Quelles découvertes scientifiques ont été faites sur la sensibilité animale?

     Contrairement à ce que l’on peut observer dans la loi française, il existe en biologie une définition précise de l’animal. M.AUFFRET VAN DER KEMP nous confie que c’est un organisme pluricellulaire qui se nourrit à partir d’autres organismes vivants et qui est capable de se mouvoir. Il existe également des animaux unicellulaires tels que les amibes. Un mollusque, comme une moule par exemple, rentre donc bien dans la catégorie des animaux pour un scientifique. Le directeur de la LFDA (La Fondation Droit Animal, éthique et sciences) insiste sur ce point: « Un juriste, par contre, n’a formellement pas de texte lui permettant de l’affirmer ». Or il est rare qu’un juriste pense au mollusque lorsqu’il lit dans le code pénal « animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité » (Article 521-1).
 

« Un animal est un organisme pluricellulaire qui se nourrit à partir d’autres organismes vivants et qui est capable de se mouvoir. »

Et pourtant, la moule appartient Les moules sont aussi considérées comme des animauxau même titre que le chien, le chat ou les oiseaux à cette énumération : le chien et le chat sont des animaux domestiques, les oiseaux sont apprivoisés et la moule est tenue en captivité. L’homme de loi ne doit pas l’oublier. La science a donc un grand rôle à jouer car elle permet de compléter la loi en lui montrant ses imprécisions. Les rapports entre la loi et la science ne sont pas nécessairement comme tels. En effet, bien souvent la loi doit, face aux imprécisions ou incertitudes de la science, trancher et dire ce qu’elle pense être sa vérité ou du moins ce qu’elle établit comme sa justice. Ici, au contraire, les positions sont toutes autres. La science fait de nombreuses découvertes permettant de mieux caractériser l’animal. Ces données servent ensuite aux scientifiques pour établir des grandes catégories d’animaux selon des critères précis. La loi peine à rendre compte de tous ces classements. Et pourtant, ces nouvelles découvertes poussent la loi à être modifiée, afin que cette dernière reste la plus juste possible et respecte ces catégories.

 
     La défense de la cause animale prête souvent à rire. Les personnes la défendant apparaissent comme des fanatiques pour la majorité de la population. Certains les portent même en dérision. Pourtant ces dernières années de nombreux travaux scientifiques ont été réalisés sur le thème de la sensibilité animale. Dans ce domaine, le docteur JOURDAN nous informe que les recherches françaises sont essentiellement menées par l’Institut national de recherche agronomique (INRA) et des professeurs de pathologie du bétail et d’analgésie dans les écoles nationales vétérinaires, dont le but est de réduire la douleur dans les techniques d’élevage ou d’abattage. Cependant la question de la souffrance animale est beaucoup plus discutée en Angleterre, aux Etats-Unis et en Australie, souligne Catherine VINCENT dans son article du Monde du 27 Octobre 2012. En outre les chercheurs s’intéressent là-bas à d’autres espèces que les veaux, les vaches ou les cochons. Par ailleurs, les scientifiques et vétérinaires qui étudient la question ne sont pas des « sensibilistes », ils utilisent au contraire des protocoles, des critères précis et des arguments rationnels pour leurs recherches et leurs publications, afin d’évaluer au mieux la douleur animal.
 

L’ensemble de ces travaux montre tout d’abord que l’homme est loin de connaître et de comprendre les animaux qui l’entourent, pas même son animal domestique, malgré ce que de nombreux propriétaires pourraient croire. Par ailleurs, les recherches dans le domaine de la sensibilité animale ont permis de mieux cerner cette notion et même d’en distinguer différents degrés.

 

 

