En quoi l'évolution de la loi montre-t-elle une prise en compte de la sensibilité animale?

         Afin de cerner toute l'importance de la controverse de nos jours, il est nécessaire de comprendre en quoi l'évolution de la loi traduit une prise en compte progressive de la sensibilité animale. Nous allons tenter ici de présenter la position de l'animal telle qu'elle est décrite dans le Code Civil de 1804, puis d'analyser les différentes modifications qui ont abouti à une prise en compte progressive de sa sensibilité. Enfin, il est important de constater qu'aux yeux d'un grand nombre d'acteurs, la loi actuelle reste insuffisante en matière de protection animale et présente plusieurs failles ou incohérences.

UN STATUT JURIDIQUE PARTICULIER

         Le statut juridique de l'animal est défini pour la première fois dans le Code Civil en 1804. Cette définition première confère à l'animal une position particulière entre chose et personne.
Par ailleurs d'autres ouvrages juridiques tels que le Code Pénal, le code Rural, ou le Code de l'Environnement posent les jalons d'un « droit relatif à l'animal » et permettent d'assurer une protection de l'animal, certes limitée mais existante.

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         Le statut juridique de l'animal est défini pour la première fois en 1804 dans le Code Civil. L'animal est alors qualifié de « bien meuble ». Selon certains juristes, cette définition de l'animal a surtout été instaurée pour des raisons économiques et pour résoudre les problèmes liés à sa propriété. Ainsi, Fanny DUPAS, dans sa thèse pour obtenir le grade du diplôme vétérinaire (Le statut juridique de l'animal en France et dans les états membres de l'Union Européenne: Historique, bases juridiques actuelles et conséquences pratiques), explique que le droit français est resté très longtemps attaché à la conception de l'animal-chose, conception héritée du droit romain, confortée par l’anthropomorphisme judéo-chrétien et la philosophie cartésienne.

Charrue: une utilisation de l'animal        Selon certains juristes, dont Matthieu AURIOL, l'animal du XIXe siècle est un bien de production, un bien économique (il ne faut pas oublier que cela peut représenter la seule source de revenus pour certaines personnes en 1804), et l'approche faite par la loi telle qu'elle est définie en 1804 peut être considérée comme une approche utilitariste. G.DIETRICH
montre ainsi dans sa thèse qu'avant l'élaboration du Code Civil, l'animal n'intervenait dans la législation qu'en fonction de son intérêt pour la gestion des comportements humains. De même, Lyne LETOURNEAU dans De l’animal-objet à l’animal sujet? : regard sur le droit de la protection des animaux en Occident écrit que « Le statut moral qui en résulte pour les animaux est limité. En effet, puisque la conception philosophique des relations entre les êtres humains et les animaux qui émerge du droit de la protection des animaux en Occident reflète un égoïsme de groupe, cela signifie que, même si les animaux bénéficient de la protection légale qui leur est accordée en ce sens que des souffrances leur sont épargnées, en réalité, seuls les intérêts des êtres humains importent ».

         Pour certains juristes, l'animal ne pouvant en aucun cas être considéré comme une personne, c'est donc une chose mais une chose pas comme les autres. C'est une chose dans le sens où il n'a pas de conscience morale. Ainsi, Francis WOLFF dans  L'Homme n'est pas un animal comme les autres écrit « qu'il ne peut pas y avoir de droit naturel entre les animaux car ils sont incapables de reconnaître ce droit entre eux ». Légalement, le  fait que ce soit une chose implique la notion de propriété et de commerce. Cependant, aux yeux de certains juristes, il ne peut être considéré comme une simple chose dans le sens où il est capable de se mouvoir lui même et semble  disposer d'une certaine sensibilité à la souffrance. Selon Thierry AUFFREY VAN DER KEMP, « connaître la sensibilité animale a une incidence capitale sur l’acceptabilité éthique » et la loi doit donc prendre en considération cet aspect, ce qui rend l'animal différent de la simple chose.           
Le fait que ce ne soit pas une chose comme les autres implique certaines limites. C'est ainsi qu'ont été définies de nombreuses réglementations supplémentaires inexistantes pour les simples choses. Par exemple, l'existence d'une réglementation concernant les espèces protégées, ou encore la condamnation du trafic d'animaux …

