensitivity and legislation" par année
(sur Web of Knowledge)
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Nombre d'articles traitant de "animal sensitivity & legislation" par année
 
 

Par ailleurs, cette préoccupation n'est pas spécifique à la France, puisque la question de la souffrance animale est abordée aux Etats-Unis (25% des articles publiés ces 10 dernières années) et en Allemagne (16% des articles).

Ces questionnements ne concernent pas seulement la communauté scientifique et juridique mais l’ensemble de la population.
 
            Suite à cet engouement scientifique, plusieurs acteurs (aussi bien des scientifiques que des juristes ou des philosophes) pensent qu'il est indispensable de réformer la loi (ou du moins d'homogénéiser les différents textes) afin de prendre en considération cette notion de sensibilité animale. Néanmoins de tels changements ne sont pas aisés à mettre en place et peuvent soulever d'importants problèmes éthiques. En effet jusqu'où faut-il aller dans la prise en compte de cette sensibilité ? Doit-on faire de l'animal un égal de l'homme ou convient-il de maintenir une certaine distance entre les deux ?
            C'est pourquoi, dans le cadre du cours de description de controverses proposé par l'école des Mines de Paris, nous avons décidé de comprendre en quoi les découvertes scientifiques récentes sur la sensibilité animale pourraient amener à un changement de son statut juridique. Nous avons également tenté d'analyser les conséquences éventuelles d'un tel changement.
 
            Nous allons donc tenter d'analyser la situation actuelle aussi bien d'un point de vue juridique que scientifique avant d'étudier, au vu des découvertes scientifiques actuelles, les multiples solutions envisagées et les conséquences que leur mise en application entrainerait.