LE BIEN-ETRE ANIMAL

UNE INCOMPREHENSION DE L'ANIMAL PAR L'HOMME

De nombreuses personnes pensent comprendre leur animal domestique, cet être qui partage la vie de la maison et qui pour certains est un membre à part entière de la famille. Pourtant, force est de constater que nous ignorons beaucoup de choses sur eux, ainsi que sur les animaux en général.
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Un bien-être pour nous peut être un mal pour eux!
Des études faites par des vétérinaires éthologues et spécialisés en comportement animal ont été menées afin de mieux comprendre leurs réactions et ainsi pouvoir mieux les appréhender. Comme le fait remarquer le président de la LFDA, nous avons en effet tendance à transposer nos comportements, nos réactions et nos envies aux animaux, notamment aux animaux domestiques. Ce constat est particulièrement vrai pour les chiens qui paraissent encore plus proches de nous. En effet, nous partageons avec le chien un mode de communication commun, celui du regard. Quand on montre quelque chose à un chien, il comprend qu’on parle de cette chose. C’est pour cela qu’on a tendance à tout transposer aux chiens parce qu’on pense qu’ils sont comme nous. De plus l’homme a une tendance marquée à l’anthropomorphisme. Or, comme le confirme le docteur vétériniaire Jourdan, ce raisonnement n’est pas viable, car un bien-être pour nous peut être un mal pour eux (voir l'exemple du chocolat ci-contre).  De plus, un chien et un homme se comportent différemment dans une même situation car chacun réagit avec ses propres codes. Ces éléments nous permettent de mieux comprendre la réaction des chiens et ainsi d’éviter les accidents.
 
 
 

LA SENSIBILITE ANIMALE

L’intérêt des scientifiques pour la sensibilité animale est très récent comme peut le montrer le travail de quantification. Cependant, de plus en plus de travaux et d’expériences sont réalisés dans ce domaine et ont permis de distinguer trois degrés de sensibilité grâce à des critères variés et précis.

LES TROIS DEGRES DE SENSIBILITE

Il existe trois degrés de sensibilité dans le domaine de la sensibilité animale. Dans l’ordre croissant de sensibilité, on trouve : la nociception, la douleur et enfin la souffrance.
 
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  • La nociception est l’aptitude à réagir de manière réflexe à des atteintes contre son intégrité physique. HuîtreCette nociception n’entraîne pas nécessairement une douleur pour l’animale. Elle est due à l’existence d’un système nerveux et existe donc chez la plupart des animaux. Elle se traduit souvent par des réponses de fuite ou de retrait d’une partie du corps. Un bon exemple donné par M.AUFFRET VAN DER KEMP pour illustrer cette notion est la réaction réflexe de l’huitre lorsqu’on la mouille avec des gouttes de citron: elle se rétracte. C’est un réflexe de retrait à la chaleur.

  • Le deuxième degré de sensibilité est le ressenti de Céphalopodela douleur. Cette sensibilité est présente chez tous les animaux qui possèdent des réactions émotionnelles associées à la nociception, comme par exemple chez les vertébrés. Cependant, ces derniers ne semblent pas être les seuls capables de ressentir la douleur. Des études scientifiques sont réalisées actuellement pour montrer que d’autres animaux parmi les invertébrés sont capables de ressentir cette douleur. Il a déjà été prouvé dans les années 2000 que les céphalopodes (photo ci-contre) la ressentaient.

    D’après « Le point Vétérinaire », numéro 330, paru en 2012, la douleur peut être divisée en quatre composantes : la composante sensori-discriminative, c’est-à-dire, souffrir dans sa chair (sentir) ; la composante émotive, c’est-à-dire, avec son coeur (ressentir); la composante cognitive, c’est-à-dire, souffrir avec sa tête (donner un sens); la composante comportementale, c’est-à-dire, souffrir avec ses gestes. Il suffit que l’une des composantes soit vérifiée pour un animal pour pouvoir dire qu’il est capable de ressentir la douleur.

  • Enfin, le troisième degré de sensibilité est la souffrance, c’est-à-dire, avoir mal d’avoir mal. Elle apparaît chez les animaux qui possèdent des fonctions cognitives associées à la douleur, donc une certaine conscience de leur environnement, et correspond à une sensibilité extrême. Il a été établi que les vertébrés et les céphalopodes souffraient. Cette souffrance est particulièrement développée chez les mammifères et les oiseaux, c’est-à-dire les vertébrés à sang chaud.

« Il n’existe pas de rupture entre ces différentes sensibilités, mais une continuité. »

 
Il est important de noter qu’il n’existe pas de rupture entre ces différentes sensibilités, mais une continuité. Ainsi toutes ces questions ne sont pas parfaitement résolues et amènent les scientifiques à s’interroger et à faire de nouvelles recherches. Des conférences sont également organisées pour partager les nouvelles découvertes dans ce domaine, comme le colloque international du 18 et 19 Octobre 2012 sur le sujet « La souffrance animale. De la science au droit » organisé par la LFDA (La Fondation Droit Animal) et la GRIDA (Groupe de Recherche International en Droit Animal).
 