Droit animal: une histoire complexe         Le statut de l'animal ne doit pas être envisagé seulement à partir du Code Civil. On trouve également quelques notions du « droit relatif à l'animal » (à ne pas confondre avec un éventuel « droit de l'animal ») dans le Code Pénal, dans le Code Rural ou le Code de l'Environnement. Cependant là encore, le statut de l'animal reste relativement flou. Par exemple, selon M.AUFFRET VAN DER KEMP, «  le code pénal (article 521)  punit « les sévices et actes de cruauté », « sévices » et « cruauté » supposant implicitement qu’il y a souffrance. Mais cette souffrance n'est jamais véritablement définie ».
Le code de l’environnement fait référence à « des animaux sauvages libres et captifs », (ce qui constitue à son sens une amélioration car auparavant tous les animaux étaient définis comme appartenant à un propriétaire) mais ne prend pas nettement en compte la notion de sensibilité animale. Ainsi, selon Fanny DUPAS, « le dogme qu'instaurent les textes de base du statut juridique de l'animal est sa position de non sujet de droit  […]. La fin de la réification est fondée sur la prise en considération de la sensibilité individuelle des animaux. »

         Cette prise en compte de la sensibilité animale va se faire progressivement par plusieurs modifications de la loi traduisant un changement progressif des mentalités.

DES MODIFICATIONS DU DROIT...

         Depuis 1804, plusieurs modifications du droit ont été apportées. Ces modifications correspondent à un changement progressif du statut de l'animal dans les mentalités. Ce dernier va donc passer progressivement du statut de simple bien meuble à celui d'être sensible. Ce chapitre s’efforce de référencer des modifications les plus importantes de la loi depuis 1804 à nos jours tout en expliquant le contexte historique.

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         Tout au long du XIXe et du XXe siècle ont eu lieu plusieurs modifications du droit français. Ces modifications correspondent à l'émergence progressive de la notion de sensibilité animale. En effet, comme l'explique Sonia DESMOULIN-CANSELIER dans son ouvrage Quel droit pour les animaux? Quels statuts juridiques pour l’animal?, pour certains auteurs de tendance subjectiviste (qui veulent un droit de l’animal pour améliorer les traitements qu’il subit), le statut juridique de l’animal doit servir à deux fins : protéger les animaux qui en ont besoin et préserver l’ordre juridique. La loi de 1804 ne prenant pas suffisamment en compte cette protection de l'animal, ces modifications étaient (selon ces auteurs de tendance subjectivistes) inévitables.

         Nous allons référencer les principales modifications de loi depuis 1804.

  • Loi du 2 juillet 1840 : Loi Grammont.
    De mauvais traitements entraînent une amendeIl s'agit du premier texte de protection des animaux. Cette loi a pour but de sanctionner (par une amende) tous les mauvais traitements exercés en public sur les animaux domestiques.
    La portée de cette loi reste néanmoins limitée car elle impose la publicité et le caractère abusif du mauvais traitement, et est restreinte aux seuls animaux domestiques.

    Il faut ensuite attendre plus d'un siècle avant de voir émerger une nouvelle loi concernant la protection de l'animal. Ce n'est qu'au début du XXe siècle que sont ébauchées en France les premières fondations d'un droit animal.
  • Décret du 7 septembre 1959

    Ce décret abroge la loi Grammont et la remplace par une modification du Code Pénal. Ce décret limite la tolérance de la loi quant aux sévices subis par l'animal et instaure ainsi un cadre juridique plus sévère. Comme nous l'explique Fanny DUPAS, « le législateur est intervenu pour simplifier les incriminations prévues par le code pénal, lequel opérait une distinction selon le lieu où l'infraction avait été commise ».

  • Loi du 12 novembre 1963
    C'est avec cette loi que le bouleversement le plus important a lieu. En effet, plusieurs auteurs envisagent désormais de traiter l'animal comme un sujet de droit. Ainsi, R.NERSON (professeur de la faculté de droit de Lyon en 1963), explique que la personnification de l'animal est envisagée dès 1963 . Selon lui, « l'animal ne peut être directement gratifié d'une libéralité mais rien n'empêche en revanche de le considérer comme le bénéficiaire d'une charge, et spécialement d'une charge de soins, imposée par le disposant à la personne gratifiée ». Cette loi est donc le prolongement logique de cette idée naissante d'une sensibilité animale.
    La loi a pour but de réprimer de façon encore plus violente les actes de cruauté les sévices infligés à l'animal. Elle effectue de plus une gradation dans les sévices commis en distinguant les mauvais traitements des actes de cruauté. Cependant elle n'explique pas clairement, comme l'explique M.HUMBRECHT, comment les distinguer : il est « nécessaire de qualifier l'acte réprimé ».

