En quoi restent-elles contestables?

La mise en place d'un nouveau contexte juridique, plus à même de défendre les animaux, se heurte cependant à un certain nombre d'obstacles. En effet, cela n'entre pas dans les intérêts de tout le monde. Quels sont ces obstacles ? Qui s'oppose à la modification de la loi et pourquoi ?

 

POLITIQUE

La défense des animaux n'entre pas dans les intérêts de certains groupes très puissants en France (agroalimentaire, chasseurs/pêcheurs, ...). De ce fait, ces groupes font du lobbying afin de ralentir, voire d'empêcher l'évolution de la législation. Dès lors, il devient plus délicat de modifier la loi.
 
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De même que des défenseurs de la cause animale se sont regroupés pour créer des groupes de pression en faveur de leurs convictions, d'autres se sont regroupés pour créer des groupes de pression contre. Qui sont-ils ? Ce sont tout simplement les individus, associations ou entreprises qui profitent de la situation actuelle. Il s'agit donc par exemple des chasseurs/pêcheurs qui représentent un lobby relativement puissant en France. De ce fait, l'animal sauvage ne possède pas le statut d'être sensible. Ainsi, il suffit qu'un animal soit relâché d'une exploitation d'élevage, pour qu'on puisse lui faire absolument ce que l'on veut.Gavage des canards

Par ailleurs, l'industrie agroalimentaire, et notamment le lobby de la viande, est contre le changement de la législation actuelle qui les empêcherait de faire ce qu'ils font actuellement dans leurs élevages (cf. l'exemple du gavage des canards ci-contre), qui deviendrait alors illégal. C'est le cas par exemple de la castration des porcs, qui se fait actuellement sans anesthésie, ou bien le débecquage des poules, également fait sans anesthésie, alors que ces pratiques sont extrêmement douloureuses pour les animaux en question. Un changement de la loi les obligerait à adopter de nouvelles méthodes plus respectueuses des animaux telles que l'anesthésie mais elles seraient de ce fait plus délicates à mettre en oeuvre et donc plus chères. Cela affecterait ainsi le chiffre d'affaire des géants de l'alimentation et nuirait à leurs intérêts.

 

« On minimise  la  souffrance  causée  aux animaux, mais dans les limites                    posées par  les besoins de  leur  exploitation. »
Lyne LETOURNEAU

Enfin, les scientifiques qui doivent effectuer des expériences sur les animaux,Expérimentation sur des souris et qui dans cette mesure peuvent potentiellement les faire souffrir, sont contre certaines évolutions de la législation. En effet, même s’ils sont conscients de la sensibilité animale, dès lors qu'un changement de la loi pourrait les empêcher de travailler correctement, les scientifiques ne sont pas très disposés à faire des concessions. D'autant plus que, comme nous l'a fait remarqué Aurélie MENERET avec insistance, l'utilisation d'animaux dans leurs expériences joue un rôle clé. En effet, il est crucial d'effectuer des tests afin d'étudier les effets d'une substance par exemple. Or, les risques encourus sont trop importants pour que les tests soient effectués sur des êtres humains. Une autre méthode serait d’utiliser des modèles numériques sur ordinateur. Cependant certains scientifiques ne font pas confiance aux résultats trouvés et préfèrent des tests sur modèles vivants.

Quelques acteurs partageant cette position se sont alors regroupés afin de former le Comité Noé, lobby contre l'évolution de la législation concernant les animaux.



PHILOSOPHIQUE
 

Le passé philosophique français, maintenant gravé dans notre culture, ne laissant à l'animal qu'une place secondaire est un frein à l'acceptation des nouvelles découvertes sur la sensibilité animale. La population garde donc ses habitudes alimentaires.

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La grande majorité des français reconnaissent le caractère sensible des animaux, ainsi que la nécessité de les protéger. Cependant, notre héritage philosophique dans lequel la protection animale n'est pas la première des préoccupations, garde une influence non négligeable sur la pensée de nombre d'entre eux.

En effet, la conception chrétienne du monde, au sein de laquelle l'homme possède une position centrale, supérieure à tout le reste de la création, est plutôt encline à encourager l'exploitation des animaux. Ceux-ci auraient été créés afin de servir les hommes : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. » (Genèse 1.26). Il s'agit là d'une conception totalement utilitariste de l'animal. Il n'apparaît donc pas choquant à beaucoup de gens que les animaux soient exploités comme ils le sont, puisqu'après tout, ils sont presque là pour ça. Cependant, d'après la philosophe de l'INRA Florence BURGAT, ce n'est pas la raison essentielle, puisque les animaux sont également maltraités en Chine, pays à religion polythéiste.