 COMMENT CONNAITRE LE DEGRE DE SENSIBILITE DES ANIMAUX?
 
C’est sur les Mammifères et sur l’homme en premier lieu que les savoirs ont d’abord progressé.
Comme nous avons pu déjà le constater la différence entre douleur et souffrance est floue et on passe facilement de l’une à l’autre. Se posent alors les questions suivantes : Comment évaluer l’une et l’autre ? Chez l’homme, la question peut trouver plus facilement une réponse, car ce dernier, doué de paroles, peut décrire son ressenti et l’évaluer lui-même, même si cette évaluation reste très subjective. Mais chez les autres animaux?
Il existe plusieurs méthodes pour savoir à quel degré un animal est sensible.
 
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Variables physiologiques

Pour identifier et mesurer la douleur Anxiété chez le chienchez les autres animaux que les hommes, on peut se baser sur des variables physiologiques. Les scientifiques mesurent la concentration de certaines hormones catécholamines : comme l’adrénaline, le cortisol, la sérotonine… Le docteur JOURDAN nous indique qu'il mesure également le rythme cardiaque et la température de l’animal dans différentes situations. Ils peuvent en outre constater cliniquement l’apparition d’éventuelles lésions, comme de l’automutilation due à la douleur, des plaies de léchage lors d’anxiété. Cette anxiété est le témoin de la conscience de l’animal à ce qu’on va lui faire subir. Il sait qu’il ne va pas apprécier et devient anxieux.
 

Observation du comportement
 
La méthode la plus simple reste l’observation du comportement des animaux pour dépister la douleur. Elle présente de plus l’avantage de ne pas nécessiter de mesures physiologiques (prélèvements par exemple), et donc de ne pas représenter elle-même une source de stress ou de douleur pour les animaux. Cela rend ainsi les résultats de ces études plus pertinents et ces dernières restent respectueuses de l’animal.
Dans le numéro 1191 de la dépêche vétérinaire, on apprend à distinguer une douleur vive d'une douleur durable. On y découvre de plus l'existence des grilles d’expressions faciales pour les animaux de laboratoire permettant de savoir si l’animal souffre. On peut citer par exemple le port des oreilles ou l’expression des yeux comme indicateurs souvent utilisés. Aurélie MENERET, neurologue, qui, dans le cadre de ses recherches, travaille avec des souris de laboratoire, indique que les chercheurs sont également sensibles aux changements de comportement des souris : une anxiété ou une agressivité inhabituelles est souvent le signe d’un stimulus douloureux.
Pour les animaux domestiques, les vétérinaires se focalisent sur une liste de critères bien déterminés. Différentes grilles d’évaluation de la douleur pour les chiens et les chats ont ainsi été mises en place par les vétérinaires, afin d’appréhender la douleur chez ces animaux, et ainsi pouvoir mieux les soigner.
 
« Neurobiologistes, éthologues et vétérinaires ont fait état de plusieurs études récentes qui témoignent d’une sensibilité à la douleur chez des espèces très diverses. » Catherine VINCENT
 
Cependant cette méthode possède également des limites. En effet, les comportements liés à la douleur ne sont pas toujours interprétés correctement, comme le fait remarquer Catherine VINCENT dans l’article du Monde du 27 Octobre 2012. Ils varient pour chaque espèce et même pour chaque individu, selon l’environnement dans lequel il a vécu par exemple. Par ailleurs, les signes liés à l’expression d’une douleur ou d’une souffrance sont peu nombreux et souvent identiques à ceux ressentis dans un moment de stress ou de peur. En outre, il est parfois difficile de repérer ces signes chez des animaux physiquement très éloignés de nous.
Il ne s’agit donc pas de repérer des signes spécifiques à la douleur, mais plutôt d’observer des différences de comportement par rapport au comportement habituel.
EXEMPLES D'EXPERIENCES
 

Afin d’illustrer et de rendre concrète les différentes notions de sensibilité précédemment évoquées, nous nous sommes intéressés à des expériences spécifiques réalisées par des scientifiques.

Exemples d’expériences : Comment peut-on savoir qu’un animal ressent la douleur ?


Dans ces exemples d’expériences, on s’intéresse à savoir si, à la notion de nociception, s’ajoute une émotion, un ressenti des animaux.