  • Loi du 10 juillet 1976
    Cette loi est une des plus récentes en matière de sensibilité animale. Elle est d'ailleurs la première à évoquer explicitement cette notion. Il s'agit d'une véritable révolution en matière de protection de la nature. M.GRENIER-SARGOS explique ainsi que cette loi énonce un principe moral en rappelant que la protection de la nature est un devoir d’intérêt général : « il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans lequel il vit ». Cette loi très hétéroclite traite donc de la protection de la nature et est la première à prendre en compte l'animal sauvage dans le droit et reconnaître la sensibilité psychologique de l'animal.

Evolution chronologique des lois:Evolution chronologique des lois

LA POSITION DE L'ANIMAL DANS LA LOI AUJOURD'HUI

          Il s'agit désormais de comprendre plus précisément la position de l'animal dans la loi actuelle et de voir en quoi cette législation peut être considérée comme insuffisante pour un grand nombre d'acteurs, en ce qu'elle ne prend pas en compte la sensibilité animale. En particulier, certains manques, certaines failles du droit actuel sont mis en évidence par ces derniers. Ce sont ces défauts, ces manques qui sont au cœur de la controverse aujourd'hui.

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Modifier le code civil?        Aujourd'hui, on assiste donc à une demande de plus en plus forte de la part de différents acteurs (que ce soit les associations de défense d'animaux, les scientifiques ou les juristes eux-mêmes) de reconnaître la sensibilité animale dans le droit. Par exemple, M.AUFFRET VAN DER KEMP nous a expliqué que le  « but à la LFDA est  d’inscrire dans le code civil une définition de l’animal sensible, de mémoire : « Tout animal, dans le sens de la définition biologique, doté d’un système nerveux appartenant à une classe zoologique dans laquelle au moins une espèce a été présumée scientifiquement apte à ressentir la douleur ou a éprouvé la souffrance, est défini comme sensible ». Cela permettrait d’être en accord avec le code pénal (article 521) qui punit « les sévices et actes de cruauté », « sévices » et « cruauté » supposant implicitement qu’il y a souffrance. ».

      Cependant, plutôt que de créer de nouvelles lois, de nombreux acteurs (tels que la LFDA, La Fondation Droit Animal) préféreraient pallier les limites, les failles qui peuvent exister dans le Droit. « Nous aimerions supprimer les incohérences qui peuvent exister » explique ainsi M.AUFFRET VAN DER KEMP.
Ces failles sont de natures très diverses :

  • L'inhomogénéité des différents textes de loi
    Ainsi, contrairement au Code Civil (où ils sont considérés comme des biens), les animaux sont qualifiés d'êtres sensibles dans le Code Rural.

    L'homogénéisation des textes est ainsi l'objectif de la LFDA.

  • L'acceptation par la loi de la souffrance animale
    Devrait-on interdire la corrida?Elle est liée à une pratique traditionnelle. En effet, M.GUICHET est très critique à l’égard de ces lois, car selon lui, « souvent ces traditions ont été inventées : La corrida a été importée d’Espagne au XIXème siècle ! ». De même pour le gavage, « il y a une disposition naturelle des oies mais leur suralimentation est artificielle et les oies contraintes de manger. Leurs foies sont malades, non naturels. C’est au-delà de la limite éthique. Il y a des solutions alternatives avec gavage naturel mais c’est moins intéressant commercialement et donc délaissé. »

  • La question de la souffrance animale dans les travaux scientifiques
    Même s'il ne s'agit pas réellement d'une faille, il y a là un véritable problème: La loi doit-elle être plus sévère quitte à freiner la recherche ?
    Selon M.AURIOL, il existe déjà un cadre juridique important pour l’expérimentation scientifique. « On pourrait pousser plus loin le degré de protection mais cela se ferait au détriment de la recherche. » Pour la LFDA,  il faut mettre en place des directives de protection, pour éviter au mieux la souffrance de l’animal ou bien l’interdiction de faire deux fois la même expérience sur les mêmes animaux.

   
       Ainsi, l'évolution des lois est liée à une prise en compte progressive de la notion de sensibilité animale. Du simple statut de bien meuble, l'animal est passé au statut d'être sensible. Il reste cependant, pour un grand nombre d'acteurs, de multiples imprécisions dans les textes existant qui doivent être prises en compte dans le futur. Ces avancées juridiques sont pour la plupart corrélées à des découvertes scientifiques concernant cette sensibilité.


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