Quels sont les principaux projets de changement de statut juridique de l'animal?

        Il est désormais possible de comprendre le véritable nœud de la controverse : il s'agit d'un décalage entre les découvertes scientifiques concernant la sensibilité animale et la façon dont cette sensibilité est appréhendée par le droit français. Pour un grand nombre d'acteurs, ce dernier ne prend pas suffisamment en compte ce caractère sensible de l'animal. Nous allons tenter ici de comprendre les propositions de ces acteurs afin de changer le statut de l'animal dans la société actuelle.

 

LA CREATION D'UNE NOUVELLE CATEGORIE JURIDIQUE

         La première option proposée par un certain nombre d'acteurs consisterait à créer une nouvelle catégorie juridique qui prendrait ainsi en compte la particularité sensible de l'animal et le distinguerait ainsi du simple bien-meuble.C'est notamment la position des auteurs à tendance subjectiviste (qui veulent un droit de l’animal pour améliorer les traitements qu’il subit).

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          Pour mieux prendre en compte dans la loi cette sensibilité animale, plusieurs acteurs à tendance subjectiviste envisagent l'idée de la création d'une nouvelle catégorie juridique entre l'Homme et la chose, possédant des droits particuliers. Cette idée est par exemple évoquée par Sonia DESMOULIN-CANSELIER dans son article Quel droit pour les animaux? Quels statuts juridiques pour l’animal? Pour ces auteurs de tendance subjectiviste, l’idée d’avoir des droits différents pour les animaux car ils ne sont pas humains est inacceptable car la non-humanité se définissant comme l’absence de certaines caractéristiques, on pourrait considérer les déficients mentaux comme non-humains, ce qui serait absurde.
      Cependant, cette idée  de créer un statut juridique particulier pour l’animal est véritablement la thèse de J-P MARGUENAUD. L’animal deviendrait, ainsi, un sujet de droit possédant un «intérêt juridiquement propre protégé» et non plus une simple chose. Il s'agit de transposer à l'animal la réalité technique des personnes morales.
 

         Le but recherché par la création de cette nouvelle catégorie juridique est donc de faire de l'animal un véritable sujet de droit, ce qui conduirait à une amélioration de la condition animale. En effet un arrêt de la chambre civile de la Cour de Cassation du 28 janvier 1954 qui a consacré la théorie de la réalité technique de la personne morale stipule les conditions d'existence d'une personne morale élaborée par MM.MICHOU et DESPAX, à savoir « un intérêt distinct et la présence d'un organe susceptible de la mettre en oeuvre ». Néanmoins, la création de cette nouvelle catégorie juridique, création qui serait techniquement envisageable, pose d'emblée un problème majeur en ce que le fait de considérer l'animal comme titulaire de droits n'a pas véritablement de sens puisqu'il ne pourra jamais les exercer : c'est son maître ou un organisme habilité qui l'exercera pour lui. Comme le précise J-P MARGUENAUD, dans Le recueil Dalloz, 1998, la sensibilité, même si elle est commune à l'animal et à l'homme, ne peut suffire à faire revêtir à l'animal la « personnalité » juridique propre à l'homme. Il signale en effet qu'une « telle promotion serait inadaptée à l'animal et dangereuse pour l'homme. »

         Concernant la responsabilité pénale de l'animal, elle reste inconcevable tout comme sa responsabilité civile. L'engagement de la responsabilité délictuelle de l'animal paraît impossible car l'animal n'a pas conscience de l'illicéité.

Quand l'animal se met au rang de l'homme...            Il existe des risques résultants de cette élévation potentielle de l'animal au rang de l'homme (ou de l’abaissement de l'homme au niveau de l'animal). En effet, comme le rappelle J.P MARGUENAUD « on aboutirait inévitablement à la prohibition absolue de toute expérience scientifique sur les bêtes vivantes, à la généralisation du végétarisme et à l'interdiction de lutter contre le pullulement des animaux par des moyens autres que contraceptifs ». Or, selon lui, une société humaine ainsi entravée n'a que peu de chances de survivre.

            Par ailleurs, un autre problème soulevé par la création d'une nouvelle catégorie juridique, est de savoir quels seraient les animaux concernés : Est-ce que les animaux domestiques doivent avoir les mêmes droits que les animaux sauvages ou que les animaux d'élevage ? Pour certains juristes, si l'on commence à faire une distinction entre chose et animaux, il faut distinguer animaux domestiques, animaux sauvages et animaux d'élevage.

Enfin, pour certains juristes très conservateurs sur ce point, les utilisateurs d’animaux, ou de simples citoyens sûrs de leur bon droit, ne souhaitent pas du tout que les animaux jouissent d’une véritable protection et d’un statut approprié à leur nature d’êtres sensibles.