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Lors du colloque international organisé en Octobre 2012 par la LFDA et la GRIDA de nombreux scientifiques étaient présents et ont rendu compte à l’assemblée de juristes, vétérinaires, biologistes et philosophes des expériences qu’ils avaient fait et des interprétations qu’ils en tiraient. Christine NICOL, professeur de science vétérinaire à l’université de Bristol en Grande-Bretagne donne l’exemple des volailles handicapées par fracture du bréchet - accident fréquent chez les poules. Leur comportement est en effet modifié par l’administration d’analgésiques, ce qui montre que cette fracture s’accompagne d’une sensation désagréable, autrement appelée douleur, qui disparait lorsqu’on les soulage avec des médicaments.


Les poissons ressentent la douleurAutre cas intéressant, celui des poissons, très exploités commercialement pour la pêche ou pour l’aquaculture et qui dans ce cadre sont l’objet de plusieurs procédures, sources de blessures. La question de savoir si les poissons pouvaient ressentir de la douleur avait jusqu’à présent était peu étudiée. Une étude scientifique récente menée par Lynne U. SNEDDON, maître de conférences et chargée de recherche en biologie animale à l’université de Liverpool, a révélé que les poissons avaient en fait le même appareil neurologique que les mammifères pour détecter la douleur, que leur cerveau était actif au cours d’une expérience potentiellement douloureuse et qu’ils présentaient dans leur comportement et leur physiologie des changements négatifs, qui diminuaient après administration d’un analgésique. Les scientifiques ont ainsi pu démontrer que les poissons ressentaient la douleur.
 
Exemples d’expériences : Comment peut-on savoir qu’un animal souffre ?
 

Toutes les expériences menées dans ce domaine repose sur le principe suivant : pour qu’un animal soit considéré comme apte à ressentir la souffrance, il doit avoir vécu des situations aversives antérieures et être capable de se les remémorer et d’utiliser l’information plus tard afin d’éviter des stimuli désagréables.

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Une expérience sur le bernard-l ermite
  De nombreuses expériences ont été réalisées dans ce domaine, notamment ces derniers temps pour montrer que les invertébrés étaient capables de ressentir la douleur. Par exemple, le docteur Robert W. ELWOOD, professeur de sciences biologiques, à l’université Queen, Belfast, au Royaume-Uni a proposé à des crabes de rivage, plusieurs abris, dont certains étaient piégés : les crabes subissaient un choc électrique lorsqu’ils se cachaient dedans. L’équipe de scientifiques travaillant sur cette expérience a remarqué que les crabes apprennent très rapidement à éviter les abris où ils ont reçu un choc. D’autres expériences ont été menées par la même équipe sur les bernard-l’ermite (exemple cf encadré ci-contre). Ces études montrent que certains invertébrés tels que les crabes et les bernard-l’ermite ont une certaine conscience de leur environnement et de leurs dangers.

Ces réponses sont trop complexes et prolongées pour être expliquées par le seul réflexe nociceptif. En effet, dans ce dernier, aucun sentiment d’aversion ou d’expérience de la douleur n’est suggéré.
 
 
 
 

CONCLUSION


Les études scientifiques actuelles permettent de distinguer des grands groupes d’animaux selon leur degré de sensibilité. On peut par exemple distinguer les animaux sensibles à la nociception, c’est-à-dire tous ceux ayant un système nerveux, et ceux qui ne le sont pas ; ou bien les animaux ressentant la douleur, c’est-à-dire les vertébrés et les céphalopodes, et ceux qui ne la ressentent pas. On peut encore diviser les animaux en deux groupes : ceux qui connaissent la souffrance, c’est-à-dire les vertébrés à sang chaud, et ceux qui ne la connaissent pas.
Que fait le droit de ces données dérangeantes? Comment ces connaissances sont-elles prises en compte dans les textes de loi ?
Ce classement amène certains acteurs, comme des associations protectrices des animaux, à repenser les textes juridiques concernant les animaux pour respecter cette hiérarchie. En effet, ils partent du postulat que plus un animal souffre et plus il devrait être protégé par la loi.
Cependant des modifications de la loi, déjà bien complexes, semblent insuffisantes pour d’autres qui aimeraient un changement beaucoup plus important et fondamental de la loi au sujet des animaux.

 

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