Par ailleurs, l'héritage de la pensée cartésienne, assez forte en France, n'arrange rien. En effet, Descartes voyait l'animal comme un être ne répondant qu'à ses instincts, un animal-machine. Même si cette vision du problème est complètement décalée par rapport à la vision moderne, elle peine à être délogée par des conceptions plus en adéquation avec les avancées scientifiques récentes.

Ainsi, on obtient des situations paradoxales. Par exemple, même si une large Elevage de poules pondeuses en batteriemajorité des français (plus de 85% d'après Brigitte GOTHIERE) sont contre l'élevage des poules en batterie, la plupart mange des oeufs pondus par ces poules élevées en batterie, cautionnant ainsi indirectement l'élevage en batterie, et ce en connaissance de cause, puisque la population est à peu près au courant de la situation. Cela rend une évolution de la situation difficile, puisque même en connaissant tous les méfaits de l'élevage tel qu'il est actuellement, les individus ne peuvent pas, ou ne veulent pas, s'arrêter de consommer les produits de cet élevage.

« Les gens prennent les animaux pour plus bêtes qu'ils ne sont. »
Brigitte GOTHIERE

Pourquoi donc se donner du mal pour les animaux, pour ceux qui n'ont été créé que pour nous servir, pour ceux qui n'ont pas de conscience ? Même si ce n'est pas ainsi que le problème est formulé, cela correspond à la pensée de nombreux Français, selon  Florence BURGAT.

« Le principe posé (égalité animale) ouvre un programme de recherche vertigineux si l’on envisage tout ce qu’il invite à reconsidérer dans nos attitudes et représentations du monde »
Estiva REUS dans Animal mon égal. Éthique et politique de l'abolition de la viande.

 

JURIDIQUE

La principale difficulté si une évolution de la loi est amorcée serait de définir différentes classifications des animaux. Où place-t-on la limite entre les animaux sensibles et les animaux qui ne ressentent pas la douleur ou la souffrance ? Par ailleurs, cela risque de créer une surcharge de la loi.

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Le principal problème qui se poserait sur le plan juridique si une modification de la législation entre en vigueur serait de mettre en accord les découvertes scientifiques concernant la sensibilité animale et la façon dont cette sensibilité est appréhendée par le droit français. Cela se traduit par une nécessité de classifier les animaux en différentes catégories pour lesquelles les nouvelles lois devront s'appliquer, ou ne pas s'appliquer. En effet, il est difficile de penser qu'on puisse appliquer un droit fondé sur le respect de la sensibilité animale de la même manière pour un chien ou un cochon que pour une mouche.

 « Des facteurs cognitifs et émotionnels modulent le ressenti de la douleur dont la tolérance est spécifique de l’espèce et de l’individu. »
Valérie DUPHOT

Classification selon les espèces?Ainsi, des questions cruciales se posent: quels sont les animaux concernés? Est-ce que les animaux domestiques doivent avoir les mêmes droits que les animaux sauvages ou que les animaux d'élevage ? Pour certains juristes, comme Matthieu AURIOL, si l'on commence à faire une distinction entre chose et animal, il faut également distinguer animaux domestiques, animaux sauvages et animaux d'élevage. D'autres veulent aller encore plus loin. D'après eux, il faudrait faire une distinction suivant les espèces : plus un animal est sensible et plus on devrait faire état de cette sensibilité afin de lui éviter des peines inutiles. Il faudrait donc au préalable marquer clairement les animaux capables de souffrir, pour savoir à qui cette loi s’applique et corriger les multiples incohérences possibles.

Par exemple, pour l'instant, seuls les vertébrés sont concernés par la législation. Il existe ainsi des directives de protection qui leur assure un minimum de souffrance, comme l'interdiction de faire deux fois la même expérience sur le même animal. Cependant, la France n’est pas d’accord pour intégrer les invertébrés à ces lois. La LFDA a donc réalisé un dossier contenant des informations juridiques et scientifiques qu’elle a envoyé au ministre de la recherche, qui a ainsi pu faire pression sur le ministre de l’agriculture. Ce lobbying a d’ailleurs réussi puisque très prochainement dans les nouveaux textes français et européens paraîtra une clause incluant les céphalopodes, comme des animaux aptes à ressentir la douleur et qui de ce fait, seront protégés dans le cadre de l’expérimentation. Cependant toutes les demandes n’aboutissent pas forcément : en 2010-2011, deux projets de lois furent inscrits à l’ordre du jour du Sénat, sans pour autant au final être discutés. Ce processus reste très long.

 

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