INSCRIRE UNE DEFINITION CLAIRE DE LA SENSIBILITE ANIMALE DANS LA LOI
 
 

         Pour mieux prendre en compte la sensibilité animale, sans pour autant créer une 3e catégorie juridique, des associations, comme la LFDA, ou des juristes proposent des modifications partielles de la loi. Il s'agirait plutôt de prendre en compte dans la loi les multiples avancées scientifiques concernants la sensibilité animale sans pour autant en faire un véritable  sujet de droit. Le but est donc d'imposer des obligations aux hommes pour préserver la sensibilité animale.

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Les associations pourront-elles faire changer la loi?         De nombreuses associations, comme la LFDA, considèrent en effet que les découvertes scientifiques faites récemment devraient être prises en compte dans les textes français : plus un animal est sensible et plus on devrait faire état de cette sensibilité afin de lui éviter des peines inutiles. Ils proposent ainsi d’aménager la loi en conséquence. M.AUFFRET VAN DER KEMP nous ainsi expliqué que « le code civil parle de « biens meubles », il les distingue donc des autres biens, cependant ils restent considérés comme des choses. Il faudrait procéder à une harmonisation avec le code rural qui introduit la notion de sensibilité. La LFDA milite dans ce sens depuis 5-6 ans ». Dans son article SENSIBILITÉS À LA SENSIBILITÉ DES ANIMAUX EN FRANCE, il rajoute que le droit devrait se montrer plus sensible à l'acquisition de nouvelles connaissances scientifiques et à la prise en compte de la sensibilité animale.

         Un des buts, par exemple de la LFDA, est d’inscrire dans le code civil une définition de l’animal sensible. Cela permettrait d’être en accord avec le code pénal (Article 521) qui punit « les sévices et actes de cruauté », « sévices » et « cruauté » supposant implicitement qu’il y a souffrance. Il faudrait donc au préalable marquer clairement les animaux capables de souffrir, pour savoir à qui cette loi s’applique et corriger les multiples incohérences évoquées précédemment.
 

Pour la LFDA, l'animal reste un bien.         Pour cette association, l’animal est un bien, mais un bien particulier. En effet, si on prend l’exemple d'une voiture, chaque individu s'il le désire peut détruire la sienne à coup de masse. Il fait ce qu'il veut, tant qu'il ne blesse personne. Il s’agit du « droit de jouissance ». De plus, chacun peux la vendre, c’est le « droit ce cessation ». Un animal, est aussi un bien pour cet individu. Pourtant, il ne peut pas en jouir comme il veut, (c.f Code Pénal). De plus, sa vente est accompagnée de nombreux papiers. Certains disent : « les animaux ne sont pas des sujets de droits, n’ont pas de droits, car ils ne peuvent pas contracter ». Cette assertion peut être mise en défaut, si on considère des personnes incapables, telles que les handicapés mentaux. Ils ne peuvent pas parler, pas écrire, et donc pas contracter. Pour autant, ils ont des droits. En effet, des personnes sont là pour les représenter. C'est pourquoi il n'est pas absurde de vouloir protéger l'animal en adaptant le droit.

 


La LFDA voudrait ainsi ajouter un article dans le code de l’environnement qui reconnaisse la sensibilité –comme définie avant- des animaux sauvages. De plus, cette association aimerait également supprimer les incohérences qui peuvent exister. Par exemple, des faisans en élevage sont considérés par le code rural comme des animaux protégés et sensibles. Par contre, dès qu’on les libère dans la forêt, ils perdent leur sensibilité. Cela peut paraître absurde. De même, un poisson utilisé comme appât dans la pêche au vif est considéré comme tenu en captivité. Le fait de l’accrocher à un hameçon le fait souffrir. Or le code pénal punit les sévices : le pêcheur devrait être puni.

Selon la LFDA, le premier objectif consiste à définir la sensibilité dans la loi. La conséquence éthique immédiate est que, si l’animal est sous notre responsabilité, on doit tout faire pour lui éviter des souffrances supplémentaires. Il faut éviter les souffrances évitables. Attention, il ne faut pas parler de « souffrance inutile », ça n’a pas de sens. On peut à la limite dire « infliger inutilement souffrance ».

         Enfin,il peut sembler indispensable pour de telles associations de modifier voire supprimer toutes les exceptions juridiques qui tolèrent la souffrance animale dans le cas de pratiques traditionnelles, culturelles et religieuses (comme la tauromachie ou le gavage). Par exemple, la loi reconnaît la sensibilité des animaux et la nécessité de la respecter (Article L. 214  du code rural), mais la LFDA ajoute qu'il existe des dérogations portant atteinte à cette sensibilité, « qui permettent d’autoriser l’abattage rituel sans étourdissement ou qui autorisent les éleveurs à mutiler leurs animaux au bout d’un an, par exemple, pour les becs de poule. Pourtant, ces pratiques sont très douloureuses pour l’animal sur le moment, mais aussi à long terme. »

Le chasseur cherche rarement à préserver la fauneLa chasse est également condamnable mais l’aspect politique et l’hostilité de certains chasseurs empêchent tout changement. Certains chasseurs sont cohérents car agissent afin de préserver la biodiversité mais cela ne présente qu’une minorité. M.VAN DER KEMP critique ainsi le lâché de gibier, car c’est un simple divertissement pour l’homme.

          De telles solutions sont dites « welfaristes », c'est-à-dire favorables à la reconnaissance de la sensibilité animale, mais pas la reconnaissance de droits animaliers. Selon M.GUICHET, « Il ne faut pas de statut de sujet de droit de l’animal car les conséquences seraient très lourdes ». Il faut tenir compte de la sensibilité animale , différencier les lois, les graduer selon les animaux. Cela passe par une sensibilisation du public à la sensibilité animale pour reprendre l'article de M.AUFFRET VAN DER KEMP, SENSIBILITÉS À LA SENSIBILITÉ DES ANIMAUX EN FRANCE.
 
 
UNE POSITION PLUS RADICALE:
L'ANTISPECISME
 

         Les modifications évoquées ci-dessus consistent pour la plupart à des changements plus ou moins profonds de la loi française. Certains acteurs sont favorables à des solutions plus radicales fondées sur la valeur de chaque individu et non plus sur le simple critère d'espèces.

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           Enfin, une autre solution, plus radicale, mais néanmoins envisagée par un large panel d'acteurs (tels que les Cahiers antispécistes) consisterait à faire de l'animal l'égal juridique de l'Homme. De tels acteurs prônent  une libération animale complète : nos jugements ne doivent pas se fonder sur le simple critère d'espèces mais sur la valeur de chaque individu. l214Ainsi Brigitte GOTHIERE, co-fondatrice de l'association L214, nous a expliqué que son association  s'inscrit plutôt dans le mouvement abolitionniste « car nous nous opposons contre toute forme d'exploitation des animaux, du fait de leur nature d'êtres sensibles. Ils désirent avoir une bonne vie, ils ont des sentiments, ils ressentent la douleur, ... Ainsi, nous refusons le fait qu'un animal puisse avoir un propriétaire. Nous voudrions donc la création d'un nouveau statut juridique pour l'animal (certains états ont déjà mis une telle mesure en vigueur, preuve que c'est possible) puisqu'actuellement, la situation juridique est insatisfaisante. »
 

Les végétaux: l'unique source d'alimentation des végétaliensPour les Cahiers antispécistes, la société idéale serait une société où les humains cohabiteraient avec les animaux au lieu de les exploiter, où nous ne verrions pas les animaux par espèces, mais comme des individus, et où nous respecterions leurs besoins. Dans une telle société, il n'y aurait pas d'expérimentations sur les animaux, nous ne nous nourririons plus d'animaux. Tout le monde serait végétalien, ce qui serait facile dans une société adaptée (ce qui n'est absolument pas le cas en France actuellement, alors qu'aux USA il y a des menus spéciaux partout). David FRASER in Animal ethics and animal welfare science: bridging the two cultures considère qu'il faut mettre en application le principe d'égalité. Nous devrions accorder les mêmes droits aux animaux qu'aux êtres humains, alors que les scientifiques voient le problème à l'échelle de l'eco-système, et peuvent autoriser la mise à mort d'animaux, pour l'équilibre de l'eco-système. De même, P.SINGER défend cette thèse de l'égalité animale, c'est à dire prendre en compte cette capacité qu'ils ont à souffrir, à éprouver du plaisir ou du bonheur. Cela ne signifie pas qu’il faut accorder aux animaux tous les droits accordés aux humains ; il s'agit de défendre l’égalité de la considération des intérêts et non l’égalité des droits.

Cette association critique le courant de pensée « welfariste »  qui prône une "viande heureuse", c'est à dire la viande d'animaux heureux. « Mais de tels animaux n'existent pas parmi les animaux d'élevages, ils souffrent toujours (par exemple lors de la castration des porcs). De plus, comment abattre des animaux de sorte à ce qu'ils soient heureux ? L'étourdissement électrique par exemple n'est pas du tout indolore pour l'animal, qui comprend ce qui lui arrive. On ne peut empêcher le stress d'une mort imminente. »

 

         Ainsi, l'ensemble des acteurs de la controverses proposent des solutions plus ou moins radicales pour prendre en considération la sensibilité animale dans la société actuelle. Cependant ces solutions restent contestées tant d'un point de vue philosophique qu'économique ou juridique.